On parle souvent d’antisélection ou de sélection adverse dans le milieu bancaire et dans celui des assurances mais en se penchant sur cette notion de comportement économique, on peut constater que le même concept est fortement présent dans le milieu du recrutement.
Tout d’abord, il me semble utile d’expliquer plus en détail et de la façon la plus simple qu’il soit ce qu’est « l’antisélection ». Si le lecteur est déjà familier avec ce terme, il peut directement passer à la seconde partie de l’article.
La notion d’antisélection en économie
On parle d’antisélection lorsqu’une banque, par exemple, accepte d’accorder un prêt à la personne étant la moins capable de rembourser ce prêt. Comment est-ce possible ? Il faut comprendre qu’un banquier est « victime » d’asymétrie d’informations, c'est-à-dire, qu’il connait moins bien la situation de son client que ce dernier ne la connaît lui-même. Il se passe exactement la même chose lorsqu’une personne achète une voiture d’occasion par exemple. On peut alors parler d’asymétrie d’informations puisque l’acheteur détient moins d’informations sur le véhicule que le vendeur lui-même. En conséquence, nous ne sommes pas tous égaux face à l’information et les acteurs d’une transaction en ont parfaitement conscience. Ils vont même intégrer cette donnée dans leur prise de décision en tentant de faire payer à l’autre partie un « premium ». Un acheteur de voiture d’occasion, par exemple, va tenter de faire baisser le prix afin d’allouer le montant du rabais à toute réparation éventuelle qui surviendrait suite à un problème dont le vendeur ne lui aurait pas mentionné l’existence.
Dans la même idée, lorsqu’un client se rend chez son banquier pour souscrire un prêt, il détient certaines informations sur sa situation personnelle que son banquier ne possède pas et qu’il ne pourra connaître que si ce client accepte de les lui transmettre. Or, le banquier est bien conscient du fait que son client ne lui transmettra peut-être pas toutes les informations utiles à la prise de décision. Le banquier prendra donc la décision d’accorder ou de refuser le prêt en ayant moins d’informations que le client lui-même. Il va donc devoir intégrer cette donnée dans sa prise de décision.
Le fait pour un banquier de savoir qu’il ne dispose pas de toutes les informations utiles sur tous les candidats à la souscription d’un prêt va donc le conduire à vouloir mutualiser les risques en augmentant le taux d’intérêt de tous ses clients en partant du principe que le « trop perçu » sur certains clients compensera la perte engendrée sur d’autres clients. C’est l’une des raisons pour lesquelles le taux d’intérêt fixé par le banquier va être légèrement supérieur à ce qu’il devrait être pour certains et légèrement inférieur à ce qu’il devrait être pour d’autres.
Le problème principal qui va amener à l’antisélection est lié au fait que pour se prémunir du risque de défaut de certains clients le banquier va gonfler les taux d’intérêts de tout le monde et les « bons » clients vont justement avoir tendance à fuir et à ne pas souscrire de prêt en considérant qu’ils n’ont pas les moyens de rembourser à un taux d’intérêt de 4% alors que à la vue de leur situation, ils ne devraient en principe emprunter qu’à 3% par exemple. Inversement, les « mauvais » clients vont être fortement intéressés par l’idée de pouvoir emprunter à 4,5% alors qu’à la vue de leur situation, ils devraient normalement se voir proposer un taux de 6%. Conclusion, les « bons » clients vont fuir et les « mauvais » clients vont affluer et le banquier va donc statistiquement être amené à sélectionner plus de « mauvais » que de « bons » clients. Ce dernier est donc confronté à ce que l’on dénomme communément l’antisélection ou la sélection adverse. C’est en voulant se prémunir d’une situation qu’on contribue indirectement à la créer.
La notion d’antisélection dans le recrutement
Dans le recrutement, la même logique s’applique puisque le recruteur détient moins d’informations que le candidat et il ne tient donc qu’à « l’honnêteté » de ce dernier de bien vouloir transmettre toute l’information utile à la prise de décision du recruteur. Le recruteur sait donc que par nature, les informations qui lui sont fournies sur un CV ne sont que celles que le candidat a bien voulu faire transparaître et ces derniers temps, en cette période de chômage de masse, la mode est plutôt à l’inflation des compétences. C’est donc parce que les recruteurs savent que les candidats ont plutôt tendance à embellir la situation qu’ils vont être tentés de demander plus dans la description de l’offre d’emploi. Si le recruteur est conscient du fait qu’une grande majorité des chercheurs d’emploi tendent à surévaluer (volontairement ou involontairement) leur niveau d’anglais par exemple, il y a fort à parier que le recruteur va alors demander un niveau d’anglais supérieur à ce dont il a réellement besoin. En faisant cela, il va automatiquement filtrer à la source une partie des CV des candidats qui ont un niveau très inférieur à ses besoins en anglais.
Or, le souci vient du fait que certains candidats ayant le niveau souhaité mais n’ayant pas surévalué leurs compétences en anglais vont être éjectés du processus de recrutement (soit parce qu’ils ne postuleront pas en considérant qu’ils n’ont pas le niveau renseigné sur l’annonce, soit parce que leur CV sera éjecté lors de la pré-sélection parce que le niveau renseigné sur leur CV est inférieur au niveau requis). Inversement, des personnes ayant probablement un niveau inférieur à celui souhaité vont postuler et passer l’étape de présélection du CV parce qu’ils postuleront en considérant que s’ils obtiennent le poste, ils parviendront toujours à se débrouiller (à tort ou à raison). Statistiquement, après l’étape de présélection, le recruteur sera face à une majorité de candidats ayant un niveau inférieur en anglais à ce que qu’il aurait normalement dû avoir s’il avait publié une annonce avec le véritable niveau requis et si les candidats, étaient parfaitement « honnêtes » avec eux-mêmes et avec le recruteur lorsqu’ils rédigent leur CV. En d’autres termes, c’est parce qu’un grand nombre de candidats embellissent leur CV que les recruteurs demandent plus et sont donc statistiquement amenés à sélectionner les candidats qui n’étaient pas forcément les mieux adaptés pour le poste en question.
L’utilisation du CV traditionnel (voir article 2 sur 7 ) couplé à la tendance à l’inflation des compétences amènent, je pense, à un processus de présélection qui n’est pas optimal. Certains candidats qui seraient les mieux qualifiés et ayant le plus de potentiel pour évoluer dans l’entreprise sont parfois éjectés du processus avant même d’avoir pu obtenir un entretien alors que d’autres, moins adaptés au poste et à l’entreprise parviennent à passer le filtre de présélection et à aller jusqu’à l’entretien.