Le Plan Préfectures Nouvelle Génération (PPNG), pensé pour moderniser la délivrance des cartes grises en tirant parti de la dématérialisation, a jeté un pavé dans la marre administrative. Un personnel qui manque de formation, des problèmes logistiques qui s’accumulent : les derniers chiffres évoquent encore 200 000 documents en attente, coincés dans les rouages de l’administration. Quelle(s) solution(s) pour débloquer la situation et pérenniser la démarche ?
PPNG : Fausse bonne idée ?
En vigueur depuis janvier 2017, le Plan Préfectures Nouvelle Génération (PPNG), porté par Bernard Cazeneuve et confirmé par le Ministre de l’Intérieur de l’époque Bruno Le Roux, avait pour vocation de limiter les démarches en préfecture pour éviter les déplacements inutiles, réduire les flux d’attente et satisfaire davantage les utilisateurs. Le web semblait être l’outil parfait pour cela.
Néanmoins, en pratique, la démarche n’a pas eu l’effet escompté. Les nombreux bugs du site de l’ANTS (Agence Nationale des Titres Sécurisés), plateforme unique dédiée aux cartes grises, déjà responsables de retards logistiques, s’accompagnaient d’une activité bien plus forte que celle que l’État avait anticipée.
PPNG : un enjeu économique
Pour faire face à cette forte hausse d’activité, le Ministère de l’Intérieur a déjà amorcé la simplification du PPNG afin de fluidifier l’administration. Ainsi, deux solutions ont été actées : l’ANTS a été renforcée par quatre nouvelles plateformes de traitement des demandes de carte grise, et l’État a dû embaucher un grand nombre de contractuels, formés dans l’urgence. Néanmoins, ce système compte encore de nombreuses défaillances.
D’une part, la dématérialisation, perçue comme source d’importantes économies pour l’État, s’est avérée plus onéreuse que prévue : les coûts générés par les recrutements et la formation ont d’ailleurs poussé l’actuel Ministre de l’Intérieur Gérard Collomb à demander un rapport de l’Inspection Générale de l’Administration (IGA) afin de comparer le coût et les avantages réels du PPNG.
D’autre part, la formation trop rapide des contractuels destinés à accélérer la gestion des demandes pose de nombreux problèmes logistiques. La délivrance de cartes grises est un métier : le nombre de documents possibles, dépendant à la fois du véhicule, de sa provenance et des spécificités du demandeur (particulier, société, personne hébergée, etc.), est proche d’une centaine. Il est donc nécessaire d’être spécialiste pour mener à bien cette entreprise complexe.
Ainsi, pour une demande de carte grise destinée à une moto, certains utilisateurs se sont vu réclamer le contrôle technique du véhicule – une étape et donc un document qui n’est pourtant pas nécessaire pour cette démarche. Un exemple aberrant qui met en avant le point suivant : l’usager se retrouve seul face à ce problème sans pouvoir communiquer avec une personne pouvant lui expliquer l’erreur et son incapacité à fournir ce document.
La dématérialisation : des avantages… et des limites
Avant la mise en place de ces téléprocédures, le processus de délivrance d’une carte grise nécessitait certes de se déplacer en préfecture avec les bons documents, mais permettait néanmoins d’être immédiatement immatriculé. Aujourd’hui, la dématérialisation du procédé laisse les particuliers livrés à eux-mêmes face à une interface web peu intuitive, une liste de documents complexes à fournir et des erreurs de traitement. En délaissant la « relation client », qui était pourtant au cœur de la démarche, l’État capitalise (à tort) sur un imaginaire répandu : sur le web, tout est plus simple. Résultat : la difficulté à rassembler l’ensemble des documents nécessaires bloque la délivrance. Car si la dématérialisation a bien l’avantage de réduire les coûts pour l’État et d’éviter les déplacements des demandeurs, permettre un accompagnement administratif reste incontournable.
Vers la privatisation de la délivrance de cartes grises ?
Face à cette procédure trop lente et trop complexe, il est nécessaire de repenser l’ensemble de la téléprocédure pour replacer la satisfaction client au cœur des priorités. C’est le parti pris de certains acteurs privés qui concentrent leurs compétences spécialisées pour répondre à ce besoin. L’État doit-il donc favoriser une délégation du service public vers les entreprises privées ?
L’État a déjà effectué cette démarche pour l’examen du Code de la Route, confié à des entreprises tierces, pour des résultats tout à fait satisfaisants. Pour les cartes grises, cela permettrait de rassembler l’ensemble des démarches auprès d’un intermédiaire unique, et notamment de donner aux vendeurs et acheteurs la possibilité de s’affranchir du code de session, un code unique à récupérer sur le site de l’État pour déclarer une vente et mettre à jour une carte grise. Une solution qui allierait économies et efficacité.
Si la délivrance de cartes grises a longtemps constitué une mission régalienne, la mise en place du Plan Préfectures Nouvelle Génération pourrait bien changer la donne. Les enjeux logistiques et économiques liés à la dématérialisation, ainsi que le manque d’accompagnement manifeste qui complexifie encore le processus, pourrait pousser l’État à déléguer pour conjuguer avantages financiers et efficacité de procédure.