Le politiquement correct, ennemi de l’entreprise

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Par Philippe Préval Publié le 31 décembre 2016 à 5h30
Religions France Republique Laicite Neutralite
cc/pixabay - © Economie Matin
15 %Dans un sondage BVA en octobre 2016, 15% des Français affirmaient que leur entreprise a mis en place des dispositions particulières concernant le fait religieux.

Le Ministère du Travail vient de publier un Guide du Fait Religieux en Entreprise qui se présente sous la forme de 39 questions. Ce document appelle un simple commentaire : l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Une fois de plus, l’administration française, pour laquelle l’entreprise est simplement une administration de seconde catégorie, veut régenter, conseiller, organiser un monde qu’elle ne connait pas, au lieu de laisser ses acteurs résoudre eux-mêmes leurs problèmes.

Une fois n’est pas coutume, je vais parler es qualité, en tant que chef d’entreprise, c’est-à-dire : comme quelqu’un qui est en premier lieu chargé de faire travailler dans le même espace des gens d’origines différentes, de génération différentes, de sexes différents, de vision de la vie différentes, aux rapports parfois potentiellement conflictuels.

Du daltonisme utile

Je me souviens d’un chef d’équipe catholique, bon chic bon genre, très réservé, qui avait pour adjoint un juif séfarade plutôt expansif. Dans le bureau d’en face, une autre équipe était dirigée par un binôme composé d’un gauchiste à l’athéisme pur et dur, et d’un tunisien barbu et jovial qui s’éclipsait discrètement, sauf quand les nécessités du service ne le permettaient pas, pour aller faire sa prière dans une mosquée du quartier avec mon autorisation.

Ces quatre échantillons très dépareillés de notre humanité travaillaient fort bien ensemble. Myriam El Khomri n'y était pour rien.

J’ai travaillé avec des lepénistes, des communistes, des militants socialistes, des écologistes, et toutes les religions imaginables - même une qui recommande de ne pas livrer un projet à telle date, parce que les esprits n'y sont pas favorables. Je ne me suis jamais laissé influencer par aucune religion, aucune opinion politique, ni en tant qu’ingénieur, ni en tant que chef d’entreprise, lorsqu'il s'agissait de prendre une décision engageant la marche de l’entreprise, la promotion d’un employé ou l’affectation d’une responsabilité, pas plus que je ne me suis laissé influencer par la couleur de la peau ou les préférences sexuelles d’un collaborateur. Myriam El Khomri n'y est pour rien.

En entreprise, je suis daltonien : je ne suis sensible à aucun autre critère que le professionnalisme, l’engagement, l’endurance, l’intelligence, le respect de la parole donnée. L’entreprise est l’espace du travail en commun, de la concentration, de l’invention, traversé de conflits, compliqué d’ego multiples et jaloux : c'est déjà bien assez compliqué à gérer ainsi ! Nous n’avons pas de temps à perdre avec le reste. Ni avec les croyances, ni avec les délires bureaucratiques statuant sur le rôle des croyances.

Quand, il y a un ou deux ans, un journaliste m’a demandé quelle était ma position sur « le fait religieux en entreprise », j’ai fait une réponse assez longue, argumentée, mais qui pourrait se résumer de la façon suivante : « Qu'il aille se faire [écrivez ici le verbe de votre choix] ». L’entreprise n’est pas un lieu pour « faits religieux ».

Un débat créé de toutes pièces

En Occident, au cours d'une longue mutation où le christianisme a joué un rôle considérable, l’évolution de nos sociétés s’est orientée vers une sécularisation toujours plus grande. Non seulement, la religion est sortie de l’espace politique, mais elle est même partiellement sortie des consciences : depuis le tournant du XVIIèle siècle nous pensons nombre de problèmes éthiques sans l’aide de Dieu, ni des livres saints. Ceux qui identifient la laïcité à la loi de 1905, comme Jean-Louis Bianco, font une grave erreur. La laïcité est un phénomène global, qui concerne l’Occident tout entier et a commencé dès le temps des Évangiles.

