La France était supposée révolutionner son marché de l’emploi. Mais la réforme récemment dévoilée par le gouvernement relève finalement de compromis boiteux.
On retrouve ces mêmes compromis à l’origine de l’immobilisme qui définit la politique française depuis 30 ans. Si quelques mesures vont dans le bon sens, elles demeurent insuffisantes dans un pays où le marché de l’emploi, loin d’avoir besoin d’un énième bricolage, doit subir une complète refondation. Prenons par exemple le taux de chômage, qui s’élève autour de 10% pour l’ensemble de la population et 25% pour les moins de 25 ans. Comme dans beaucoup de pays de l’OCDE, le chômage concerne en France principalement les profils les moins qualifiés. Les raisons qui expliquent ce phénomène sont bien connues et abondamment décrites dans la littérature économique.
Les politiques de contrôle des prix, comme le salaire minimum (9,76 euros de l’heure hors cotisations patronales en France), obligent les employeurs à discriminer les travailleurs dont la productivité n’atteint pas le prix plancher fixé par la bureaucratie. Cet enjeu n’a pourtant jamais été évoqué durant la campagne présidentielle. Il n’a pas non plus été pris en compte par le gouvernement, alors que le ratio entre le salaire minimum et le salaire médian est, en France, l’un des plus élevés de l’OCDE (62%).
Ce que nous apprennent les autres pays
Une autre opportunité manquée concerne la nécessité d’introduire plus de subsidiarité dans la production des règles qui encadrent les relations professionnelles. Comme le fait régulièrement remarquer l’économiste Pierre Cahuc, les conventions de branche sont l’une des principales causes de rigidités sur le marché du travail. Elles constituent un moyen pour les syndicats et les entreprises établies de cartelliser la production de normes sociales. Or ce processus sert régulièrement à entraver la concurrence des nouveaux entrants en faisant peser sur ces derniers un coût difficilement supportable.
Contrairement à d’autres pays européens, les conventions de branches, en France, sont presque systématiquement étendues par l’Etat à toutes les entreprises d’un même secteur. C’est pourquoi la France est avec l’Autriche et la Belgique l’un des pays avec le plus haut taux de couverture conventionnelle (environ 93% de travailleurs français étaient couverts en 2016), et ceci en dépit du faible taux de syndicalisation des travailleurs français (11%).
Pour réduire sensiblement le chômage, d’autres pays européens comme l’Espagne ou le Portugal ont réduit la portée et la couverture de ces mêmes conventions. Conscients de la nécessité d’ouvrir le droit du travail à une plus grande concurrence, Emmanuel Macron avait promis, durant sa campagne, de décentraliser davantage la négociation collective en donnant la primauté aux accords d’entreprise sur les sujets clefs. Le but : permettre aux employeurs dans les petites entreprises – qui forment la majorité du tissu économique – de négocier directement avec leurs employés leurs propres règles, lesquelles primeraient sur les conventions de branche sur un certain nombre de sujets.
Les syndicats accrochés aux branches
Il semble néanmoins que les syndicats aient réussi à maintenir leur pouvoir. Les branches continueront à déterminer les règles sur les sujets principaux comme les salaires minimaux hiérarchiques, le temps de travail, ou encore l’utilisation des CDD/CDI de chantier. Autrement dit, il ne reste plus grand chose aux négociations locales. Cette abdication est d’autant plus regrettable qu’Emmanuel Macron avait l’habitude de dresser un diagnostic plutôt correct de l’économie française, en particulier quand il était au gouvernement. Le manque de concurrence était considéré, à raison, comme la cause principale de la stagnation de la productivité et la source des inégalités sociales entre insiders et outsiders.
La lutte des classes entre CDI et CDD
Sur le marché de l’emploi, la véritable « lutte des classes » concerne en effet les travailleurs permanents qui bénéficient de règles protectionnistes, notamment en matière de licenciement, au détriment des autres : les travailleurs temporaires condamnés à jouer les variables d’ajustement faute de bénéficier d’une égalité concurrentielle ainsi que les chômeurs privés de mobilité sociale en raison des coûts de transaction élevés lors de l’embauche et de la rupture des relations professionnelles.
Ce n’est certainement pas en se contentant de plafonner les indemnités prud’homales pour les licenciements « abusifs » ou en réduisant les délais durant lesquels il sera possible de saisir le juge (entre autres mesures cosmétiques) que cette situation va fondamentalement changer. L’incapacité d’Emmanuel Macron à engager des réformes plus radicales n’est pas seulement désastreuse sur le plan économique. Elle comporte un véritable risque sur le plan politique. La réforme a beau être présentée comme révolutionnaire, le faible effet qu’elle aura sur l’employabilité des Français risque de conduire ces derniers à se résigner à l’idée que tout a été essayé contre le chômage comme François Mitterand se plaisait à le dire.
Il ne restera alors plus que les « solutions » populistes promues par l’extrême-gauche et l’extrême-droite avec les conséquences dramatiques qu’elles impliqueraient pour la France et l’Europe.
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