Questions autour de la politique économique américaine

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Par Hervé Goulletquer Publié le 12 février 2020 à 13h38
Trump Chine Accord Commerce 1
@shutter - © Economie Matin
10%Entre 2000 et 2007, la croissance du PIB chinois dépassait 10% l'an.

En ce temps incertain, coronavirus oblige, les investisseurs et les opérateurs gardent un œil sur les initiatives de politique économique ; aux Etats-Unis d’abord. Le message en provenance de la politique monétaire est comme attendu : si nécessaire, un soutien sera apporté. Du côté de la politique budgétaire, la communication est toute électorale ; le moment ne parait pas être à la gestion du cycle conjoncturel. Quant à la politique commerciale, à laquelle les marchés s’intéressent dorénavant moins, elle continue d’envoyer des messages menaçants. Il est sage de continuer de la suivre de près.

En ce temps à nouveau incertain (crise du coronavirus de Wuhan oblige), l’attention du marché se porte sur les mesures de soutien que les pouvoirs publics seraient amenés à prendre. On pense d’abord à la politique monétaire et on évoque la politique budgétaire. Et peut-être oublie-t-on la politique commerciale. Il faut dire qu’elle se décline moins comme un support et bien plus comme une menace.

Le Président du Board de la Fed a été auditionné par une commission de la Chambre des représentants. Bien sûr, Jerome Powell réitère le diagnostic, en scénario central, d’une économie américaine qui progresse à un rythme modéré et qu’à ce titre le réglage monétaire doit rester inchangé. Le point d’attention pour le marché est assurément ailleurs. Le « patron » de la banque centrale réitère la nécessité de suivre de près l’évolution de l’épidémie de coronavirus de Wuhan. Il semble se refuser à extrapoler la tendance récente de la maladie, qui ferait suggérer que le pic serait en passe d’être atteint. En fait, il met en avant trois éléments pour justifier une nécessaire vigilance : une vitesse d’évolution de la crise sanitaire plus rapide que lors de l’épisode du SRAS, un poids de la Chine dans l’économie mondiale beaucoup plus élevé aujourd’hui qu’il y a 17 ans (4 fois plus environ) et le maillage étroit du secteur manufacturier mondial, avec le rôle important joué par les fournisseurs chinois. Le message, au moins indirect, au marché est clair : la Fed agira si besoin. Il ne peut que rassurer, même, si les investisseurs veulent croire que l’épidémie est en train de perdre en vigueur.

L’Administration Trump a présenté sa projection budgétaire fédérale à l’horizon des 10 prochaines années. L’exercice a quelque chose de très formel. L’actuel Congrès ne votera pas le texte en l’état. Et que sera l’équilibre politique du pays au lendemain des élections de novembre prochain ? Disons que la proposition est très trumpienne : optimiste en termes de prévisions de croissance économique (3% l’an !), volontaire en termes de préservation des baisses d’impôts et déterminée pour ce qui est des priorités au niveau des dépenses (plus pour la défense et les infrastructures et moins pour les postes discrétionnaires non militaires). Le tout en prévoyant une légère réduction de l’impasse des comptes. On le comprend ; l’ambition est toute électorale (flatter la base électorale et se différencier des candidats démocrates). La gestion de la conjoncture n’est pas une préoccupation à laquelle le projet veut répondre. Ce qui ne veut pas dire que le point n’est pas d’importance pour la Maison Blanche. La sauvegarde de la croissance est de première importance pour le Président Trump !

Depuis l’accord de phase 1 signé entre la Chine et les Etats-Unis, on peut avoir l’impression que les tensions autour de la politique commerciale se sont réduites. De fait, elles sont moins sur le devant de la scène. Il faut dire que le dossier du coronavirus de Wuhan a vite pris la place de celui des tensions sino-américaines. Cela veut-il dire que l’Administration Trump s’est « achetée un conduite » en la matière ? Sur le fond, vraisemblablement pas et sur la forme, tout sera fonction d’un jeu tactique en fonction des opportunités qui se présenteraient. En fait quatre dossiers méritent l’attention des marchés.

