La Réserve fédérale n’est pas indépendante. Elle pratique la politique monétaire qui arrange le pouvoir en place ou favorise sa réélection.
Il est difficile de trouver des articles évoquant la Réserve fédérale qui ne mentionnent pas, d’une façon ou d’une autre, « l’indépendance » de cette institution. On pense que la Fed est totalement hermétique à la pression et aux influences politiques. Les gouverneurs de la Fed sont censés prendre les décisions relatives aux taux d’intérêts en se basant sur des évaluations objectives provenant de leurs propres économistes monétaires et d’informations qu’ils obtiennent auprès d’économistes du secteur privé et des marchés financiers. La Fed ne serait pas affectée par le tourbillon politique qui nous enveloppe quotidiennement. N’en croyez rien. Rien n’est moins vrai.
En réalité, la Fed est une institution très politique. Elle est simplement plus douée, s’agissant de cacher ses agissements politiques, que la plupart des institutions de Washington intra muros. La Fed peut soutenir ou faire échouer les mesures de la Maison Blanche en assouplissant ou resserrant sa politique monétaire pour contrecarrer les effets des allègements fiscaux, de l’augmentation des dépenses ou de l’austérité budgétaire. Les politiciens feignent également de croire à l’indépendance de la Fed. Là aussi, ce n’est que pour la galerie. La Maison Blanche et le Congrès US exercent une influence sur la Fed lorsqu’ils nomment et confirment les membres du Conseil des gouverneurs. Qu’il s’agisse du malheureux G. William Miller (président de la Fed de 1978 à 1979), ou de l’énigmatique Alan Greenspan (président de la Fed de 1987 à 2006), ces nominations importent énormément et influencent directement la politique monétaire.
La Fed au service de l’économie de guerre et des réélections
L’influence politique qui s’exerce sur la Fed va même au-delà des nominations. De 1941 à 1951, la Fed a accepté de maintenir les taux d’intérêt sur les bons du Trésor à court terme à 0,375%, le but étant de permettre au gouvernement américain de se financer à peu de frais pendant la Deuxième Guerre mondiale et, ensuite, pendant la Guerre de Corée. Cette entente politique entre la Fed et la Maison-Blanche n’a pris fin qu’avec l’accord de 1951 entre le Trésor et la Réserve fédérale, rétablissant l’indépendance de la Fed. De 1951 à 1971, la Fed et le Trésor ont mené une politique conjointe de « répression financière ». Il s’agissait de maintenir les taux d’intérêt appliqués aux dépôts bancaires légèrement au-dessous du taux d’inflation, ce qui a fait baisser la valeur réelle de l’argent, de même que celle de la dette publique.
Ainsi, le ratio dette/PIB des Etats-Unis est redescendu de 120% à la fin de la Deuxième Guerre mondiale à 31%, seulement, au moment où Nixon a mis fin à l’étalon-or. Ces manœuvres profitant au Trésor se sont effectuées au détriment des Américains moyens qui ont vu la valeur réelle de leurs dollars diminuer. Mais peu de gens se sont plaints, à l’époque, car l’effet inflationniste a été modeste (environ 1,5% par an, seulement), bien que son effet se soit cumulé sur 20 ans. Le vol dont ont été victimes les Américains est comparable à la fable de la grenouille portée progressivement à ébullition : elle ne remarque pas qu’elle est en train de cuire avant qu’il ne soit trop tard.
Le troisième épisode au cours duquel la Fed a succombé à l’influence politique est celui de 1972 à 1976 : son président, Arthur Burns, un républicain, a volontairement maintenu des taux bas, d’abord pour favoriser la réélection de Nixon en 1972, puis à nouveau pour favoriser celle de Gerald Ford, en 1976. Ces mesures carrément politiques ont provoqué une inflation galopante.
L’érosion du dollar pilotée par la Fed
Le dollar a perdu la moitié de sa valeur de 1977 à 1981, à cause de l’inflation provoquée par Burns et ses mesures d’assouplissement monétaire antérieures. Janet Yellen a tenté le même coup en ne relevant pas les taux d’intérêt de décembre 2015 à décembre 2016, afin de favoriser l’élection d’Hillary Clinton aux présidentielles de 2016. On commence tout juste à en ressentir les effets inflationnistes. Je souligne ces épisodes historiques, où la Fed a subi une influence politique, pour vous avertir de ce qui pourrait se produire au cours des mois et années à venir. Le président Trump a affiché publiquement sa préférence pour des taux d’intérêt bas ; lui-même et Steve Mnuchin, secrétaire au Trésor, ont tous deux indiqué clairement qu’ils souhaitaient un dollar bas. Or un dollar bas va avec une politique de faibles taux d’intérêt.
