Pour avoir écrit, il y a quelques années, dans un article publié dans le journal Le Monde, que la frontière scientifique et technique se trouvait à nouveau aux Etats-Unis, j’ai provoqué à l’université de Bordeaux une levée de boucliers qui a compromis ma mutation dans cette prestigieuse institution[1].
Parce que j’ai énoncé un fait et, conformément à la démarche du chercheur, partant de ce fait pour tenter d’en comprendre l’origine, j’étais traité de « pro-américain » - insulte suprême - par des collègues dont la plupart tirent toujours leur science économique du Capital de K. Marx. Dois-je comprendre que le médecin qui étudie le cancer est pro-cancer ?
Mais au diable les querelles académiques franco-stériles, intéressons-nous aux faits car ils sont têtus.
A cette époque, après la médecine, la recherche américaine était encore consacrée par la fondation Nobel avec deux prix récompensant des astrophysiciens américains. Depuis 18 ans, la recherche américaine affirme sa suprématie dans ce domaine le plus pointu des sciences de la nature, pourtant livrée aux forces du marché.
Puis, c’est le prix Nobel de chimie qui a été attribué à un chimiste…américain. Enfin, le prix Nobel d’économie venait d’être attribué à l’économiste américain Edmund Phelps pour ses travaux fondamentaux sur la croissance (qui nous servirait tant aujourd’hui). Il a bel allure le déclin américain périodiquement annoncé (souhaité ?) par nos intellectuels en colère… Mais quand on voit comment s'est déchaînée la campagne de désinformation en France par rapport aux travaux de Phelps, on se dit que l’on n’est pas prêt en France de sortir de l’impasse qui ruine tout retour à la prospérité[2].
La France devrait se mobiliser à l’ONU sans doute pour demander à ce que soient appliqués des quotas dans l’attribution des prix Nobel, reflétant plus justement la diversité culturelle dans le monde. Certains pensent sérieusement à imposer des quotas ethniques. Mais si on le fait pour le Nobel, il faudrait le faire pour le sport, la musique...
Niant la réalité des baromètres internationaux, pourtant indépendants, on vient à remettre en cause l’impartialité du comité Nobel, entièrement dévoué à la cause américaine, et les classements internationaux des universités (désormais aux mains des universités chinoises).
Mais le fait est que les astrophysiciens, chimistes, biologistes ou économistes du monde entier, qui veulent travailler sérieusement (avec des moyens réels) et librement (en toute indépendance car une science manipulée n’est plus une science), trouvent un meilleur accueil dans les universités américaines. Et ils viennent du monde entier.
Est-ce là le fait d’un complot gigantesque de la part du gouvernement américain ou d’un aveuglement suicidaire de la part des autres pays dont les gouvernements sont autant enclins à manipuler l’information, la masse monétaire ou la connaissance scientifique ?
Pendant ce temps, en France, on invite les lycéens et étudiants à célébrer la fête de la science alors que les filières scientifiques peinent à trouver des effectifs. Et des ouvrages entiers pleuvent dont le thème central consiste à dénigrer - quand ce n’est pas insulter- la nation américaine avec leur ramassis de poncifs et de clichés dignes de la presse caniveau la plus sordide.
Mais nos intellectuels en sont convaincus : à leurs yeux, les américains ne sont que des "crétins". Ils espèrent peut-être être ainsi couronnés par le prix Nobel de littérature.
Pourtant, à nouveau, en octobre 2012, deux économistes américains Alvin Roth et Llyod Shapley ont été récompensé par le prix Nobel d’économie pour leurs travaux appliqués à l’étude des comportements des acteurs sur le marché. Personnellement, j’ai eu l’occasion de partager un moment unique dans la vie d’un jeune chercheur lorsque Ronald Coase, un économiste américain récompensé par le prix Nobel en 1991, est venu me parler après ma première conférence que j’ai donnée à l’université de Stockholm alors que je venais de soutenir ma thèse.
Il me sentait déjà découragé, alors que je commençais à peine ma carrière mais que je m’interrogeais sur mon possible recrutement en France, il m’a alors transmis des mots d’encouragement que je n’ai jamais oubliés. Il y a des rencontres qui comptent dans notre vie. Il suffit de les provoquer un peu.