La FED n’a finalement rien changé à sa politique monétaire

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Par Sylvain Fontan Modifié le 23 octobre 2013 à 6h20

Alors que les observateurs anticipaient une modification de la politique monétaire américaine en septembre 2013, aucun changement n'est finalement intervenu à cette date. Les raisons tiennent à la fois à une reprise économique moins bonne qu'anticipée, mais aussi à des aspects purement humains. Enfin, la non-décision de la banque centrale américaine révèle en creux le manque de capacité d'entrainement de l'économie américaine sur l'économie mondiale.

Eléments de compréhension

La politique monétaire a été un instrument majeur des Etats-Unis pour traverser la crise globale. La FED (autrement dit la Federal Reserve) est la banque centrale des Etats-Unis. Elle est l'institution responsable de la politique monétaire du pays. Depuis le début de l'année 2009, la FED a développé une stratégie monétaire très accommodante via deux éléments principaux :

Des taux d'intérêts très bas : le but était de soutenir l'activité économique en incitant les agents économiques (ménages, entreprises, investisseurs) à dépenser aujourd'hui plutôt que de reporter leurs décisions de consommation et d'investissement dans le futur. Pour ce faire, l'idée consiste à faire diminuer autant que possible le niveau des taux d'intérêts afin que les agents économiques puissent se financer à bas coût. L'objectif est donc d'éviter un phénomène de "credit crunch" (resserrement du crédit).

Des achats massifs d'actifs (actifs immobiliers et dette publique) : en pratique, cela consiste à injecter des liquidités dans le système économique. Le but est ainsi de soutenir l'activité et la croissance économique du pays afin d'éviter le risque de récession et de déflation (inflation négative). Plusieurs plans d'achats d'actifs ont été développés depuis le déclenchement de la crise globale. Ces différents plans sont regroupés sous l'appellation de "Quantitative Easing" (QE ou "assouplissement quantitatif" en français). Autrement dit, et pour simplifier, cela consiste à faciliter et à accroître la quantité de monnaie en circulation.

Anticipations d'évolution de la politique monétaire des Etats-Unis

Les observateurs anticipaient une modification de la stratégie monétaire de la FED. En effet, au printemps dernier, Ben Bernanke (l'actuel Président de la FED) avait fait des déclarations très claires indiquant qu'il allait faire évoluer sa politique monétaire à l'automne. Pour cela, il envisageait de réduire dans un premier temps les achats d'actifs qui sont au cœur de la stratégie du Quantitative Easing(QE).

L'idée était de ralentir l'injection de liquidités dans le système économique. En effet, actuellement, la FED, au titre du QE, achète mensuellement 85 milliards de dollars d'actifs, dont 40 milliards en actifs immobiliers et 45 milliards d'obligation du Trésor américain (émission de dette des Etats-Unis). Pour se rendre compte de l'ampleur de cette politique monétaire il convient par exemple d'avoir en tête que la totalité des sommes déversées dans l'économie américaine, au titres des différents QE depuis le début de la crise, s'élève à 10'000 milliards de dollars. Un tel montant correspond à près de 50 fois le plan Marshall qui avait permis à l'Europe de se reconstruire après la seconde guerre mondiale.

La FED envisageait de réduire son soutien à l'économie américaine. L'idée qui présidait à cette perspective était que l'économie américaine semblait donner progressivement des signaux plus positifs, indiquant ainsi une certaine reprise économique. Dès lors, la FED pouvait progressivement envisager de faire évoluer sa politique monétaire afin que celle-ci puisse retrouver une allure plus "normale" (même si après une telle crise la définition d'une politique monétaire dite normale est un sujet à lui seul).

Contre toute attente, la FED n'a finalement pas modifié sa stratégie monétaire. En effet, contrairement à l'idée selon laquelle la FED pourrait et allait modifier sa politique à l'automne, les déclarations du président de la FED sont venues infirmer cette idée. Il était raisonnable d'envisager que des annonces allant dans ce sens pouvaient être effectuées. En effet, tout d'abord, (1) une conférence de presse était déjà prévue de longue date pour la mi-septembre, ensuite, (2) l'intention de la FED paraissait suffisamment claire pour donner du crédit à cette perspective, d'autant plus qu'il s'agissait également en partie de la crédibilité des intentions de la FED qui était en jeu, enfin et surtout (3) la FED conditionnait son changement de politique à une diminution préalable du taux de chômage aux Etats-Unis, laquelle ayant presque été atteinte. Le seuil fixé était de 7% de la population active. Or, en Août, le taux de chômage outre-Atlantique était de 7,3%. Dès lors, même si le seuil de 7% n'était pas atteint, la dynamique semblait se confirmer et la prolongation probable de cette dynamique pouvait accréditer l'idée que cela suffirait à la FED pour infléchir sa politique monétaire.