Récemment, cette influence politique à l’oeuvre en coulisse a été mise en lumière lors d’une interview accordée par Kevin Warsh à Ben White, de Politico. Warsh a été en tête de liste, pour remplacer Janet Yellen aux plus hautes fonctions de la Fed, jusqu’à ce Mnuchin fasse pression de toutes ses forces en faveur de Jerome Powell. Mais Warsh a fait partie de la sélection finale et rencontré le président Trump, dans le Bureau Ovale, pour évoquer sa nomination potentielle. Voici un extrait de l’article de White relatant cette interview accordée de Warsh.
« TRUMP A MENACE LA FED – Ma toute dernière interview… est celle que m’a accordé Kevin Warsh, ex-gouverneur de la Fed, figurant dans la sélection finale des candidats à la présidence de la Fed. Il évoque son entretien avec le président Trump, dans le Bureau Ovale. Warsh a sous-entendu que Trump avait voulu savoir à tout prix s’il allait maintenir des taux bas, et qu’il ne semblait pas considérer la Fed comme une entité indépendante échappant à son contrôle. Voici ce que Warsh a dit de l’approche de Trump à l’égard des taux d’intérêt : ‘Si vous pensez que c’est un sujet sur lequel il a tourné autour du pot avec délicatesse, vous vous trompez. C’était certainement au sommet de ses préoccupations… Le président a sa propre opinion, en ce qui concerne les cours des actifs et les marchés actions. Cette opinion est fondée sur son expérience du rôle des taux d’intérêt, tout au long de sa vie antérieure, en tant que promoteur et magnat de l’immobilier.’
Warsh m’a dit qu’il n’avait pas l’impression que Trump considère la banque centrale comme une institution indépendante devant prendre ses décisions au mieux des intérêts économiques à long terme, au lieu d’être à la botte de la Maison Blanche ou de toute autre institution politique. ‘Dans un certain sens, cette notion plus étendue d’agence indépendante n’est pas évidente, pour le président’. Je lui ai demandé si le président semblait comprendre l’importance historique de l’indépendance de la Fed, vis-à-vis de la pression des partis politiques : ?‘Là, je pense que la formule ‘sans commentaire’ s’impose’.
La Maison Blanche m’a déclaré qu’elle ne faisait aucun commentaire sur les conversations privées de Trump. On craint que Trump ne fasse pression sur Jerome Powell pour qu’il maintienne des taux bas, même si cela signifie une hausse de l’inflation. Ce scénario s’est produit au début des années 1970, lorsque le président Richard Nixon a fait pression sur Arthur Burns, alors président de la Fed, pour qu’il maintienne l’assouplissement monétaire jusqu’aux élections de 1972.
Au cours des années suivantes, l’inflation a enregistré un pic de plus de 12% qui a obligé Paul Volcker, alors président de la Fed, à prendre des mesures draconiennes. A l’issue de cette période, les observateurs se sont méfiés de toute tentative présidentielle d’influencer la politique de la banque centrale en vue d’améliorer leurs propres perspectives politiques à court terme… ‘Il suffit d’étudier l’ère Arthur Burns, de voir ce que cela fait, de se plier aux ordres du gouvernement, l’inflation que cela a provoqué, pour comprendre à quel point l’indépendance de la Fed est importante’, a déclaré Robert Eisenbeis, économiste en chef chez Cumberland Advisors, et ex-économiste à la Fed. »
Une nouvelle ère de pression politique pour la baisse des taux commence
Cette interview, ainsi que les propres opinions affirmées ouvertement par Trump, indiquent clairement que nous entrons désormais dans une nouvelle ère de pression politique explicite exercée sur la Fed en vue qu’elle maintienne des taux d’intérêt bas. Cette pression ne va pas s’exercer tout de suite. Les taux sont encore assez bas et le marché actions tient bon, bien qu’il soit au-dessous de ses plus hauts du 26 janvier 2018. L’économie s’en sort assez bien, même si ce n’est pas mirobolant. Le chômage est à un plus bas sur 18 ans et les attentes sont élevées en ce qui concerne les effets de stimulus que pourraient produire les récentes baisses d’impôt, ainsi que l’impulsion qu’elles pourraient donner à la croissance américaine. Pour l’instant, il n’y a aucun sentiment d’urgence.
Mais, globalement, Powell et la Fed sont en voie de relever les taux d’intérêt jusqu’au niveau de 3,25% d’ici début 2020. Ils n’y parviendront probablement pas avant que ne frappe une récession. A ce stade, le marché actions plongera et la Maison Blanche exercera une pression politique écrasante en faveur d’un abaissement des taux. Si la Fed abaisse les taux alors que son bilan est encore surdimensionné, que le marché de l’emploi est tendu et que les déficits s’élèvent à des milliers de milliards de dollars, attendez-vous à un nouvel épisode de stagflation. C’est ainsi que l’on nomme cette désastreuse combinaison de faible croissance et d’inflation élevée. Nous avons déjà vécu cela à la fin des années 1970. Attendez-vous à ce que le phénomène se produise à nouveau presque un demi-siècle plus tard.
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