La réforme du prélèvement de l'impôt à la source est bien partie, le ministre des finances l’ayant confirmé cette semaine pour une application à partir du 1er janvier 2018. Le processus de la retenue à la source sera certainement plus complexe que prévu et se heurtera à de grosses difficultés techniques, rendant impossible un calcul suffisamment précis pour rester dans ce qui devrait être l’esprit de la fiscalité.
En fait l’état prélèvera sur les revenus salariaux ce qu’il imagine être de votre impôt de l’année civile en cours. La nuance a son importance et j’insiste donc sur l’idée d’une fissuration à venir de l’édifice fiscal qui verra s’altérer quelques propriétés fondamentales que l’on est en droit d’exiger des méthodes et des résultats, à savoir l’exactitude, la compréhensibilité, la « non contestabilité », la rigueur, l’équité.
Le gouvernement avait réactivé il y a quelques mois ce vieux serpent de mer, qui selon mon analyse met en péril la clé de voûte du système fiscal français, du fait même de la nature de cet impôt qui présente la propriété d’être progressif, et par conséquent de ne pouvoir se prêter à ce genre de fantaisie.
(Je précise que dans cet article je ne fais en aucun cas référence aux principes de justice sociale liés à cet impôt, mais uniquement à ses mécanismes)
Le projet en soi pourrait être vu comme un progrès, mais les français risquent fort de déchanter à la vue des premières fiches de paie amputées, sans parler des litiges, des contestations, des incompréhensions, des rattrapages. Pourquoi un tel constat ? Tout simplement parce qu’un impôt progressif ne peut, de par sa nature, se calculer au fil de l’eau. Il faut attendre la fin de l’année, le moment où il devient possible d’agréger l’ensemble des revenus (revenus salariaux, pensions, rentes, allocations, revenus des capitaux mobiliers et immobiliers), pour pouvoir appliquer les règles de calcul de la progressivité, des décotes, des exonérations, des crédits d’impôts et autres réjouissances. J’insiste donc sur le fait que le prélèvement à la source dans le contexte français, fidèle à ses usines à gaz, fait face à un mur quasi-infranchissable, sauf à y brûler quelques valeurs et vertus. Ce qui est possible pour la CSG qui est un impôt proportionnel, ne peut l’être pour l’IRPP (impôt sur le revenu des personnes physiques). C’est pourquoi je suis très critique à l’égard de cette mesure, car j’estime que l’ADN de l’administration fiscale, qui jusqu’à une date récente ne montrait que de rares faiblesses (faiblesses constatées sur les revenus du capital avec les dispenses adressées aux banques), ne doit en aucun cas subir des mutations qui feraient d’elle une administration OGM encore plus indigeste, à laquelle on aurait ôté les gènes de la rigueur.
Du fait de ces difficultés techniques, les services de Bercy ne pourront qu’utiliser des méthodes approximatives, des procédés artificieux. Pourquoi le système actuel a-t-il été construit avec une année de décalage ? Tout simplement parce qu’il est impossible de faire autrement si on tient aux principes que j’ai évoqués plus haut. Les personnes qui ont conçu et fait vivre ce système qui perdure depuis des décennies, qui a fait largement ses preuves en termes de robustesse, d’efficacité et d’aboutissement, qui répond aux grands principes théoriquement intouchables dans une société qui se veut exemplaire et juste, se seraient-elles fourvoyées dans leur conception ? Le décalage d’une année avait également le bénéfice de la simplicité (simplicité déclarative par le pré-remplissage) et de l’exactitude. Ce que l’on payait est ce que l’on devait, ni plus ni moins. Le 1er janvier 2018, on bascule dans un nouveau monde, le monde de l’incertitude fiscale, le monde du flou, puisque l’administration calculera votre impôt sur une base au mieux incertaine ou pire indéfinie (cas du premier emploi et de la première année de travail). Il y a aura donc de manière systématique, un trop perçu ou un moins perçu de l’administration. Aujourd’hui ces cas sont relativement rares puisque le prélèvement se fait sur la base d’une déclaration à partir de données connues et exactes, et non sur des hypothèses floues.
Les pays européens ont pratiquement tous adopté le prélèvement à la source. De ce constat, on pourrait se dire « alors pourquoi pas nous ? ». La grosse différence tient à la simplicité de leur système fiscal, un nombre réduit de niches, à l’individualisation de l’impôt (pas de notion de foyer fiscal) et à des revenus du capital taxés proportionnellement. Cela conduit évidemment à des écarts moins importants, une plus grande justesse, mais nécessitant néanmoins une régularisation en fin d’année.
Le gouvernement a inventé le concept de « l’impôt flou », digne d’un prix d’excellence qu’on attribuait autrefois au meilleur élève de la classe, une innovation parfaitement inscrite dans les nimbes ministérielles..
- Jusqu’à présent régnait le monde de la rigueur, de la justesse, de la robustesse, de l’exactitude, de l’équité, aussi bien sur le déclaratif que sur le prélèvement. Demain régnera le monde de la logique floue, de l’incertitude, de l’iniquité.
- Jusqu’à présent on payait ce que l’on devait (postulat universel dans une société qui se veut honnête et juste). Demain on paiera ce que l’état imagine être ce qu’on lui doit.
- Jusqu’à présent on avait la liberté de se mensualiser ou non, et moduler en quelques clics son niveau de mensualisation en fonction de ce que l’on sait de ses revenus futurs. Demain cette liberté pourrait disparaitre
L’état est en train de casser ce qui fait aujourd’hui la charpente de l’administration fiscale, casser un système qui a atteint un certain degré d’efficacité depuis le pré-remplissage, détruire les vertus que j’ai évoquées plus haut, tout ce qui fait la solidité de l’édifice malgré tous les griefs justifiés ou non que les contribuables pourraient en toute logique formuler, car qui arbore un large sourire lorsqu’il reçoit ses avis d’imposition ? Oui, aujourd’hui le système est suffisamment souple et rigoureux pour ne pas y toucher. Le prélèvement de l’IRPP à la source n’est qu’une régression évoquant la désarticulation du système et sa déstructuration (par la naissance des structures du flou). Le problème, si problème il y a, aurait pu être réglé par la mensualisation obligatoire
Il n’y a pas de science fiscale, telles les sciences dures et implacables que sont la physique ou les mathématiques, il n’y a que des procédés, des méthodes, des processus de transformation, pas toujours rigoureux, d’une qualité qui laisse à désirer tant l’imagination débridée de nos dirigeants paraît sans limité.