La Banque Centrale Européenne avait-elle le droit d’acheter des obligations d’Etat ?

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Par Charles Sannat Modifié le 10 février 2014 à 14h23

Cette information a été savamment cachée sous une épaisse complexité juridique et résumée d’une façon assez simpliste par une Youpi tralala, la Cour allemande transfère la décision à la justice européenne qui va forcément dire oui, c’est bien, vu qu’ils sont des fédéralistes patentés. Fin de l’histoire, circulez, il n’y a rien à voir !

Sauf que cette vision est pour le moins partiale et partielle, loin d’expliquer la complexité de la décision rendue qui n’est qu’un simple renvoi et bien un vote massif de rejet du plan OMT par les juges allemands qui considèrent ce programme comme illégal par six voix contre deux !

Je vais donc essayer de vous rendre intelligible ce problème assez compliqué faisant appel en plus au droit européen qui n’a jamais brillé par sa simplicité à commencer par son accessibilité sémantique puisque derrière tout cela se joue une immense bataille juridique faisant appel à la notion de « question préjudicielle » !

La BCE sous contrôle de la Cour Constitutionnelle Allemande

Je vous traduis ci-dessous les passages les plus importants de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle allemande, et cet arrêt me semble clair, pondéré et juste, aussi bien dans son analyse que dans les solutions proposées.

« b) L’article 123 sec. 1 du TFUE interdit à la Banque centrale européenne l’achat d’obligations gouvernementales directement à partir d’une émission des États membres. Il semble évident que cette interdiction ne peut être contournée par mesures fonctionnellement équivalentes. Les aspects mentionnés ci-dessus, à savoir la neutralisation des écarts de taux d’intérêt, la sélectivité des achats, et le parallélisme avec les programmes d’assistance du FESF et du MES indiquent que le fonctionnement des OMT vise à un contournement illicite de l’art. 123 sec. 1, du TFUE.

Les aspects suivants peuvent être ajoutés : la volonté de participer à une réduction de la dette à l’égard des obligations à acheter ; le risque accru ; la possibilité de conserver les obligations d’État achetées à maturité ; l’ingérence dans la formation des prix sur le marché, et l’encouragement, provenant du Conseil des gouverneurs de la BCE, à intervenir directement sur le marché primaire en achetant des obligations.

c) De l’avis de la Cour constitutionnelle fédérale, l’objectif défini par la Banque centrale européenne pour justifier la décision de l’OMT, à savoir corriger une perturbation dans le mécanisme de transmission de la politique monétaire, ne peut pas changer cette évaluation.
Le fait que l’achat d’obligations d’État peuvent, sous certaines conditions, aider également à soutenir les objectifs de la politique monétaire du Système européen de banques centrales transforme le mécanisme dit OMT en un acte de politique monétaire.
Si l’achat d’obligations d’État était recevable à chaque fois que le mécanisme de transmission de la politique monétaire de la BCE est perturbé, cela reviendrait à accorder la Banque centrale européenne le pouvoir de remédier à la détérioration de la cote de crédit d’un État membre grâce à l’achat direct d’obligations de cet État. Cela équivaudrait largement à une suspension de l’interdiction de financement monétaire des budgets des États membres de la zone euro par la BCE. »

Nous pouvons donc résumer la position des sages allemands par le fait qu’une politique OMT (opérations monétaires sur titres), à savoir le rachat directement par la Banque centrale européenne d’obligations émises par des États membres, est totalement illégale au regard de l’article 123 qui stipule de façon très claire qu’il est interdit à la BCE de racheter directement des dettes d’États. C’est tout simplement interdit, tout le monde le sait bien, Mario Draghi, le gouverneur de la BCE, le sait parfaitement et sur ce sujet des OMT (potentiel car ce mécanisme n’a jamais été utilisé), il est évident qu’une telle politique est tout simplement illégale et qu’il faudrait pour ce faire modifier le droit européen et les statuts de la BCE ou alors limiter considérablement la portée des OMT afin de rendre un tel programme compatible avec le droit européen actuel et les traités en vigueur.


Or la Cour constitutionnelle allemande explique comment elle pourrait reconsidérer la légalité d’un tel mécanisme, notamment si les rachats OMT étaient limités dans le temps, en montant, mais également non ciblés, à savoir que la BCE devrait racheter indistinctement tous les types d’obligations de l’ensemble des États membres de la zone euro et pas uniquement par exemple que des obligations italiennes si la dette italienne à un moment était particulièrement attaquée.

Une telle décision, vous en conviendrez, retirerait toute utilité et toute efficacité à une politique OMT qui, par définition, doit permettre à la Banque centrale européenne de racheter uniquement de la dette du pays membre dont la dette serait attaquée par les marchés… Il serait assez inefficace pour faire baisser les taux italiens… d’acheter de la dette française ou allemande !

La décision des juges allemands annule donc en totalité la proposition d’OMT en cas de problème formulée par Mario Draghi et qui est la seule chose qui ait ramené le calme sur les marchés au moment où les inquiétudes des marchés sur l’avenir de la zone euro était à son comble en 2011.

