Il n’y a pas de sortie de crise pour les bénéfices des entreprises. Il n’y a qu’une explosion de la dette, induite par les politiques monétaires des banques centrales, qui n’ont pas produit de croissance et ont perdu du temps. Le temps est la ressource la plus précieuse entre toutes. Sa mauvaise utilisation est une tragédie.
Certes, ce sont de bien grands mots. Mais ils expliquent plus ou moins où nous en sommes. Voici ce qu’a récemment écrit dans le Financial Times William White, ancien chef économiste à la Banque des Règlements Internationaux (enfin, quelque chose qui vaut la peine d’être lu dans le FT !) :
“Les stimuli monétaires exercés à plusieurs reprises au cours des huit dernières années n’ont pas réussi à produire la croissance attendue de la demande globale. Les niveaux d’endettement ont augmenté, en particulier dans les économies des marchés émergents, limitant les attentes de dépenses d’investissement actuelles et futures. Les consommateurs ont été contraints d’épargner plus, et non moins, pour assurer un revenu suffisant pour leur retraite. En même temps, l’argent facile présente deux ensembles d’effets secondaires indésirables”.
Je reviendrai un peu plus loin sur ces effets indésirables. Mais il y a deux points plus immédiats à souligner. D’abord, la Banque du Japon (BoJ) a triplé la taille de la base monétaire du pays au cours des trois dernières années et demi (à plus de 4 000 milliards de dollars) sans atteindre l’inflation à 2% ciblée par son gouverneur, Haruhiko Kuroda. Zéro. Zilch. Nada.
L’élargissement de la base monétaire a effectivement financé beaucoup d’achats d’actions, d’obligations et de biens immobiliers. Cela a fait monter le prix des actifs financiers. Tout cela est parfait pour les gens qui possèdent déjà ces actifs financiers ou immobiliers. Mais les autres ? Et l’inflation ? Rien du tout. Pourquoi ?
Le Japon a échoué car l’inflation du langage ne crée pas d’inflation monétaire
C’est là le second point que je souhaite souligner. La BoJ pensait qu’en augmentant la quantité de cash dans le système, cela augmenterait la rapidité avec laquelle il se déplace. Or, mouvement égale inflation. Inflation égale dépenses. Il faut faire penser aux gens que les choses bougent et les gens commenceront à bouger. Sauf que ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. Il s’avère que plus les gens sont incertains sur l’avenir, plus ils deviennent conservateurs. Que fait un animal lorsqu’il se rend compte qu’il est poursuivi par un prédateur ? Il se fige pour évaluer la situation.
Cibler des objectifs d’inflation avec des mots durs, des taux négatifs et encore plus d’assouplissement quantitatif a conduit les gens à perdre confiance dans les banques centrales, mais pas dans le cash. Un manque de confiance n’encourage pas l’activité mais la peur.
C’est assez ironique. L’inflation s’applique aussi au langage des banques centrales. Chaque mot supplémentaire de politique et de guidance diminue la valeur des autres mots. Les gens arrêtent d’écouter ce que vous dites. Ils ne prêtent attention qu’à ce que vous faites. Finalement, si vous en dites trop, vos paroles perdent toute valeur et tout sens ; les gens ne vous croient plus.
Par conséquent, la BoJ a abandonné son idée d’élargissement de la base monétaire lorsqu’elle a publié son rapport complet sur l’assouplissement quantitatif. Au lieu de cela, elle va à présent se concentrer sur les obligations de l’Etat japonais sur 10 ans. Selon moi, cela sera tout aussi inefficace. Cibler les taux d’intérêts à plus long terme n’est qu’une autre falsification des prix dans toute sa splendeur.
Cela étant, on peut s’attendre à ce que la BoJ devienne plus explicite. Finalement, le seul moyen efficace d’influencer les attentes d’inflation et de trafiquer les prix est de saper la confiance qu’ont les gens dans la possession physique de cash. Maquiller le prix de l’argent (les taux d’intérêt) ne suffit pas. Il faut faire en sorte que les gens veuillent se débarrasser de leurs espèces.
