Pourquoi et comment réformer le Parlement ?

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Par Jacques Bichot Publié le 16 juin 2019 à 7h36
Gouvernement Parlement Representation Nationale Democratie
@shutter - © Economie Matin

Empêtrés dans leur projet de réforme du Sénat, de l’Assemblée nationale, et du rôle de ces institutions, Matignon et l’Elysée semblent pencher pour quelques changements mineurs tels qu’une dose de proportionnelle et une (petite) réduction des effectifs. Aucune réflexion systémique n’est perceptible : nos gouvernants, comme à leur habitude, sont englués dans leur envie d’effectuer des changements mineurs pour, laborieusement, démontrer qu’ils agissent. Mais s’ils n’ont rien de vraiment intéressant à proposer, pourquoi ne restent-ils pas dans le statu quo ? Les Français en ont ras-le-bol des modifications à répétition qui n’ont d’intérêt ni pour eux ni pour notre pays.

Ce n’est pas qu’il ne faille rien changer ! Il y a beaucoup à faire. Mais, justement, quand tant de nos institutions et de nos manières de faire méritent d’être remises en cause ou modifiées, il n’est pas bon de foncer tête baissée sur la première idée à la mode ; il faut au contraire commencer par bien réfléchir.

La France, à l’instar d’un bon nombre de pays, est écrasée par le poids étouffant d’une législation touche-à-tout. Nos lois n’indiquent plus un esprit, des valeurs auxquelles nous sommes prêts à nous dévouer, et même à nous sacrifier, comme ces sauveteurs qui ont péri en mer en cherchant à sauver un pêcheur, ou les pompiers, ou nos soldats. On ne risque pas sa vie pour une loi qui traficote un ensemble de prestations sociales ou qui prétend imposer une imbécile écriture « inclusive ».

Commençons par réfléchir aux rôles respectifs de la loi et du règlement

Avant de réformer le Parlement, il faut avoir les idées claires sur ce qu’est son rôle dans la nation. Deux fonctions importantes reviennent logiquement à des élus nationaux :

- premièrement, mettre noir sur blanc les « règles de juste conduite » que doivent respecter non seulement les citoyens, mais aussi les administrations et ceux qui sont censés les diriger, à savoir les ministres. C’est un rôle de législateur stricto sensu.

- deuxièmement, contrôler l’action des dites administrations, et donc du Gouvernement, pour vérifier qu’elles s’inscrivent bien dans la ligne ainsi définie. C’est aussi un rôle qui revient pour partie au législateur, les niveaux ordinaires de juridiction pouvant difficilement statuer sur les actes importants accomplis ou projetés par les pouvoirs publics.

Le premier travail est gigantesque : il s’agit d’abord de faire passer de la loi au décret ou à l’arrêté, ou de supprimer purement et simplement, des milliers, si ce n’est des millions, de phrases inutiles ou incongrues ; il s’agit aussi de réécrire de manière compréhensible ce qui est trop alambiqué, pour que chaque Français doté d’une capacité de lecture normale puisse, en quelques années, comprendre de quel pays il est citoyen.

Vérifier que l’Exécutif respecte la loi

Parallèlement, les membres du Parlement devront regarder attentivement ce que le Gouvernement fait ou se propose de faire, de façon à vérifier que cela est légal. Dans l’état actuel de nos institutions, le Gouvernement fait voter par la Représentation nationale toutes sortes de textes qui relèvent du décret, de l’arrêté ou de la circulaire, ce qui interdit au Parlement, sauf à se déjuger, de dire ensuite que les dispositions prises sont contraires à nos lois, puisqu’elles font désormais partie des dites lois.

L’exemple le plus caractéristique de ces textes dont le niveau est celui du décret, mais qui sont actuellement déguisés en lois, est fourni par les lois de finance, textes que le Parlement vote généralement au mois de décembre de chaque année. Les lois de financement de la sécurité sociale constituent un second exemple très important de ce méli-mélo institutionnel né de l’incapacité qu’ont beaucoup de nos dirigeants à utiliser des concepts clairs et pertinents. Dans une démocratie bien organisée, ces textes relevant du commandement ne devraient pas être votés par le législateur, mais simplement être soumis à son examen pour vérifier qu’ils ne comportent pas de dispositions contraires à la loi.