Assez logiquement, alors que la Cour allemande rend un avis clairement et incontestablement négatif sur la politique menée par la BCE, elle pose ce que l’on appelle une question préjudicielle à la Cour de justice européenne afin d’obtenir un avis de la plus haute autorité judiciaire européenne sur son interprétation des traités en vigueur, comme le montre le paragraphe concerné dans la décision de la Cour de Karlsruhe :

« 4. Sous réserve de l’interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour constitutionnelle fédérale considère que la décision de l’OMT incompatible avec le droit primaire, une autre évaluation pourrait, cependant, être justifiée si la décision de l’OMT pourrait être interprétée en conformité avec droit primaire. »

Il va donc falloir que la justice européenne donne son avis sur l’interprétation des traités et en fonction, alors, la Cour constitutionnelle allemande pourrait être amenée à réévaluer sa décision. Le problème est double. D’une part, rien ne dit que la justice européenne pourrait écrire noir sur blanc qu’une action OMT ne viole pas l’interdiction faite à la BCE de racheter des obligations d’États membres de la zone euro tant cet article est clair et sans ambiguïté et laisse peu de place à l’interprétation, mais surtout, à ce qu’il me semble, dans un pareil cas, juridiquement la Cour de justice européenne ne va faire que rendre un avis sous forme d’interprétation mais la décision finale restera dans les mains de la Cour constitutionnelle allemande.

La Cour de Justice Européenne devra se prononcer sur la politique monétaire de la BCE

Sur le site Europe.eu, qui est le site explicatif des législations européennes, il est précisé concernant les questions préjudicielles que :

« Toute juridiction nationale, saisie d’un litige dans lequel l’application d’une règle de droit européen soulève des questions (litige principal), peut décider de s’en remettre à la Cour de justice pour résoudre ces questions. Il existe alors deux types de renvoi préjudiciel :

1/ le renvoi en interprétation de la norme européenne : le juge national demande à la Cour de justice de préciser un point d’interprétation du droit européen afin de pouvoir l’appliquer correctement ;

2/ le renvoi en validité de la norme européenne : le juge national demande à la Cour de justice de contrôler la validité d’un acte de droit européen.

Le renvoi préjudiciel constitue donc un renvoi «de juge à juge». Même s’il peut être demandé par l’une des parties au litige, c’est la juridiction nationale qui prend la décision de renvoyer devant la Cour de justice. À ce titre, l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’UE précise que les juridictions nationales qui statuent en dernier ressort, c’est-à-dire dont les décisions ne peuvent faire l’objet d’un recours, ont l’obligation d’exercer un renvoi préjudiciel si l’une des parties le demande. En revanche, les juridictions nationales qui ne sont pas de dernier ressort n’ont pas l’obligation d’exercer ce renvoi même si l’une des parties le demande. En tout état de cause, toutes les juridictions nationales peuvent spontanément saisir la Cour de justice en cas de doute sur une disposition européenne.

La Cour de justice se prononce alors uniquement sur les éléments constitutifs du renvoi préjudiciel sur lesquels elle est saisie. La juridiction nationale reste donc maîtresse du litige principal.

Par principe, la Cour de justice doit répondre à la question soulevée. Elle ne peut pas refuser d’y répondre au motif que la réponse ne serait ni pertinente ni opportune au regard du litige principal. Elle peut, en revanche, s’y opposer si la question ne relève pas de sa sphère de sa compétence. »


La BCE avait-elle le droit d'acheter de la dette publique ?

Je ne suis pas un spécialiste du droit européen qui est à peu près aussi clair que du jus de chique… Résultat : j’ai posé la question à un avocat spécialiste de ces questions… dont j’attends les précisions qui nous seront utiles pour bien saisir toutes les implications et la portée de cette décision.

Pour le moment, et au risque de me tromper, donc je vous livre mon avis et mon interprétation mais ce n’est en aucun cas une vérité absolue dans la mesure où, encore une fois, j’attends des précisions sur le droit européen qui est d’une très grande complexité.

Je pense donc, en l’état actuel des choses, que la Cour allemande a procédé à une question préjudicielle afin de voir la Cour européenne de justice confirmer au moins partiellement son analyse sur l’illégalité de telles procédures au regard des traités existants. L’objectif de la Cour allemande est sans doute d’obtenir une nécessaire renégociation des traités afin de les voir intégrer la possibilité des OMT, or il faudrait l’unanimité des pays membres… et l’Allemagne serait vraisemblablement en désaccord lors d’une nouvelle négociation et bloquerait tout changement de philosophie monétaire et d’indépendance de la BCE.

En attendant, cette décision permet aux juges allemands de temporiser, de gagner du temps tout en gravant dans le marbre une décision remettant en cause profondément la politique monétaire menée par Mario Draghi et la BCE.

In fine, d’après ce que j’ai compris (mais c’est sans certitude), c’est bien la Cour constitutionnelle allemande qui aura le dernier mot et, pour le moment, cela permet d’habituer en douceur les marchés à un désaccord profond notamment en provenance d’Allemagne…

Compte tenu de l’importance de ce sujet susceptible de préfigurer soit un retrait allemand de l’euro, soit encore une reconfiguration de la monnaie unique, nous allons continuer à le suivre avec attention et j’attends des précisions juridiques que je partagerai avec vous dès que je les aurai.

Restez à l’écoute.

À demain… si vous le voulez bien !!

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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