Les raisons d'une non-décision

La FED ne conditionne plus l'évolution de la politique monétaire au niveau du chômage. En effet, alors que la Fed avait elle-même limité ses marges de manœuvres en se liant à des chiffres très précis en matière de chômage, elle a préféré se délier de cette contrainte de façon inopinée. Alors qu'un taux de chômage à 7% d'ici la fin de l'année 2013 est envisageable étant donné la dynamique de l'emploi aux Etats-Unis, la FED a implicitement fait comprendre que dorénavant le seuil à partir duquel il conviendrait d'envisager une évolution de la politique monétaire serait de l'ordre de 6,5% de chômage de la population active. De plus, la notion de seuil d'inflation est également à prendre en compte. En effet, alors que la cible d'inflation de la FED est de 2%, elle a annoncé qu'il faudrait également que ce seuil soit dépassé pour impliquer une évolution de sa politique.

Au-delà des aspects de seuil, la position de la FED reflète fondamentalement des inquiétudes. En effet, cette non-décision traduit en réalité le fait que la FED observe que l'économie américaine n'a actuellement pas la dynamique qu'elle espérait en juin, lors des premières annonces. En d'autres termes, si l'activité semble s'améliorer, cette amélioration est moindre qu'anticipée. Dès lors, ce constat suscite légitimement des inquiétudes sur la nature et la vigueur de la reprise économique aux Etats-Unis. Plus largement, cela traduit également des interrogations sur la reprise mondiale. Ainsi, la FED estime en creux que la reprise économique mondiale est insuffisante, et que sa pérennité est suffisamment incertaine, pour ne pas s'engager dans un processus très risqué pouvant potentiellement entraîner un retour en arrière dans la crise.

Egalement, un élément historique doit être pris en compte. En effet, Ben Bernanke, l'actuel président de la FED, est un économiste de formation spécialiste de la grande dépression économique qui a touché les Etats-Unis dans les années 1930. A cette époque, une double restriction (budgétaire et monétaire) trop rapide et brutale avait fortement pesé sur l'activité économique en 1937-38. Dans ce cadre, Ben Bernanke a peur d'engendrer un scénario similaire avec une restriction monétaire qui viendrait s'ajouter à une restriction budgétaire en cours aux Etats-Unis avec la baisse des dépenses publiques, notamment concernant le budget de la défense nationale. Ainsi, il est conscient des risques autour de la stratégie de sortie des politiques monétaires accommodantes ("Exit Strategy issues" en anglais).

Enfin un facteur purement humain est à prendre en compte. Rappelons que le mandat de Ben Bernanke à la tête de la FED arrive à son terme en janvier 2014 (le nom de son successeur est connu depuis début Octobre, se sera Janet Yellen). Dès lors, d'un point de vue personnel, il n'a pas envie d'être celui que l'histoire retiendrait comme étant l'homme à l'origine d'une éventuelle rechute de l'économie mondiale.

Les implications de cette non-décision sont mondiales. En effet, et au-delà des impacts directs sur les marchés des pays émergents et sur l'Europe, cette non-décision souligne surtout pour le reste du monde le fait que l'économie américaine n'aura pas, à court et à moyen terme, le rôle d'entrainement sur l'économie mondiale sur lequel certains pays, et non des moindres, comptaient pour aider leurs économies.

Retrouvez d'autres décryptages économiques écrits par Sylvain Fontant sur son site : www.leconomiste.eu

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Sylvain Fontan, économiste et créateur du site www.leconomiste.eu   Parcours Professionnel   - Analyste-Investissement (Unigestion - Société de gestion d’actifs) - Analyste-Risque (RWE - Société de trading en énergie) - Analyste-Hedge Fund (BPER - Banque Privée Edmond de Rothschild) - Macroéconomiste (TAC - Laboratoire de recherche privé en économie et finance) - Chargé d’études économiques (OMC - Organisation Mondiale du Commerce) - Chargé d’études économiques (ONU - Organisation des Nations Unies)  

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