Opinions des Français relatives à la politique familiale

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Par Jacques Bichot Modifié le 7 octobre 2019 à 1h38
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@shutter - © Economie Matin

La DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques des ministères sociaux) réalise régulièrement une étude par sondage concernant les opinions relatives à la politique familiale. Le dernier en date de ces sondages, dit « Baromètre d’opinion », a été réalisé en 2018 et ses résultats viennent d’être publiés dans le numéro 1126 d’Études et résultats (octobre 2019).

Tout sondage pose des questions découlant de l’idée que les concepteurs du questionnaire se font du phénomène ou de l’institution à propos duquel ou de laquelle vont être interrogées les personnes composant l’échantillon. Tous les sondages sont donc plus ou moins « orientés ». Dans le cas présent, il s’agit d’un sondage très orienté. En effet, demander à Monsieur X et à Madame Y ce qu’ils pensent des « aides à la famille » n’est pas équivalent à leur demander leur avis sur la politique familiale. En adoptant la première formulation, l’enquêteur place les interviewés dans une situation où la politique familiale est considérée uniquement comme une aide. Les concepts de justice, d’échange, d’investissement dans le capital humain, sont écartés ; la politique familiale est réduite à sa dimension assistancielle.

Les enquêteurs se limitent ainsi à une certaine conception du rôle de l’État, à savoir apporter des aides à des personnes dans le besoin. Le rôle de l’État dans l’organisation des échanges entre générations successives n’est pas au programme, en dépit du rôle fondamental qu’y tient la famille. L’opinion selon laquelle la politique familiale pourrait avoir pour but de répartir équitablement la charge de l’investissement dans la jeunesse n’est pas testée. Les concepteurs de l’enquête se sont comportés comme l’homme qui, ayant nuitamment perdu la clé de son domicile, ne la cherche que sous le lampadaire, parce que c’est là qu’on y voit clair sans se donner la peine de se procurer une lampe électrique. La notion d’aide à la famille est l’équivalent de ce lampadaire qui n’éclaire qu’une petite portion du trottoir ; en se limitant à elle, l’enquête a les plus grandes chances de ne pas déboucher sur la découverte de la clé perdue, celle qui permettrait de répondre à la question : qu’est-ce qu’une bonne politique familiale ?

Des questions plus idéologiques que scientifiques

Le premier encadré de l’article, qui a pour titre La politique familiale en France, annonce clairement la couleur. Citons-le donc : « La politique familiale comprend l’ensemble des mesures prises par les pouvoirs publics pour aider les familles à élever leurs enfants et à faire face à la charge financière qu’ils représentent. » Le quotient familial, formule utilisée pour calculer l’impôt sur le revenu, y est d’autorité présenté comme une aide : « ces mesures peuvent prendre plusieurs formes (…) : des aides publiques versées à des infrastructures proposant des services, comme les crèches ; des aides fiscales, comme l’application du quotient familial dans le cadre de l’impôt sur le revenu. »

Ite, missa est, allez, la messe est dite, chacun a reçu sa part de la grâce étatique. Nous sommes en présence, non pas d’une analyse, mais d’un acte de foi. Un bon Français ne saurait penser que le quotient familial n’est pas un privilège que l’État accorde aux familles, mais une simple mesure de justice fiscale, pas plus qu’un bon chrétien ne saurait douter de ce qui est « parole d’évangile » ou un bon musulman de ce qui est écrit dans le Coran. Religion civile, la doctrine politiquement correcte s’impose sans vergogne, sans avoir à se soumettre à l’analyse économique.

La DREES pose la question « selon vous, quel devrait être l’objectif prioritaire de la politique familiale ? » S’il s’agissait d’une question ouverte, nous n’aurions aucune objection. Mais la question posée est « fermée », c’est-à-dire que la personne interviewée doit choisir entre quelques réponses, probablement celles qui correspondent aux présupposés des rédacteurs du questionnaire. Dans le cas étudié, l’interviewé doit choisir entre cinq objectifs envisageables pour la politique familiale : « soutenir la natalité » ; « rapprocher les niveaux de vie des familles avec enfants et des personnes sans enfants » ; « rendre les jeunes de plus de 20 ans plus autonomes à l’égard de leur famille » ; « permettre une meilleure conciliation entre vie familiale et vie professionnelle » ; « permettre aux familles de mieux se loger ». Toutes ces formules correspondent à une forme d’aide aux familles.

Autrement dit, si quelqu’un estime que la politique familiale a comme mission principale de rendre justice aux familles, ou inversement qu’elle subventionne indûment un comportement procréatif qui met en danger l’avenir écologique de notre planète, son opinion n’est pas prise en compte. Seules sont possibles des réponses cohérentes avec le présupposé idéologique des constructeurs du questionnaire. Sous couvert de travail scientifique, la question fondamentale des objectifs de la politique familiale est posée de façon biaisée, en imposant une courte liste définie par les responsables de l’enquête. Celui qui ne trouve pas chaussure à son pied dans ce magasin qui ne propose que 5 modèles de croquenots peut, pour se consoler, songer à la vieille histoire de l’explorateur prisonnier d’anthropophages qui, courtoisement, lui demandent s’il préfère être mangé rôti ou bouilli : certes, on peut faire encore pire que la DREES en matière de questions « fermées » !

