Pour une économie entrepreneuriale, stop au « culte du cargo »

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Par Guillaume Nicoulaud Modifié le 20 avril 2013 à 9h00

Décidée dès février 1942 par l’amiral Ernest King, la campagne des îles Salomon ne vise pas seulement à bloquer l’avancée de la marine impériale japonaise mais aussi à implanter des bases américaines sur les îles des mers du sud en vue d’une contre-attaque.

Une des priorités de King, c’est l’archipel des Nouvelles-Hébrides [1] qui commence à être investie le 29 mars lorsque la US Navy couvre littéralement la baie de Mele, à côté de Port-Vila, de vaisseaux de guerre. Mais c’est surtout à partir du mois de mai, alors que la bataille de mer de corail fait rage, que les opérations vont réellement prendre de l’ampleur : une nuée de marines et seebeas [2] vont littéralement faire doubler la population de l’île Espiritu Santo du jour au lendemain.

En quelques semaines, ce sont ainsi des milliers de tonnes de matériel qui vont être débarquées, des baraquements et des hôpitaux qui vont être construit et toute la logistique d’approvisionnement de l’US Navy qui va se mettre en place. Pour les natifs néo-hébridiens – notamment ceux des îles les plus isolées de l’archipel – une telle profusion est une source continuelle d’émerveillement et ce, d’autant plus que les seabees, bienveillants à leur égard, n’hésitent pas à réquisitionner nourriture et matériel pour les leur donner. C’est dans ce contexte, s’appuyant de vieilles croyances locales, que va se développer le culte du cargo.

Mettez-vous à la place d’un mélanésien : que voyez-vous ? Un américain, s’adressant à un objet métallique [3], demande de quoi nourrir quelques milliers d’hommes pendant un mois et, comme par magie, un bateau livre la commande en quelques jours. Pour les néo-hébridiens qui n’ont pas la moindre idée de la machine de production qui se cache derrière cet appel radio, c’est une corne d’abondance, un miracle qui relève de l’intervention divine.

Pour eux qui n’ont jamais quitté leur petit îlot perdu du Pacifique et qui ont dû, jour après jour, travailler dur pour obtenir leurs maigres moyens de subsistance, cette manifestation de la puissance des dieux des seabees va donner lieu à l’émergence d’un véritable culte : il suffit de demander et leurs vœux sont exaucés.

Demandez, vous serez exaucés

Voici maintenant plusieurs siècles que l’émergence du capitalisme moderne nous a permis, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, de nous arracher à la misère séculaire qui caractérisait la vie de nos ancêtres. Nous vivons dans un monde d’abondance, un monde dans lequel les chaînes de production ont atteint un tel degré de complexité qu’aucun d’entre nous n’est capable de décrire précisément comment ces biens et ces services que nous consommons chaque jour parviennent jusque dans nos mains. Et comme les mélanésiens, nous en sommes venus à développer une forme de culte du cargo : nous en sommes venus à nous convaincre que c’est de notre demande que dépend cette profusion.

Il faut, nous dit-on, soutenir et accroître la demande ; l’épargne, nous dit-on encore, est nuisible ; il faut consommer et même s’endetter pour consommer encore plus. Qu’une récession frappe et le cœur des voix qui appellent l’État à emprunter pour relancer la demande parviendrait presque à nous faire croire qu’un déficit budgétaire de 3% du PIB est une politique d’austérité. Le fait est que nos manuels d’économie, le discours de nos dirigeants et jusqu’à la présentation des grands agrégats de comptabilité nationale soutiennent, unanimes, l’idée selon laquelle notre demande serait limitée tandis que nos capacités de production, elles, seraient infinies.

Mais cette froide réalité que nous avons perdu de vue, c’est que si la demande en poisson d’un mélanésien affamé est bien réelle, tant qu’il restera assis sur la plage, elle demeurera insolvable ; pour que cette demande devienne consommation, il faudra d’abord qu’il aille pêcher du poisson ou qu’il produise quelque chose qu’il pourra échanger contre du poisson. Il n’y a pas moyen de s’en sortir : sauf intervention divine, toute richesse doit être produite avant d’être consommée et notre capacité à produire plus demain, à faire croitre la taille du gâteau que nous nous partagerons, dépend des investissements que nous faisons aujourd’hui.

