Pour les politiques, débattre de l'Euro est un tabou. Pourtant s'il y a bien un sujet qui divise les économistes, c'est la question de l'Euro. Pour certains, il ne faut pas le remettre en cause tandis que pour qu'autres il est la raison de nos maux. Et comme en Économie, il n'y a pas de certitudes, posons-nous la question : alors l'Euro, aubaine ou plaie ?
L'Euro, censé faire converger les économies vers le haut
L'Euro a été introduit comme une étape dans la construction européenne. Symbole politique, il devait permettre de créer des conditions idéales pour le commerce entre pays-membres et faire concurrence au Dollar américain. Ainsi, en éliminant la question du taux de change et en regroupant les intérêts du continent européen au sein d'un même pot, on ne pouvait présager que le meilleur.
Malgré quelques réticences à la monnaie unique, la Banque Centrale fut capable de contenir l'inflation à des taux très bas et les marchés financiers firent confiance à l'édifice européen : les taux d'emprunt baissèrent de façon presque uniforme dans toute l'Union Européenne.
Les experts postulèrent que l'intégration économique pouvait se faire sans harmonisation économique, fiscale et sociale. Ainsi il fut admis que la libre circulation des biens et des capitaux devait favoriser la concurrence et l'innovation. On estima qu'avec quelques règles de gouvernance, l'Euro ferait naturellement converger les économies vers le haut. Malheureusement, il contribua surtout à accentuer les divergences en favorisant la désindustrialisation du sud de l'Europe et en générant de l'instabilité notoire avec des taux d'intérêt anormalement bas.
Derrière la façade de la monnaie unique, des écarts croissants
Et c'est ainsi que derrière l'inflation basse se creusaient des écarts entre les économies, qui n'attendaient que d'exploser. L'augmentation des prix était bien plus forte dans les pays périphériques que dans les pays du Nord. La politique de l'Euro fort combinée à des taux anormalement bas conduisit les pays du Sud à investir dans les secteurs protégés, comme l'immobilier, jugés plus rentables que les entreprises menacées par la concurrence européenne. Pendant que le Nord de l'Europe achevait sa montée en gamme, les autres Etats-Membres s'enfonçaient dans la désindustrialisation, aveuglés par les taux d'emprunt et bercés par l'illusion d'une croissance en apparence solide.
Maintenant, mettez dans un panier une monnaie unique, une politique monétaire unique, des pays européens économiquement différents, une incitation au dumping fiscal entre Etats-Membres et l'absence de solidarité ou de politiques industrielles européennes : vous obtenez une instabilité grandissante.
La zone euro plonge...
La crise économique et financière retourna la situation à notre désavantage.
Dans une union purement économique, les démocraties nationales se sont vues retirer leur liberté monétaire sans contrepartie ni compensation à l'échelle européenne. Aussi, le taux de croissance moyen au sein de la zone Euro est plus faible qu'à l'extérieur, le taux de chômage est élevé, les dettes publiques s'envolent, les taux de marge et les investissements chutent, la demande s'effondre et la déflation nous guette. La zone Euro plonge maintenant dans une trappe à liquidités, c'est-à-dire que même la politique accommodante de la Banque Centrale Européenne se révèle inefficace.
Aujourd'hui, de nombreux économistes s'interrogent sur le taux de change de l'Euro face aux autres monnaies, en particulier le Dollar. Bien que cette remise en question soit légitime, il me semble qu'on inverse cause et conséquence. En effet, si l'Euro semble trop fort pour certaines économies européennes, il faut savoir que certains pays européens s'en accommodent très bien et que la balance courante de la zone Euro est à l'équilibre (égalité entre importations et exportations). Ce constat nous ramène à l'hétérogénéité de la zone Euro, exacerbée par la monnaie unique et l'absence de politiques européennes dignes de ce nom. La question du taux de change n'est donc que la conséquence d'une erreur politique de construction de l'Euro. Plus simple à dire qu'à réaliser, un ajustement par une dévaluation de l'Euro – ou une sortie de l'Euro – sans volontarisme politique aiderait mais serait voué à l'échec, faute de régler les problèmes structurels.
Pourtant, il existe des solutions
L'Euro et sa politique monétaire ne sont donc qu'un outil au service des démocraties. Il peut être une plaie en l'absence de volontarisme politique mais également une aubaine quand les Etats-Membres coopèrent... Car des solutions, il y en a.
Compte tenu de notre enlisement dans ce qu'on appelle déjà la « Grande Dépression », il ne reste guère plus que deux options : la fin de l'Euro en tant que monnaie unique – qui pourrait toujours coexister en tant que monnaie européenne – ou le fédéralisme qui nécessitera un budget européen substantiel.
Encore une fois : dans un cas comme dans l'autre, il faudra du courage politique pour obtenir une politique économique commune bénéfique à l'Union Européenne.