États-Unis : à gauche toute, mais quand même pas trop !

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Par Hervé Goulletquer Publié le 10 février 2020 à 13h23
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@shutter - © Economie Matin
4,6%Le ratio déficit PIB des Etats-Unis est de 4,6%.

Les chiffres de l’emploi américain de janvier ont été bons, mais le marché s’est gardé de les prendre au pied de la lettre. Une dessaisonalisation imparfaite et la poursuite de la baisse de la durée du travail invitent à une certaine retenue en matière de dynamisme de l’économie. Et ceci même si le marché du travail continue de bien se porter.

A la veille de la primaire du New Hampshire, il faut s’intéresser à la ligne politique de Pete Buttigieg. Il nous apparaît authentiquement à gauche, mais pas de façon aussi ‘extrême ‘ que Sanders ou Warren. Le marché va-t-il s’en inquiéter ?

Les chiffres de l’emploi américain en janvier, si bons soient-ils, n’ont pas enthousiasmés le marché ; Ou, pour mieux dire, l’ont laissé indifférent. On peut comprendre une certaine reprise de souffle du côté des indices actions, après une série de séances au déroulé plutôt tonique. Pourtant, les 225 000 nouveaux postes de travail créés ont plutôt bonne mine. Contrairement à l’idée consensuelle, aucun ralentissement de tendance n’est discernable. 211 000 emplois ont été créés en moyenne au cours des trois derniers mois connus et 206 000 au cours des six derniers mois.

Il faut cependant se garder d’un regard trop complaisant. Deux réserves sont à mettre en avant. D'abord, les conditions climatiques ont été douces le mois dernier aux Etats-Unis. Ce qui fait que la dessaisonalisation a été inopérante. Le chiffre présenté est assurément inflaté. Les résultats atteints dans les secteurs de la construction et des loisirs en attestent. Ensuite, la durée hebdomadaire du travail reste sur une tendance baissière : 34,3 heures en janvier. Si le niveau est identique à celui de T4 2019, il est inférieur à celui tant de T3 et de T2 (34,4) que de T1 (34,5). L’évolution ne plaide pas pour une dynamique de croissance plus forte.

Mais peut-être, doit-on mixer la double réalité de créations d’emplois « généreuses », au-delà de l’image déformée donnée par la livraison de janvier, et d’une durée moyenne du travail à la baisse. Des personnes non employés jusqu’alors et recherchant une occupation à temps partiel trouvent une embauche. Dans ces conditions, les ressources du marché du travail ne seraient pas (encore) épuisées et le profil actuel de la durée du travail ne serait pas forcément annonciateur d’un moindre tempo de la croissance économique. Ainsi, au-delà des aléas se manifestant d’un mois à l’autre, la réalité de l’emploi américain resterait saine, avec des réserves non encore atteintes.

Il faut nécessairement s’intéresser à Pete Buttigieg ; n’a-t-il pas gagné le caucus de l’Iowa côté Démocrate ? Un point doit être avancé, avant de s’arrêter sur son programme. Le système très particulier de vote a pu avantager l’ancien maire de South Bend (Indiana). Deux tours sont organisés, sachant qu’il n’y a ni isoloir, ni bulletin, ni urne. Durant le premier tour, les électeurs se rangent par groupe en fonction de leur choix. Tout candidat, qui ne regroupe pas 15% des votants est éliminé. Aux représentants des candidats qui restent dans la course de convaincre ceux-ci de se porter sur leur champion. A défaut, les électeurs non-convaincus quittent le lieu du vote. Lors du deuxième tour, tout est plus simple : les voix se portant sur chaque candidat « qualifié » sont comptabilisées et les délégués sont attribués proportionnellement ; en sachant qu’il faut au minimum 15% des voix pour se voir attribuer des délégués. Buttigieg n’est pas un insider et il n’est ni trop vieux, ni trop centriste ou trop à gauche. Cela a dû en faire une excellente alternative pour les électeurs dont le candidat de leur choix avait été éliminé.

Un regard sur les résultats des sondages nationaux renforce cette impression. A aujourd’hui, il est très en retrait par rapport à Biden et Sanders et même aussi relativement à Warren. Il n’est pas encore sûr que les résultats de l’Iowa soient une rampe de lancement pour Pete Buttigieg dans la course à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle de novembre. Pourquoi ne pas imaginer que la confirmation de difficultés pour Biden profiterait éventuellement davantage à Bloomberg qu’à lui ? A quel titre ? Sans doute celui de son positionnement politique.

Passons donc aux thèmes développés par celui qui a peut-être enfilé les habits du challenger. Distinguons l’économie de l’institutionnel. Pour ce qui est du programme économique, essayons de compter le nombre de cases qu’il coche sur la liste des initiatives que tout bon candidat démocrate doit embrasser (le plus de cases cochées, le plus à gauche ; en sachant que les sujets vont des impôts au contrôle de la Tech, en passant par le marché du travail, la régulation, l’environnement et l’assurance-santé). Eh bien, il apparaît moins centriste que Biden et moins à l’extrême-gauche que Sanders ! Son score, selon moi, est de 25 contre 17 au premier et 33 au second (35 pour Warren). Un vrai homme de gauche (américaine) en quelque sorte ! Avec qui plus est une vraie volonté redistributive. Les principales propositions budgétaires le prouvent.

En matière de débats institutionnels, Buttigieg insiste sur une nécessaire réforme de la démocratie. Cela passerait par trois changements : se débarrasser du vote à deux niveaux pour l’élection présidentielle, réduire les pouvoirs de la Cour suprême et éliminer la pratique de l’obstruction dans le fonctionnement du Sénat. Je ne sais pas si ces propositions portent la marque d’une gauche assumée. En revanche, je soupçonne qu’elles ne sont pas très bipartisanes. En la matière, Buttigieg ne peut pas être « rangé » avec Biden.

Les résultats de cette élection de l’Iowa ne participent sans doute pas de plus de clarté sur le déroulé des primaires côté Parti démocrate à l’horizon des trois ou quatre prochains mois. Quel message cela envoie-t-il au marché ? Jusqu’à maintenant (on en a déjà parlé) la communauté financière considère qu’une victoire de Biden était compatible avec les usages du capitalisme made in USA. Il n’y aurait pas de raisons de s’inquiéter. Il en irait de même avec un choix se portant sur Sanders ou Warren. Il ou elle irait à l’échec et Trump gagnerait. Quid avec Buttigieg ? Comment va-t-il être « étiqueté » par les faiseurs d’opinion ? On ne le sait pas encore.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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