Arrêtons de privatiser les gains et de socialiser les pertes

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Par Captain Economics Modifié le 10 mars 2013 à 11h07

Le concept de "too big to fail" (traduction hasardeuse "trop importante pour faire faillite") caractérise la situation d'une banque ou d'une institution financière dont la faillite serait catastrophique pour l'ensemble de l'économie, et qui bénéficie donc implicitement d'une garantie de l'Etat... et donc implicitement d'une garantie de la part de chaque contribuable (vous et moi). Ce concept a émergé au début de la crise financière en 2008, lors du sauvetage d'AIG par le gouvernement américain, sous le prétexte (justifié) qu'AIG aurait entrainé dans sa chute de très nombreuses banques et institutions. Toutes les banques et institutions étant reliées entre elles, si l'une d'elle est mise à mal, un effet boule de neige, domino ou de contagion (appelez ça comme vous voulez) risque de faire tomber l'économie d'un pays. Il suffit de voir les dégâts causés par la chute de Lehman Brothers en septembre 2008 pour se rendre compte de cela.

"Socialisation des pertes et privatisation des gains" ! Bien que cette phrase puisse avoir à première vue une ressemblance avec un discours de Mélenchon, de très nombreux experts partagent cette analyse pour expliquer le comportement des banques avant, pendant et après la crise. Parmi ces experts, se trouve entre autre l'actuel gouverneur de la Banque Centrale d'Angleterre, Mervyn King. Avouez qu'il y a tout de même davantage communiste qu'un gouverneur de Banque Centrale... Dans un discours daté de 2009 mais (malheureusement) toujours autant d'actualité, le futur-ex président de la Banque d'Angleterre (il sera remplacé en juillet 2013 par l'actuel gouverneur de la Banque Centrale du Canada, Mark Carney) évoque le problème du "too big to fail" du monde financier, et propose diverses solutions pour régler cela (source: Mervyn King speech).

Selon Mervyn King, le Royaume-Uni fait face à deux challenges fondamentaux de long-terme : (1) le besoin de rééquilibrer l'économie domestique, en allouant davantage de ressources à l'investissement et aux exportations, et moins à la consommation et (2) réformer et réguler le système bancaire ! Et c'est sur ce second point que le Captain' va s'attarder.

Comme toutes entreprises privées, une banque doit pouvoir faire faillite en cas de mauvaise gestion ou de prises de risque inconsidérées ! Si ce risque de faillite n'existe pas (garantie implicite de sauvetage de l'Etat), alors cela crée une distorsion dans le management des banques, en poussant justement les banques à prendre davantage de risque. Prenons un exemple ! Mettez vous à la place d'une banque. Si vous faites faillite, vous savez que cela causera des dégâts énormes sur l'ensemble de l'économie, et même si l'Etat ne vous le dit pas explicitement, vous anticipez que votre banque sera renflouée par l'Etat en cas de problèmes. Vous avez un million d'euros devant vous et nous sommes la veille de Noël. Vous n'avez pas encore fait de cadeau à votre femme, ni touché votre bonus. Que faites-vous ? Et bien vous allez gentiment spéculer sur les marchés : si vous gagner c'est bingo pour vous (privatisation des gains) et si vous perdez, pas de problème, l'Etat vous sauvera (socialisation des pertes).

"Banks and their creditors knew that if they were sufficiently important to the economy or the rest of the financial system, and things went wrong, the government would always stand behind them. And they were right." (Mervyn King - Gouverneur de la Banque d'Angleterre)

Cet exemple est un peu caricatural ; si vous perdez tout en bourse, vous allez tout de même sûrement vous faire virer et l'aide de l'Etat n'est pas un don, mais bien un prêt sur lequel votre banque va devoir payer des intérêts. Mais la notion économique de "hasard moral" est bien présente dans le cas des institutions "too big to fail".

Un peu partout dans le monde, les banques deviennent de plus en plus grosses (la taille du bilan de la BNP est équivalente au PIB de la France, soit environ 2000 milliards d'euros !!!) et ont des effets de levier de plus en plus important (pour faire simple, leurs gains comme leurs pertes sont multipliées par diverses méthodes financières). Il devient donc nécessaire de (1) soit contrôler et réguler les banques, pour éviter à tout prix le risque de faillite en créant des coussins de sécurité (des "buffers" en anglais) un peu partout soit (2) accepter le fait qu'une banque puisse faire faillite en faisant en sorte que cela n'entraîne pas des conséquences insoutenables pour le reste de l'économie.

