Monsieur Fillon, La primaire de la droite et du centre a confirmé la puissante volonté de débat démocratique dans notre pays.
Si je m'adresse à vous aujourd'hui, c'est parce qu'il me parait urgent de clarifier ou d'amender certains aspects de votre projet, qui me semblent encore flous, ou en inadéquation avec notre époque. Je pense en particulier à votre rapport au libéralisme, à la révolution technologique, à l'énergie, et aux institutions.
La France a trop tardé pour accomplir les réformes de structure les plus essentielles. Je partage votre volonté d'introduire plus de liberté dans notre économie, d'assouplir le marché du travail, et de diminuer la fiscalité pour retrouver notre souveraineté budgétaire. J'attire cependant votre attention sur le fait que le libéralisme économique peut se décliner en deux variantes profondément antagonistes : le libéralisme entrepreneurial, et le libéralisme prédateur. De laquelle de ces deux variantes êtes-vous le promoteur ? En ce qui me concerne, je défends sans ambiguïté le premier libéralisme, et j'ose affronter de face le second. Le libéralisme entrepreneurial est en effet le plus noble qui soit. Il défend les valeurs de création, d'innovation et de partage des richesses. A l'opposé de ce libéralisme entrepreneurial, sévit un libéralisme prédateur. Outrancier et hors de contrôle, celui-ci sert les intérêts de la finance sans visage, des lobbies et d'une poignée de multinationales désincarnées. Il est l'ennemi de la démocratie et de la souveraineté des peuples.
La période actuelle nous oblige aussi à nous interroger sur le progrès technologique. La Troisième révolution industrielle bouleverse tout : l'économie, le travail, la santé, les transports... Deux attitudes sont possibles : aborder cette révolution technologique sous un angle uniquement économique, donc forcément court-termiste. Ou alors appréhender le sujet de manière plus globale, ce qui implique aussi de réfléchir aux indispensables garde-fous que la puissance publique devra rapidement poser. Je pense notamment aux enjeux liés à la robotisation et à l'intelligence artificielle. Dans le premier cas, nous prendrions le risque d'être broyés par le rouleau compresseur de ce nouveau techno-libéralisme. Dans le second cas, la France pourrait s'illustrer comme un laboratoire mondial d'un nouveau modèle de société.
Je souhaiterais également vous parler de l'énergie. Vous défendez l'option du nucléaire. Il est vrai que cette énergie a permis à la France d'acquérir son indépendance électrique. Seulement, il est aujourd'hui objectivement démontré que les énergies solaires et éoliennes sont plus compétitives que les réacteurs nucléaires de troisième génération. La croissance verte n'est plus une lubie d'écologistes dogmatiques, mais répond à un impératif pragmatique.
Enfin, même si je sais qu'elle ne vous parait pas prioritaire, je voudrais évoquer avec vous la question des institutions. Nous devons rompre avec l'idée selon laquelle la politique est un métier. Etant vous-même dans la politique depuis des décennies, je comprends que vous puissiez défendre ce point de vue. Or il se trouve que la société civile aspire à s'impliquer davantage dans la vie publique. Une seule mesure permettrait de rafraîchir considérablement et en peu de temps notre vie démocratique : le non cumul des mandats dans la durée. Les parlementaires ne voteront jamais une telle loi. C'est donc au président de la République de convoquer un référendum sur ce sujet.
Monsieur Fillon, je crois en votre capacité à redresser l'économie à court terme par des mesures courageuses. Cette prise de risque vous honore. Il manque cependant à votre projet une dimension supérieure : l'avenir de la France. Nos compatriotes sont prêts à consentir des sacrifices, à condition toutefois de savoir dans quel but ils s'inscrivent. Vous dites vouloir « casser la baraque ». Mais quelle nouvelle « baraque » proposez vous de construire ?
Depuis que nous avons lancé le mouvement Objectif France (qui réunit aujourd'hui plus de 20000 citoyens), nous n'avons cessé de placer la bataille des idées au coeur du débat public. Les chantiers que nous avons devant nous sont immenses : repenser notre rapport au travail, repenser notre système de santé, repenser notre rapport à l'énergie, repenser notre école... Cet indispensable bond dans l'avenir n'est pas une négation du passé. Au contraire. Il doit s'appuyer sur la profondeur de notre histoire, sur nos racines, sur nos valeurs, sur nos principes. Là est notre ligne de crête.
L'enracinement et l'audace sont les clés de notre grandeur retrouvée.
Lettre publiée initialement sur Objectif France