Il faut considérer l’argent comme s’il s’agissait de légumes ou de poisson frais que vous avez acheté au marché. Vous savez que si vous ne le consommez pas d’ici quelques jours, il pourrit, perd de sa valeur et devient inutile. C’est là le concept de base des billets de banque avec date d’expiration.
Croissance nulle et risque systémique
Mais revenons à M. White et à sa critique de l’assouplissement quantitatif. Il montre en quoi l’assouplissement quantitatif influence les objectifs d’inflation de manière négative. Plus vous dénigrez l’argent, plus les gens le stockent. Entre temps, les taux faibles créent une instabilité massive dans le système bancaire. White décrit deux effets secondaires indésirables qu’entraînent les politiques actuelles des banques centrales.
D’abord, les politiques actuelles favorisent l’instabilité financière. En resserrant les écarts de taux entre les crédits à court terme et à long terme, les business models des banques, des compagnies d’assurance et des fonds de pension sont mis en danger. Le fonctionnement des marchés financiers a également changé, avec des ‘anomalies’ indiquant que beaucoup de prix d’actifs sont poussés à des niveaux dangereusement élevés.
Deuxièmement, les politiques actuelles menacent la croissance future. Les ressources mal allouées avant la crise ont été verrouillées par des banques zombies soutenant des entreprises zombies. Comme ni les institutions financières ni les marchés financiers ne fonctionnent correctement, cela a encore plus encouragé de mauvaises allocations depuis la crise.
Difficile de ne pas penser à la Deutsche Bank lorsqu’on lit cela… Les banques allemandes ont été particulièrement frappées par les taux faibles. Pourquoi ? Parce qu’elles dépendent fortement des dépôts comme sources de financement. Lorsque les épargnants ne peuvent pas gagner d’argent grâce à leurs comptes d’épargne, ils sortent leur argent de la banque et en font un usage plus utile, comme le conserver dans un bas de laine. Ou alors ils l’investissent dans ce qui rapporte un rendement (quel qu’il soit).
Deutsche Bank, comme toutes les banques, a certainement des milliards englués dans des investissements et des dettes sans avenir. Selon le Telegraph, les grandes multinationales ont émis plus de 5 000 milliards de dollars de nouvelles dettes cette année. Le volume de dettes obligataires émises par les entreprises est sur le point de dépasser le record établi en 2006.
Si vous étiez une société non financière avec la capacité d’émettre des titres d’emprunt de qualité que les banques centrales seraient très désireuses d’acheter, pourquoi ne le feriez-vous pas ? La Banque d’Angleterre entame un programme de 18 mois pour acheter pour 10 milliards de livres sterling d’obligations de sociétés non financières. La Banque d’Angleterre et Mark Carney entrent en guerre contre la déflation au Royaume-Uni juste au moment où la Banque du Japon reconnaît son échec. L’assouplissement quantitatif tel que nous le connaissons n’a pas fonctionné. L’assouplissement quantitatif comme il n’a encore jamais été testé – sous la forme d’helicopter money – devient “le chouchou” de la panoplie des politiques.
Les investisseurs professionnels ne croient plus aux politiques monétaires
Il s’agit toutefois d’une stratégie désuète et inefficace — et les acteurs du marché financier le savent. Voici ce que pense Richard Hodges, de Nomura Asset Management, du nouveau programme de la Banque d’Angleterre :
“Cela deviendra presque certainement un exemple supplémentaire d’une tentative ratée par une banque centrale de générer la croissance et l’inflation. Cela signifie simplement que nous achèterons tous des actifs plus chers et prendrons plus de risques en allongeant encore plus la courbe des rendements et en raccourcissant la courbe de la qualité des crédits.”
Si le diagnostic de White du problème économique est correct, sa proposition pour le résoudre est discutable. Il en appelle à des “changements de paradigmes“ dans la pensée économique et à une nouvelle législation. C’est évident que ce dont nous avons le plus besoin aujourd’hui, c’est encore plus de lois !
Le résultat le plus probable est qu’une fois que l’assouplissement quantitatif sera reconnu comme un échec (et que le marché corrigera/s’effondrera pour refléter cet échec), un déficit public encore plus béant et la nationalisation partielle du système bancaire seront au programme. Plus d’emprunts, des faillites orchestrées et une restructuration de sociétés financières en difficulté.
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