A l’heure actuelle, les lois de finances et leurs homologues pour le financement de la sécurité sociale ne sont pas les seules à constituer des catalogues de commandements : quasiment chaque texte de loi comporte quantité d’articles qui imposent de faire ceci ou cela, et constituent ipso facto des commandements, c’est-à-dire des ordres qui relèvent du règlement, et non de la loi.

Laissons donc le gouvernement s’occuper des questions budgétaires sans passer par la loi, puisqu’en tout état de cause, grâce à l’article 49-3 de la Constitution, il dispose actuellement d’un outil très efficace pour avoir le dernier mot. Ne persévérons pas dans le camouflage de la réalité ! Puisque dans les faits c’est le Gouvernement, et non le Parlement, qui décide des impôts et des dépenses, laissons-le prendre ses responsabilités : que, simplement, le Législateur le surveille et lui tape sur les doigts s’il fait trop de bêtises. Un contrôle parlementaire a posteriori aurait autrement plus de pertinence et de poids que l’actuel procédure d’examen et vote a priori. Le Gouvernement prendrait véritablement ses responsabilités ; il serait félicité si les mesures budgétaires produisaient les heureux effets escomptés, et gourmandé dans le cas contraire. Et rien n’interdirait au pouvoir législatif et arbitral composé d’élus de renvoyer tel ou tel ministre, voire même la totalité des membres du Gouvernement.

Concrètement, qu’est-ce qui changerait ?

Il faut distinguer la période de transition, largement consacrée à nous débarrasser du fatras actuel de textes qui ont à tort été érigés en lois, et ce qui suivra une fois nettoyées les écuries d’Augias. La première période nécessitera un Législateur doté de capacités de travail extrêmement importantes : pour mener à bien cette œuvre herculéenne, et cela aussi rapidement que possible, il faudra une assemblée nettement plus nombreuse, qui se divisera en sous-groupes se répartissant les tâches. Ensuite, le format du Législateur pourra être nettement plus modeste.

Quel sera le statut des membres de l’assemblée législative ? Diverses formules sont envisageables, mais il ne serait pas mauvais, à notre avis, que ces personnes soient élues pour une longue durée, par exemple 9 ans ou 12 ans, ce qui permettrait un renouvellement par tiers ou par quart, favorable à une meilleure continuité dans l’action. Leur nombre, comme il a été indiqué, sera plus important initialement, lorsque l’Assemblée devra assumer la lourde tâche de reclasser en décrets ou arrêtés la plus grosse partie des dispositions actuellement présentées comme des lois. Ensuite, une centaine de personnes devraient suffire à la tâche, et 200 nous paraît constituer un maximum. Les frais inhérents à nos actuelles assemblées pléthoriques seront fortement allégés – les citoyens ne s’en plaindront certes pas.

Nommé par le président de la République, comme c’est actuellement le cas, les membres du Gouvernement auront des responsabilités plus importantes, puisqu’ils prendront directement, sous forme de décrets ou d’arrêtés, la plupart des dispositions qui font aujourd’hui l’objet de votes à l’Assemblée et au Sénat. Les délais excessifs se raréfieront, et le Gouvernement aura réellement l’autorité nécessaire pour gouverner.

Une réforme indispensable

Un tel projet, qui prend ci-dessus la forme d’une simple esquisse, est nécessaire pour sortir de l’impasse où se trouve la France, sans parler de l’Europe et du monde. Nous allons vers des temps difficiles. La population du globe a trop augmenté, les ressources naturelles risquent de devenir insuffisantes et la pollution pourrait bien poser de sérieux problèmes. La Chine va probablement devenir le numéro un en termes de puissance économique puis militaire. Il peut se produire des mouvements migratoires auprès desquels ceux qui nous affectent actuellement sont minuscules. Les mentalités et nos institutions sont à des années lumières de ce qu’il faudrait pour affronter de tels problèmes.

La France, si petite soit-elle à l’échelle planétaire, se doit de contribuer à inventer les formes de gouvernance qui permettront à dix milliards d’êtres humains de vivre à peu près correctement, sans s’entretuer massivement. Construire chez lui une forme de démocratie efficace fait partie de ce que notre vieux pays peut apporter à l’humanité en danger. A supposer que la France ait été un jour, selon la formule de Joachim du Bellay, « mère des arts, des armes et des lois », elle ne l’est plus, mais elle se doit de ne pas rester assise à attendre la fin de la démocratie. France, « L’œuvre de tes mains », pour reprendre les termes de Kipling, est quasiment détruite : le temps est venu de « sans dire un seul mot, te mettre à reconstruire ».

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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