La normalisation de la politique monétaire des banques centrales paraît improbable. A la prochaine crise financière, il faudra que les prêteurs prennent leurs pertes.
L’automne aura été riche en déclarations alarmistes de la part des plus hautes institutions financières internationales.
Après les mises en garde de la Banque des règlements internationaux (BRI) sur le « piège de la dette » et la hausse du nombre d’entreprises « zombies » (celles dont les bénéfices ne suffisent pas à couvrir le poids de la dette), c’est le FMI qui s’est alarmé de l’augmentation des risques consécutifs à la progression des dettes publiques et privées, redoutant un « scénario catastrophe » à partir de 2020. Du côté de l’OCDE, on apprenait par la voix du président de son Comité d'examen de la politique économique et de développement? : « la situation pourrait être aussi dangereuse qu’elle l’était en 2007 et en 2008. On n’en sait rien. C’est la raison pour laquelle on prend d’énormes précautions autour de la normalisation », a déclaré William White à un média suisse.
Les QE, plus jamais… ou pas !
Le 23 octobre, Janet Yellen mettait de l’eau dans son vin en déclarant que « la Fed pourrait un jour à nouveau avoir besoin de recourir à la politique monétaire non-conventionnelle », comme le rapporte le Wall Street Journal. Au vu de ce graphique de Natixis qui reconstitue ce qu’auraient été les taux d’intérêt à 10 ans si la Fed n’avait pas augmenté sa base monétaire depuis 2008, on comprend les précautions oratoires de la présidente du Conseil des gouverneurs de la Fed.
Mario Draghi a tenu des propos similaires lors de la conférence de presse du 26 octobre, comme je vous le rapportais récemment.
A quoi ont vraiment servi les QE et compagnie ?
De deux choses l’une : soit l’on considère que la Fed a cherché au travers de sa politique monétaire « non-conventionnelle » (qui dure tout de même depuis presque 10 ans) à combattre le chômage, auquel cas elle peut normaliser son bilan si elle considère que la situation est satisfaisante sur le plan de l’emploi ; soit les wagons de liquidités déversés sur les marchés avaient quelque peu à voir avec un léger problème d’endettement et de bulle sur certains marchés, auquel cas la marche arrière ne pourra pas être enclenchée. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Natixis, dans une autre note en date du 20 septembre :
L’Institute of International Finance (IIF) faisait d’ailleurs le point sur la question dans une étude publiée le 25 octobre. Au total, le stock mondial de dettes de tous ordres se monte à 324% du PIB mondial, soit quelque 192 000 Mds€. Est-il besoin de préciser que le record est battu ?
D’où partira donc la prochaine crise ?
Personne ne sait d’où partira la prochaine crise, ce qui n’empêche bien sûr aucunement de prendre les paris ! Mi-octobre, Goldman Sachs misait sur le marché de la dette bancaire européenne à haut risque. On se doute que la banque américaine a dû suivre les péripéties de la Banco Popular de très près… Dans le souci d’apporter un service toujours aussi complet à ses clients, Goldman Sachs a concocté de nouveaux produits financiers pour leur permettre de jouer la prochaine crise bancaire.
D’autres intervenants, comme le trader pour compte propre Jean-Christophe Ninet, parient sur un grand retour de l’inflation. Prenant acte de l’aveu de Janet Yellen, il écrit : « on parle souvent d’un krash obligataire imminent mais je suis de plus en plus persuadé que celui-ci ne naîtra pas d’une défiance des marché vis à vis de la dette mondiale mais de la survenue d’une forte inflation provoquée par l’acharnement des banques centrales. » Comme nous, il voit l’or comme la meilleure protection face à un tel risque. Il estime même que « la hausse de l’or [laquelle, selon lui, ‘fera suite au prochain krach boursier’] sera le prochain grand trade de la décennie ».
A chacun son scénario privilégié, l’essentiel étant d’être paré pour faire face à tous les cas de figure. Mais évidemment, il faudra cette fois que les prêteurs renoncent à une partie de leurs droits.
« Quelle forme prendra la spoliation des prêteurs ? »
Je mets ce sous-titre entre guillemets car ces mots ne sont pas de moi mais de… Natixis ! Les équipes de Patrick Artus écrivaient dans une note que « les niveaux d’endettement (public et privé) dans les pays de l’OCDE sont si élevés que la spoliation des prêteurs qui permet de réduire les taux d’endettement est inévitable. » La conclusion était assez limpide : « la rupture de la croissance régulière et non inflationniste forcera à basculer [d’une ‘spoliation lente des prêteurs’] vers une technologie de spoliation brutale des prêteurs : – soit par l’inflation et les taux d’intérêt réels très négatifs ; – soit par le défaut des emprunteurs ».
Pour compléter les Flash Economie de la filiale du groupe BPCE ou les propos d’auteurs libéraux, je vous propose d’élargir notre horizon en nous penchant sur La Crise, une publication d’Henri Regnault, docteur en sciences économiques et enseignant-chercheur au Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM) au sein de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
En deux mots, il s’agit d’un auteur certes keynésien mais très critique de ceux qu’il appelle les « djihadistes keynésiens », ces fervents défenseurs de la « doxa néokeynésienne qui se veut plus croyante que le prophète lui-même [et qui] veut que la politique monétaire s’affranchisse de sa limite naturelle du taux d’intérêt nominal zéro, donc en allant explorer le nominal négatif : une aberration ». Comme vous le voyez, Henri Regnault est un keynésien critique.
Sa la lettre « plus ou moins trimestrielle », publié au mois de janvier dernier, comporte une partie intitulée « Cinq technologies de spoliation ». Maintenant que vous voilà aguiché, je reviendrai très bientôt sur le déroulement prévisible de cette spoliation.
Pour plus d’informations et de conseils, c’est ici et c’est gratuit