Les cinq priorités de la COP26 selon l’optique de l’investisseur

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Par Stéphane Monier Publié le 21 octobre 2021 à 6h48
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cc/pixabay - © Economie Matin
54%En Norvège, les ventes de véhicules électriques représentent 54% de l'ensemble des ventes de véhicules.

En tant qu'investisseurs, notre rôle est de comprendre et de gérer les risques liés à la transition climatique, et de saisir les opportunités. La Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP26), qui se déroulera à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre, représente une occasion unique de réunir des participants en provenance des secteurs public et privé afin d'accélérer la mise en œuvre des objectifs de l'Accord de Paris. Nous examinons cinq domaines d'action prioritaires pour les investisseurs.

- Les investisseurs ont besoin de feuilles de route plus claires pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris, comprenant les cibles intermédiaires en matière de réduction des émissions, les directives politiques et les stratégies industrielles.

- Les efforts doivent se concentrer sur le secteur de l'énergie, en supprimant les subventions accordées aux combustibles fossiles et en proposant des incitations par les prix pour les nouvelles technologies. Des mécanismes plus précis en matière de fixation de prix et d'échange de droits d'émission de carbone sont également essentiels.

- Des cadres communs d'investissement permettraient de déployer 120.000 milliards de dollars de capitaux privés en faveur de la transition vers la neutralité carbone.

- Il serait aussi souhaitable de mettre l'accent sur la nature, notamment en fixant un prix correct pour les ressources naturelles et en développant des solutions climatiques naturelles pour compenser les émissions de gaz à effet de serre.

Les investisseurs ont besoin de plus de clarté sur la neutralité carbone

Pour limiter l'augmentation de la température mondiale à 1,5 °C, les émissions de gaz à effet de serre devront être réduites de moitié d'ici 2030 et la neutralité carbone atteinte d'ici 2050. Six ans après l'accord de Paris, nous estimons que près de 80% de l'économie mondiale est désormais couverte par des objectifs de zéro émission nette de diverse nature. Pourtant, les investisseurs ont besoin de clarifications sur la stratégie et les plans d'action pour y parvenir – comprenant les objectifs intermédiaires en matière de réduction des émissions, les orientations politiques et les stratégies industrielles. Des progrès sont nécessaires à la COP26. En matière de réduction des émissions, les tendances actuelles ne sont pas alignées avec les engagements pris par les gouvernements, et la trajectoire empruntée par l'économie réelle est loin de 1,5°C.

Il est donc difficile d'allouer des capitaux à large échelle dans une optique de zéro émission nette. Pour éviter les chocs susceptibles de menacer la stabilité financière, les gouvernements, l'industrie, les régulateurs et les investisseurs doivent travailler ensemble afin d'assurer une adaptation et une réévaluation des actifs progressives. Rien que pour les risques climatiques physiques, tels que les inondations et les incendies de forêt, on estime que la couverture d'assurance est insuffisante à hauteur de 227 milliards de dollars. L'utilisation par le Mexique de capitaux publics et privés pour assurer le récif corallien contre les dommages dus aux tempêtes est une réponse encourageante à cet égard.

Pour leur part, les industries doivent fixer des objectifs scientifiquement fondés et soutenus par une politique et une réglementation fermes. Cela aidera les investisseurs à prendre des décisions éclairées concernant les entreprises à soutenir. L'industrie automobile en est un bon exemple. Aujourd'hui, le secteur des véhicules électriques (VE) joue un rôle moteur dans la transition de la branche, mais les subventions gouvernementales et l'interdiction envisagée de la vente de véhicules à essence ont également constitué des incitations importantes. En 2020 en Norvège, elles ont permis de faire grimper les ventes de VE à 54% des ventes totales de véhicules.