La réforme Bâle III, ayant pour but d'améliorer la solidité des banques en imposant de nouvelles normes sur le niveau et la qualité des fonds propres, va dans le sens de notre première proposition (créer des coussins de sécurité pour renforcer les banques). Bâle III, c'est un peu comme un airbag dans une voiture. En cas d'accident, un airbag peut vous sauver la vie, tout comme des fonds propres élevés peuvent éviter la faillite de votre banque. Mais même avec un airbag, un accident peut-être fatal ! Bâle III renforce la solidité des banques, mais sans pouvoir prévenir à coup sûr les faillites. Une banque peut paraître sure à un moment donné et disposer de ratios de liquidité conformes aux normes de Bâle III ... et tout de même faire banqueroute en cas de retournement des anticipations du marché. Un exemple, qui n'est pas en rapport avec Bâle III mais qui montre tout de même la difficulté d'anticiper la solidité d'une banque en cas de violent choc sur le marché, est la banque Dexia, qui avait passé avec succès les "stress-tests" menés par la Commission Européenne en 2010 ... avant de se faire sauver de la banqueroute quelques mois après !

Attention, je ne dis pas que Bâle III est une mauvaise chose et qu'il est stupide d'instaurer réglementairement des coussins de sécurité dans les banques pour amortir les chocs. Au contraire même ! Mais je dis simplement que ce n'est pas une solution miracle, et que le problème du "too big to fail" ne disparait pas d'un coup d'un seul. Comme dirait mon ami de la Banque d'Angletterre : "A larger buffer gives new creditors greater comfort that their claims will be met in future, without resort to the public purse. And rather than pay out dividends or generous remuneration, banks should use earnings to build larger capital buffers. But how much larger? We simply don’t know. A higher ratio is safer than a lower one, but any fixed ratio is bound to be arbitrary."

La seconde approche est de refuser le fait qu'une institution soit "too big to fail", ce qui retirerait alors la garantie implicite de l'Etat et responsabiliserait en même temps les banques. Pour cela, Mervyn King estime qu'il convient de séparer en deux les activités des banques : (1) les activités permettant l'investissement des entreprises et des ménages et (2) les activités de marché "à risques" (proprietary trading par exemple). L'objectif de la séparation bancaire est donc que l'Etat garantisse uniquement la partie (1) de la banque, mais pas la partie (2).

Il faut cependant comprendre que la frontière est souvent étroite entre les activités "utiles à l'économie" et les "activités spéculatives". Lorsqu'une banque par exemple achète un contrat "future" à un producteur de blé en garantissant un prix d'achat dans X mois, l'activité de la banque est à la fois utile à l'économie (car offrant une sorte d'assurance au producteur contre une future variation du prix du blé) mais aussi spéculative (la banque spécule sur une hausse du cours). Cela dit, essayer de séparer les activités n'est pas non plus une mission impossible ! Il existe en effet déjà, par exemple dans le cadre de la réglementation bancaire pour le calcul du capital minimum exigé, des distinctions entre les différentes activités des banques. Cela pourrait servir à créer une délimitation entre l'activité "utile" garantie explicitement par l'Etat et l'activité de "spéculation" non-garantie (avec forcément un côté arbitraire de temps à autre) !

Un dernier point allant dans le sens de la suppression de l'aléa moral est la rédaction d'un "testament bancaire" ou d'un "plan de continuation de l'activité" (c'est moins morbide). Lors d'une crise, la panique et l'incertitude peuvent causer davantage de dégâts que le choc lui-même. Un plan de continuation de l'activité, qui serait préparé à l'avance par l'ensemble des grandes banques, aurait pour objectif de réfléchir en amont aux solutions pouvant être mises en place en cas de graves crises, comme par exemple la façon dont doit être démanteler la banque en cas de faillite... En ayant déjà anticipé les crises possibles et en ayant des solutions potentielles selon le type et la gravité de la crise, cela permettrait d'éviter une panique générale, comme on a pu le voir par exemple en septembre 2008 au moment de Lehman Brothers puis d'AIG.

Conclusion : Il est absolument nécessaire de supprimer cet aléa moral entourant le secteur bancaire ! Une entreprise privée doit pouvoir faire faillite sans mettre en danger l'ensemble de l'économie. Pour cela, il n'existe malheureusement pas de solution miracle ! Quelques réformes ont été mises en place depuis la crise (Dodd-Frank act aux USA, Bâle III...), mais c'est tout de même un peu timide ; les banques sont toujours clairement "too big to fail" et Bâle III ne sera pleinement actif qu'en 2018 (début en 2015). Il y a une dizaine de jours en France, la réforme de scission bancaire a été adoptée par l'Assemblée; séparant les activités les plus spéculatives de la banque de détail. C'est déjà un début ....

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Doctorant en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et professeur d'économie à l'IESEG Paris, Thomas Renault est le créateur du site Captain Economics, un blog ayant pour but de démystifier l'économie, en abordant cela sans prise de tête ni prise de parti.  

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