Chacune des deux dernières formules (conciliation entre vie familiale et vie professionnelle ; aide au logement) obtient plus du tiers des voix, et les trois autres se partagent le petit tiers restant. Qu’est-ce que cela nous apprend ? Qu’il y a des attentes non satisfaites en matière de logement et de cumul de responsabilités professionnelles et familiales. Ce n’est certes pas sans intérêt, même si cela ne fait que confirmer quelque chose qui est connu depuis belle lurette, mais ce n’est pas cela, ni les réponses aux trois autres questions, qui peut nous apprendre si les Français ont conscience de ce à quoi sert la famille, de ce qui est son rôle dans notre nation, de ce que cette cellule de base de la société apporte (et pourrait apporter de plus) au pays. La recherche se concentre sur ce que l’État et la Sécu apportent aux familles, sans se préoccuper de la contribution des familles à la bonne marche et à l’avenir du pays et de la société. L’idée selon laquelle la famille est productrice de services d’utilité vitale pour le pays n’est pas évoquée ; elle est écrasée par l’idée d’aide à la famille. Il n’est pas question d’échange, de services rendus réciproques, de contributions des familles au fonctionnement équilibré du pays et de la société, ni de reconnaissance de ces contributions.

Un grand absent : le lien entre la politique familiale, les deux autres branches de la sécurité sociale (retraites et maladie), et le système d’enseignement

L’enquête DREES reflète au niveau conceptuel la segmentation institutionnelle de la sécurité sociale en « branches », dont les trois principales sont la santé, la vieillesse et la famille. Chacun devrait pourtant savoir, depuis les explications fournies par Alfred Sauvy, le fondateur de l’INED (Institut National d’Etudes Démographiques), que dans le système dit « répartition » ce ne sont pas les cotisations vieillesse qui préparent effectivement les retraites des cotisants, mais l’investissement dans la jeunesse, c’est-à-dire la mise au monde d’enfants en nombre suffisant et leur préparation efficace à la vie active. Dans ce domaine, les catégories administratives ne facilitent pas la compréhension de ce qui se passe en réalité, bien au contraire.

Si l’on s’intéresse au fonctionnement économique réel de notre société, on voit que la politique familiale, du fait qu’elle sert à financer une partie de l’investissement dans la jeunesse, joue un rôle important dans le fonctionnement du système de retraites par répartition. Elle a aussi une intersection non vide avec l’assurance maladie, puisque les enfants mineurs sont couverts par cette assurance sans que leurs parents aient à verser un supplément de cotisation. Et la prise en charge des aspects médicaux liés à la grossesse et à l’accouchement relève pareillement à la fois de la politique familiale et de la politique de santé. Quant à l’enseignement, de la maternelle au supérieur, qui porte une responsabilité majeure dans la formation du capital humain, et donc dans la préparation des retraites, son lien avec la politique familiale est évident. Le souci que de nombreux parents se font quant à la qualité de la formation scolaire reçue par leurs enfants est considérable, mais le questionnaire de la DREES ne s’y intéresse pas.

Il est donc regrettable que l’enquête de la DREES ne porte en aucune manière sur la perception que nos concitoyens ont de l’interdépendance qui existe entre les différentes institutions mentionnées ci-dessus. Cette enquête s’intéresse assez largement aux crèches et autres « modes de garde » (assistantes maternelles, garde à domicile, parents et grands-parents), mais pas à l’école primaire, au collège, au lycée ni à l’enseignement supérieur : ce n’est pas logique. Poser la question de savoir si l’enseignement fait d’une certaine manière partie de la politique familiale serait fort intéressant, ne serait-ce que parce que le budget de la politique familiale, en incorporant celui de l’enseignement, triplerait sensiblement.

La DREES écrit que « la politique familiale comprend l’ensemble des mesures prises par les pouvoirs publics pour aider les familles à élever leurs enfants et à faire face à la charge financière qu’ils représentent », mais elle omet la prise en charge la plus importante, celle des frais de scolarité. Le budget de la formation initiale représente largement le double de celui de la politique familiale au sens restreint utilisé par la DREES, et sa prise en compte modifierait donc très fortement les perspectives. Les prestations familiales au sens classique du terme font pâle figure en comparaison du budget de l’Éducation nationale, et des questions relatives à la satisfaction (ou insatisfaction !) des parents vis-à-vis du système scolaire et universitaire ne seraient certes pas inutiles pour mieux connaître leur opinion sur ce sujet dont l’importance est capitale pour les familles et pour le pays.

Conclusion : un besoin d’air frais

Notre système statistique est passablement sclérosé : les insuffisances qui viennent d’être constatées en constituent une preuve parmi d’autres. Alors que l’informatique permettrait des progrès considérables, elle a semble-t-il contribué à décérébrer nos statisticiens, qui se sont mis à calculer de plus en plus, à produire de plus en plus de chiffres, de graphiques et de commentaires « convenus », et qui réfléchissent de moins en moins à la signification et à la pertinence de leurs évaluations.

L’inflation statistique est une sorte de raz-de-marée qui a submergé la réflexion et l’analyse. Notre chère DREES, mais aussi notre cher INSEE et quelques institutions analogues, notamment internationales, nous infligent un déluge permanent de données peu significatives en raison de l’insuffisance de leur réflexion conceptuelle. Nos dirigeants souffrent d’un mal analogue : ils agissent quantitativement beaucoup, mais le résultat est modeste, quand il n’est pas mauvais, faute de réflexion préalable adéquate. Un courant d’air frais qui ferait s’envoler la paille des chiffres inutiles et permettrait à l’intelligence de respirer un air moins pollué par l’inflation numérique serait des plus bénéfiques.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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