Les éboueurs sont des travailleurs admirables : ramasser les poubelles, mettre leur contenu dans le camion à ordures, six jours par semaine, par tous les temps, cette tâche éminemment utile n’est pas une partie de plaisir, et je leur rends hommage. Ceux qui œuvrent dans ma rue n’ont pas manqué un seul jour depuis le début de la pandémie, chapeau bas !
Mais ce n’est pas de ce métier manuel que je veux vous entretenir, c’est de l’obligation qui nous est faite, dès lors que nous utilisons internet, de nous transformer en éboueurs numériques qui doivent éliminer, chaque jour, une quantité délirante de mails envoyés automatiquement par des organismes dont nous n’avons « rien à cirer », pour reprendre le titre d’une émission qui eut du succès sur France Inter. A cette obligation s’ajoute le dérangement provoqué par d’innombrables appels téléphoniques destinés à nous vendre des biens ou services qui relèvent le plus souvent de la même formule.
Ces incivilités répétitives font perdre beaucoup de temps et génèrent un agacement qui affaiblit nos capacités de travail. Les pouvoirs publics ont compris qu’il y a un problème ; ils ont donc créé un service auquel il est soi-disant possible de s’adresser pour échapper à ce démarchage gênant. L’intention était louable. Hélas, une fois inscrit j’ai compris ce que fait ce service : rien. Du moins, rien d’utile, rien qui freine le bombardement d’appels ou messages intempestifs auxquel nous sommes soumis.
Le numérique pourrait être un merveilleux facteur d’efficacité économique. Ce n’est pas le cas : les gains de productivité étaient beaucoup plus importants à l’époque où l’informatique n’avait pas encore envahi nos existences, où elle constituait seulement un instrument utile au service d’utilisateurs pour la plupart professionnels. Certes, elle remplit toujours cette fonction, et de façon de plus en plus sophistiquée, mais elle sert aussi à nous faire perdre notre temps – de plus en plus de temps.
Beaucoup de paysages charmants ou grandioses sont pollués par les détritus qu’y sèment des touristes ou passants indélicats, ou par la présence de panneaux publicitaires disgracieux. Le paysage informatique est victime du même sans-gêne. Le visiteur consciencieux qui ramasse les papiers gras défigurant le bord de mer ou la montagne, éboueur amateur, a pour successeur l’effaceur de messages numériques intempestifs. Reste que la collecte des déchets physiques est, globalement, assez bien organisée, du moins dans les pays riches, alors que l’élimination des déchets numériques ne l’est pas. Le service public a un quart de siècle de retard.