Capitalisme = capital + isme

Ce que nous appelons croissance économique, c’est notre capacité à produire plus de richesse cette année que l’an dernier. Il y a deux manières d’y parvenir. La première consiste à être plus nombreux à produire. De toute évidence, notre volume de production global augmentera mais, comme le nombre de bouches à nourrir augmentera proportionnellement, nous ne vivrons pas mieux.

D’où la seconde méthode : réaliser des gains de productivité ; c’est-à-dire trouver un moyen d’augmenter la quantité de richesses produite par chacun d’entre nous. Si l’histoire des derniers siècles doit nous avoir appris quelque chose, c’est bien que cette capacité à améliorer nos processus de production dépend de nos investissements, de notre capacité à accumuler du capital et donc, de notre épargne.

Rappelons une évidence : un investissement dont l’objectif n’est pas de générer des profits futurs n’est pas un investissement. C’est une consommation. Lorsqu’un de nos dirigeants investit l’argent des contribuables – présents ou futurs – dans des projets qui n’ont pas d’autre objet que de soutenir la demande en créant des emplois inutiles, c’est un acte de consommation – de satisfaction de notre demande immédiate – au détriment de nos investissements – c’est-à-dire de notre croissance future. Nous agissons, en somme, comme un village de pêcheur qui brûle ses bateaux pour faire cuire ses derniers poissons.

Cette année, alors que nous exécuterons notre 38ème budget déficitaire d’affilée, que les capitaux et nos jeunes entrepreneurs fuient notre pays et après avoir ruiné notre capacité d’épargne, les pouvoirs publics menacent de consommer le stock qui reste. Tout ceci n’est que folie. Le culte du cargo est en train de nous ruiner et nous continuons imperturbablement à agir comme si cette chimérique divinité allait finir par exaucer nos vœux. Ce qui, bien sûr, n’arrivera jamais.

Choc de productivité

Alors oui, nous avons besoin d’un choc de productivité, nous avons besoin d’épargne et d’investissements mais nous avons besoin d’une épargne privée et d’investissements privés. Si nous devons retenir deux faits que la grotesque opération mani pulite à laquelle nous avons assisté ces derniers jours a mis en lumière, c’est bien qu’au regard de leurs émoluments, le patrimoine de nos élus est ridicule [4] et qu’aucun d’entre eux n’a jamais investi un centime dans autre chose de l’immobilier défiscalisé. Si nos élites politiques n’ont pas la moindre idée de ce qu’est un investissement, les français, eux, savent : qu’attendons-nous pour les laisser enfin faire ?

Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’une banque publique d’investissement mais d’une réglementation bancaire qui ne pénalise pas les prêts aux entreprises. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’une taxe sur les transactions financières, mais de marchés des capitaux les plus liquides et les plus efficients possibles. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’un matraquage fiscal des entrepreneurs mais au contraire, d’une fiscalité qui ne décourage pas la prise de risque. Ce dont nous avons besoin, enfin, ce n’est pas de subventions ni d’aides publiques mais juste d’un peu de liberté.

Le véritable courage en politique ne consiste pas à invoquer les bienfaits du cargo mais à reconnaitre enfin que la croissance, des machines à vapeur de Thomas Newcomen à l’iPhone de Steeve Jobs, a toujours trouvé sa source dans l’initiative privée. La transition de notre économie suradministrée et dépensière vers une véritable économie entrepreneuriale sera, n’en doutez pas, douloureuse et se traduira même probablement par une récession – le temps que de bons investissements remplacent nos mauvaises dépenses – mais c’est à ce prix que nous investirons vraiment dans notre futur.

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[1] Un archipel de l’océan Pacifique qui, avec les îles Banks et les îles Torrès, forme l’actuel Vanuatu.
[2] Ou CBs pour Construction Batallions, une unité de génie militaire de l’US Navy.
[3] Qui se trouve, vous l’aurez deviné, être un poste émetteur-récepteur de radio.
[4] On supposera, bien sûr, que les déclarations de patrimoine évoquées ici sont sincères.

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Guillaume Nicoulaud gère le fonds US Equity Premium de DTAM

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