Mettre l'accent sur l'énergie et supprimer les subventions aux combustibles fossiles

Nulle part la nécessité d'une transition vers la neutralité carbone n'est plus aiguë que dans le secteur énergétique. Selon l'Agence internationale de l'énergie, les sources renouvelables devront fournir 90% de l'énergie mondiale d'ici 2050. Toutefois, les combustibles fossiles en représentent encore 84%. Certes, des progrès ont été réalisés - plus d'un tiers de l'électricité mondiale provient désormais de sources renouvelables - mais il est très difficile de changer la dynamique des transports et du chauffage.La suppression des subventions aux combustibles fossiles et la mise en place d'incitations par les prix pour les nouvelles technologies seront des priorités urgentes de la COP26.

La récente flambée des prix du gaz et du pétrole incite à investir dans des solutions de remplacement, mais elle indique aussi combien l'abandon des combustibles fossiles peut être déstabilisant. En Europe, les projets d'augmentation de la taxe carbone sur l'essence et le chauffage ont rencontré une forte opposition de la part de ceux qui craignent une aggravation de la précarité énergétique. Le changement doit protéger les plus vulnérables, car les subventions soutiennent souvent les personnes à faibles revenus. Dans ce domaine, les partenariats public-privé contribuent à financer et à réduire les risques liés aux investissements à long terme, notamment dans les infrastructures vertes, l'hydrogène propre et le stockage de l'énergie.

Au Royaume-Uni, les systèmes de contrat pour la différence de carbone (CCfD) ont contribué à développer le secteur des énergies renouvelables. Parallèlement, les tests de résistance des banques centrales devraient révéler les institutions fortement exposées aux combustibles fossiles et aux risques de concentration, les agences de notation améliorant la transparence. Il est crucial que les investisseurs financent les entreprises en transition, et pas uniquement celles actives dans des secteurs à faible intensité de carbone. Il est encourageant de constater que les valorisations des entreprises reflètent de plus en plus leur contribution en matière de climat. Il y a huit ans, ExxonMobil était l'entreprise la plus valorisée au monde. En septembre 2021, elle a chuté au 35ème rang, alors qu'en 2020, NextEraEnergy, une société spécialisée dans l'énergie renouvelable, l'a brièvement dépassée.

Amélioration des mécanismes de tarification du carbone

La COP26 devrait plaider pour un prix du carbone équitable en tant que mécanisme essentiel pour faire progresser la décarbonisation. Le FMI estime que le prix de 80% des émissions mondiales n'est pas fixé. Les mécanismes nationaux et régionaux d'échange de droits d'émission de carbone n'offrent qu'une couverture inégale. La Chine n'a commencé à échanger de tels droits pour certaines industries qu'en juillet 2021, avec un prix du carbone équivalent à quelque 6,5 euros par tonne. Selon la Banque mondiale, les prix devraient s'approcher de 100 euros par tonne pour commencer à atteindre les objectifs de l'Accord de Paris et, dans la plupart des scénarios, devraient continuer à augmenter à mesure que les émissions restantes diminuent et deviennent plus difficile à réduire. Le système européen d'échange de quotas d'émission (SEQE), l'un des plus avancés au monde, distribue encore un grand nombre de quotas, notamment dans l'aviation.

Les taxes nationales à l'importation contribuent à réduire les « fuites » de carbone en délocalisant les activités à forte intensité de carbone, mais elles demeurent impopulaires. En juin, le FMI a proposé une alternative : un prix plancher du carbone à l'échelle internationale pour un nombre restreint de grands émetteurs, avec des taux variables pour les pays « avancés », « à revenu élevé » et « à faible revenu ». Une augmentation du prix du carbone devrait contribuer à encourager l'innovation technologique, comme l'économie hydrogène, et à favoriser les activités à faible émission de carbone. Les revenus des marchés du carbone pourraient être redistribués pour aider les ménages à faire face à la hausse des prix de l'énergie et financer la réduction des risques climatiques.

