En finir avec TOUS les prélèvements à la source

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Par Jacques Bichot Modifié le 12 juillet 2018 à 7h37
Impot Prelevement Source Augmentation France Famille Complexification Revenu
@shutter - © Economie Matin
17,1 millionsLa France compte 17,1 millions de contribuables imposés.

Eric Woerth a écrit dans Le Figaro du 9 juillet 2018 un article conseillant de renoncer à la mise en œuvre du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu (IR). Ecrivant dans le même sens depuis l’apparition de ce projet, sous Hollande, je me réjouis de voir le président de la commission des finances de l’Assemblée adopter cette position. Et je propose (une fois de plus), en vertu de la même logique, de mettre fin au prélèvement à la source des cotisations sociales.

L’idée maîtresse de ce parlementaire qui fut ministre du budget est que l’IR soit prélevé (comme il l’est déjà dans beaucoup de cas) sur le compte bancaire du contribuable, au lieu de faire jouer à l’entreprise un rôle de collecteur d’impôt. Le prélèvement à la source, dit-il fort justement, donne au salarié le sentiment que son travail est moins bien rémunéré qu’il ne l’est en réalité : sa valeur psychologique est en effet le montant que l’employeur fait créditer sur le compte de son employé. Eric Woerth ne va cependant pas au bout de cette idée profondément juste. Poursuivons donc plus avant l’analyse et les propositions.

L’impôt et les cotisations sociales paient des services rendus aux citoyens

Pour cela, il convient de rappeler que les impôts et les cotisations sociales ne sont pas des prélèvements sans contrepartie, comme on le dit trop souvent, mais des achats de services. Nous avons besoin de forces de l’ordre, de tribunaux et de prisons, de forces armées, d’écoles, de voies de circulation, de soins médicaux, de retraites, de prise en charge des personnes handicapées ou en difficulté professionnelle, etc., etc. : comme le dit Philippe Nemo dans son excellente Philosophie de l’impôt, nous consommons ces divers services, et naturellement nous devons les payer !

Le bon sens étant peu répandu, il est rare d’appliquer l’idée d’échange à la sphère publique. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un échange marchand, mais d’un échange fraternel : le riche cotise ou paie sous forme d’impôts et de cotisations, à service égal, davantage que le pauvre. Mais, « fraternel » plutôt que « marchand », il ne s’agit pas moins d’un échange entre des titulaires de revenus et les producteurs de divers services. Notre société, notre économie et nos institutions (État, collectivités territoriales, sécurité sociale) pâtissent de la doxa selon laquelle ces services devraient être financés par des prélèvements obligatoires sans contrepartie.

Il est politiquement correct de considérer que nos paiements d’impôts et de cotisations sociales ne donnent droit à rien. La plus importante exception concerne les retraites par répartition et, ironie du sort, pour une fois qu’elle accepte un principe donnant-donnant, la doxa se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude, en soutenant l’idée saugrenue selon laquelle nos cotisations vieillesse doivent nous donner droit à des pensions futures. Un enfant de CM2 comprendrait que les cotisations vieillesse, immédiatement reversées aux retraités actuels, ne préparent pas les pensions futures de ceux qui les versent ; pourtant le président de la République lui-même a hélas entériné cette sornette en lançant son slogan selon lequel un euro cotisé doit fournir le même droit à pension quel que soit celui qui l’a versé ! Comme si cet argent, remboursement de la dette contractée envers ceux qui se sont occupés de nous durant notre enfance et notre jeunesse, devait nous donner des droits sur les nouvelles générations !

C’est tout ce marécage intellectuel relatif à la sécurité sociale et aux services publics que nous devons assécher pour disposer enfin d’un climat politique et social qui ne soit plus pollué par ses miasmes. Il nous faut enfin réaliser que la sphère de l’échange a vocation à s’étendre à la plus grosse partie des quelque 45 % du PIB qui en sont actuellement exclus, sous prétexte qu’il s’agit de protection sociale ou de services publics.

Impôts et cotisations sociales doivent être payés directement par les ménages

Ce que dit Eric Woerth de l’IR doit être étendu à la plus grande partie de la sphère publique. Le citoyen doit avoir pleinement conscience du fait qu’il paye pour avoir droit à des services – y compris celui de bénéficier d’une sorte de providence publique qui ne laisse personne mourir de faim, de froid ou de manque de soins. Qui peut être certain de ne pas se retrouver un jour pauvre comme Job ?

Pour que cette prise de conscience ait lieu, il convient de réformer notre système de financement des pouvoirs publics (nationaux et territoriaux) et de la protection sociale, en faisant apparaître clairement ce que chacun gagne, et ce qu’il verse pour disposer de ces services.

Dans cette perspective, la vérité doit être faite sur la véritable rémunération du travail salarié. Premièrement, la notion même de cotisation patronale, distincte des cotisations salariales, doit être abandonnée : il s’agit d’un reliquat du XIXe siècle, qui n’a plus d’autre raison d’être que permettre aux organisations patronales de se plaindre de crouler sous les « charges sociales ». Laissons les individus et les ménages payer eux-mêmes leur couverture sociale, et se rendre ainsi compte à la fois de ce qu’ils perçoivent vraiment de leur employeur, et du prix très élevé de la protection sociale.

Deuxièmement, évitons de faire l’erreur de prélever à la source les impôts directs, CSG et IR principalement. Toutes ces sommes doivent impérativement transiter par les comptes des particuliers, pour que la réalité économique ne soit pas occultée. C’est ce que propose Eric Woerth en écrivant qu’il faut « prélever l’impôt directement sur le compte bancaire, et non sur la feuille de paie ». Et c’est ce que je propose depuis plusieurs décennies en ce qui concerne les cotisations sociales.

Vérité des rémunérations, vérité des prix des services publics, c’est ce dont la France a le plus grand besoin pour devenir à la fois plus performante et plus démocratique. Savoir très concrètement, sous forme de crédits et débits sur nos comptes en banque, ce que nous gagnons et ce que nous dépensons, cela devrait faire partie d’une version actualisée de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Certes, il serait malséant de réécrire ce texte fondateur, mais il est indispensable d’en fournir une lecture moderne, particulièrement en ce qui concerne les articles 13 et 14 qui concernent la « contribution commune » qui doit être « également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés », et dont « les citoyens ont le droit de constater (…) la nécessité ».

Un bandeau a été plaqué sur nos yeux concernant une bonne partie des impôts et des cotisations sociales ; il faut que nous adoptions une vision réaliste de ces prélèvements obligatoires. C’est ce droit de l’homme et du citoyen qui est déjà largement battu en brèche par l’organisation actuelle du recouvrement des cotisations sociales et de certains impôts, à commencer par la CSG. Il faut non seulement éviter que cet aveuglement du citoyen soit augmenté par le prélèvement à la source de l’IR, mais aussi redonner de la visibilité aux autres prélèvements obligatoires. La vérité doit apparaître, que ce soit dans sa splendeur, comme disait le Pape Jean-Paul II, ou dans sa nudité, en sortant du puits, comme le veut le proverbe. Mais n’oublions pas que la vérité n’apparaît que si nous la faisons !

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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