Le document du Ministère du Travail est en contradiction avec ce mouvement de sécularisation. Il prétend régler des problèmes, mais il les crée. En ouvrant le débat, il pave la voie à toutes les perversions communautaristes. Il invite inlassablement au dialogue sans fin, conduisant le chef d’entreprise à des pertes de temps absurdes et poussant ses collaborateurs à se poser des questions parasites. Au travail, un manager, un cadre, un employé, ont bien autre chose à penser que le caractère discriminant ou antiraciste de tel ou tel signe d'appartenance religieuse. Un tourneur est un tourneur, un contremaître est un contremaître, peu importe qu’il soient blanc ou noir, homme ou femme. On veut aujourd'hui faire de la religion en entreprise un problème de respect de l'autre et d’identité, alors que c’est un problème d’ordre, de discipline, d’autocontrôle, d’éducation.

Une religion, ou une de ses variantes, veut maintenant conquérir l’espace public et y apposer sa marque. Devant la volonté de conquête ennemie, il n’y a, Madame la Ministre, que deux attitudes, dont une seule est digne : la soumission et le combat. Dans la situation où nous nous trouvons, ce qui n’est pas combat est soumission. Le dialogue, les tours de table, le vivre-ensemble conçu comme une idéologie, sont du côté de la soumission. Votre Guide, en tant que guide du dialogue obligatoire avec les adversaires de la République, est un outil de soumission. Ni les patrons dignes de nom, ni la République, ne mangent de ce pain-là. Si un homme souffre de travailler avec une femme, ou d'être sous ses ordres, alors il a un problème avec moi, et il quittera l’entreprise. Le Politiquement Correct, qui veut "ménager les sensibilités", quitte à ouvrir la porte au pire, est l'ennemi de l'entreprise, de son état d'esprit et de son efficacité.

Un concept non pertinent

L’entreprise est un espace commun, un espace citoyen et marchand, libre de toute religiosité. Elle n'a pas été imaginée ainsi par la loi de 1905. Il ne faut pas avoir peur de mettre cette loi en conformité avec notre temps. Non pour s’accommoder de la présence des organisations subversives, mais pour donner aux chefs d’entreprise, et plus généralement aux citoyens, les moyens de les combattre. L’entreprise doit être - et elle est aujourd’hui - un espace où ni la race, ni la religion, ni le sexe, ni les opinions politiques ne doivent pouvoir polluer l'humanité commune et le projet collectif. Et si le patron veut faire de son entreprise un lieu de débat permanent sur les fanatismes, cela le regarde : ce doit être sa décision, et non la conséquence d'un délire bureaucratique. (Et bonne chance pour la rentabilité.)

Je repense à la phrase de Jean-François Revel s'adressant aux politiciens français : "Vous prétendez moraliser la politique, mais vous politisez la morale !" De la même manière, le document de Myriam El Khomri, prétendant pacifier les relations religieuses en entreprise, génère le débat qui génère le conflit. Elle ne comprend pas le fonctionnement de l'entreprise, la nécessité d'un pragmatisme absolu, l'importance fondamentale de l'autorité patronale, la joie de mettre ses préjugés de côté parce que la hiérarchie l'exige, et pour réussir tous ensemble.

L'entreprise EST par excellence le lieu de la collaboration, de l'union des différences, du croisement des cultures. Elle n'a pas besoin de votre vivre-ensemble. Surtout quand il est dicté par un parti où tous les leaders se détestent pour des raisons pitoyables, et qu'à peu près tout le peuple déteste pour d'excellentes raisons. Un parti où rien ne fonctionne encore, à part le gaspillage de l'argent du contribuable. Un parti qui, s'il était une entreprise, aurait fait faillite depuis très longtemps.

C'est à nous, patrons, chef d'équipes, simples travailleurs, de vous donner des leçons, Madame la Ministre, et non l'inverse. L'efficacité dans la différence, c'est nous. Et c'est pourquoi les candidatures citoyennes, venues de la société civile, du réel, de l'entreprise, sont la seule solution au naufrage de notre pays.

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Philippe Préval est entrepreneur, DG de la société Lusis et candidat-citoyen à l’élection présidentielle.

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