Des cadres d'investissement communs pour mobiliser les capitaux privés

Les signataires des Principes pour l'investissement responsable des Nations Unies représentent un puissant capital de 120 000 milliards de dollars. Cependant, il n'existe aucun cadre commun sur la manière de l'investir, ni de définir les produits financiers durables. Les régulateurs tentent de fixer des normes dans le domaine, via la Taxonomie européenne et le Règlement relatif à la publication d'informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (Sustainable Finance Disclosure Regulation SFDR) en Europe, mais ils se heurtent à des limites. Les approches d'investissement actuelles vont de l'exclusion aux critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), en passant par des mesures plus larges. Chez Lombard Odier, nous considérons les critères ESG comme un point de départ pour évaluer les pratiques opérationnelles historiques des entreprises. En outre, nous nous concentrons sur les mesures prévisionnelles qui examinent les modèles d'affaires et évaluent « l'impact sur la valeur climatique (IVC) » ou les risques physiques, de transition et de responsabilité auxquels les entreprises font face dans le cadre de la transition climatique.

En matière d'allocation de capital, notre ligne directrice est l'exposition financière relative au climat, et non la focalisation sur les entreprises à faibles émissions de carbone. Notre mesure de la hausse implicite de la température (Implied Temperature Rise ITR) évalue si les stratégies de décarbonisation des entreprises suffisent à maintenir le budget carbone mondial dans les limites nécessaires pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris. Nous cherchons donc à investir non seulement dans les sociétés qui fournissent des solutions vertes et dans les entreprises protégées contre les risques liés à la transition, mais aussi dans les entreprises de secteurs à fort taux d'émission de gaz à effet de serre, ayant une incidence sur le climat, et dont la stratégie de décarbonisation est crédible. Nous baptisons ces entreprises « glaçons » : elles ont un IVC positif et contribuent à refroidir l'économie. Nous cherchons à éviter les « bûches en feu », c'est-à-dire les entreprises fortement émettrices qui ne prévoient aucun changement : elles ont un IVC négatif. Cette approche s'appuie sur les recommandations du Groupe de travail sur les informations financières liées au climat (TNFD), qui mettent l'accent sur les mesures d'alignement des portefeuilles, y compris les ITR.

Nous accueillerons favorablement tout effort de la COP26 visant à adopter ces recommandations au niveau mondial et à encourager les sociétés d'investissement à travailler avec des experts du climat pour développer et tester la résistance de leurs modèles, comme nous le faisons en interne et via notre partenariat avec l'Université d'Oxford. Une plus grande standardisation contribuerait également à résoudre les problèmes de « greenwashing ». Compte tenu de l'afflux massif de fonds ESG et de la remise en question croissante, de la part des investisseurs, des méthodologies sous-jacentes, une érosion de la confiance constitue un risque important, non seulement pour le secteur, mais aussi pour la transition climatique. La transparence et les normes communes, telles que celles que le TNFD cherche à fournir, représentent la solution évidente.

Mettre l'accent sur la nature

Le changement climatique – objectif de la COP26 – n'est que l'une des neuf fonctions planétaires scientifiquement fondées qui définissent « l'environnement opérationnel sûr » de l'humanité. Nous accueillerions favorablement une ambition plus vaste pour définir des feuilles de route, des stratégies d'investissement et des objectifs industriels plus clairs afin d'aborder ces problèmes, notamment la déforestation, la biodiversité et l'acidification des océans. Dans le seul domaine de la biodiversité, 68% des populations animales ont disparu au cours des 50 dernières années, la destruction de la nature augmentant la transmission de maladies d'origine animale, comme le Covid-19, et menaçant le pipeline de découverte de nouveaux médicaments (issus pour la plupart de la nature). La COP26 pourrait être une occasion de discuter de la manière d'imposer un prix équitable pour l'utilisation des ressources naturelles, et aussi de favoriser le développement de solutions climatiques naturelles.

Ces solutions basées sur la nature, comme l'agriculture et la sylviculture, constituent le moyen le plus puissant de capturer le CO2 que nous émettrons encore dans un monde à zéro émission nette. Examiner les moyens de les développer en tant que solutions d'investissement – par exemple en vendant des crédits-carbone à ceux qui veulent compenser les émissions et en utilisant la forêt comme un puits de carbone – sont des priorités importantes pour les responsables politiques, l'industrie et les investisseurs.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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