Premièrement, tout n’est pas simple dans la mise en place de l’accord passé le mois dernier entre Pékin et Washington. En fait, sur un périmètre représentant 78% des achats chinois de biens et services américains, Pékin s’est engagé à une augmentation de plus de 30% par an en 2020 et encore en 2021. L’objectif est ambitieux. Rappelons qu’entre 2000 et 2007, alors que la croissance du PIB chinois dépassait 10% l’an, les importations en provenance des Etats-Unis progressaient chaque année de 21%. Comment cela peut-il se passer maintenant ? Les deux pistes auxquelles on pense sont d’une part de moindres achats sur la partie non couverte par l’engagement et d’autre part des pertes de marché pour les fournisseurs non-américains. En matière de produits agricoles, le Brésil pourrait en subir le plus les conséquences négatives. Pour ce qui est des produits manufacturiers, les pays/zones les plus exposés seraient, à côté de l’UE, le Japon, la Corée et Taïwan. Concernant l’énergie, la Russie, l’Arabie saoudite et l’Angola apparaissent en première ligne. Des plaintes auprès de l’OMC seront alors déposées. Le problème serait en quelque sorte déplacé et élargi. Même s’il sera sans doute moins bruyant. Concluons en apportant un bémol. La crise sanitaire, qui va peser au moins un temps sur la croissance chinoise, pourrait inciter la Maison Blanche à donner un peu plus de temps aux autorités chinoises pour remplir leurs engagements.

Deuxièmement, l’Administration américaine exprime une certaine impatience vis-à-vis de l’Europe. Celle-ci ne prend pas de mesures pour réduire son excédent commercial bilatéral, elle s’obstine à vouloir taxer le secteur de la Tech, dans lequel la prédominance des Etats-Unis est avérée, et elle refuse d’inscrire les discussions dans le cadre voulu par Washington. Il faut dire que, sur ce dernier point, la position du Cabinet de Donald Trump n’est simplement pas acceptable par les Européens. La logique poursuivie est celle du commerce « géré » ; c’est-à-dire que le gouvernement américain décide ce qui est bon ou non et prend des mesures en conséquence. Les concessions doivent être unilatéralement européennes (réglementations agricoles, taxes sur les produits industriels et investissements directs américains) et il faut donc trouver les moyens efficaces de « tordre le bras » à l’UE. Bien sûr, Bruxelles ne va pas se laisser faire. En cas d’actions unilatérales prises par les Etats-Unis, des mesures de représailles seront initiées (cela a été le cas au cours d’un passé récent) et les producteurs et consommateurs américains en subiront les conséquences. Les relations politiques entre les deux blocs seront négativement affectées. Est-ce opportun, face à la montée en puissance de la Chine et aux initiatives hétérodoxes de la Russie ?

Troisièmement, Le département américain du Commerce vient de prendre une initiative qui permettrait l’application d’un surcroît de droits de douane à tout pays « accusé » de dévaluer sa devise. L’idée est la suivante. Toute entreprise pourrait « actionner » le département du Commerce, du fait de la concurrence « indue » de produits importés ; et ceci au titre d’une devise trop faible qui s’interpréterait alors comme une subvention déguisée. Le département du Commerce pourrait aussi s’autosaisir. L’approche n’est pas sans poser une série de problèmes. D’abord, il est compliqué pour un ministère d’être juge et parti. Ensuite, ce nouveau rôle donné au département du Commerce risque d’entrer en conflit avec celui plus traditionnel joué par le département du Trésor. Celui-ci ne publie-t-il pas deux fois par an un rapport qui pointe les devises « artificiellement » faibles ou faisant l’objet d’une « manipulation » par les pouvoirs publics ? Quelle articulation y aura-t-il entre les deux départements ministériels ? Va-t-on assister à un partage d’expertise ou alors faut-il se préparer à un dysfonctionnement au sein de l’Administration américaine ? Evidemment, on ne sait pas répondre à ces questions ; mais le plus important est peut-être ailleurs. La nouvelle règle crée un climat d’encore plus d’insécurité pour les exportateurs vers les Etats-Unis. Comment être certain que tout problème de volatilité sur le marché des changes ne vienne pas mettre à risque les affaires faites là-bas ? Et puis, ce durcissement réglementaire ne devrait pas être sans réponse par les gouvernements des pays potentiellement concernés.

Quatrièmement, la Maison Blanche réfléchit à une décision de se retirer de l’accord sur les marchés publics (AMP), négocié et conclu dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). L’ambition de l’accord est d’ouvrir les marchés publics aux entreprises des autres États signataires, sans discrimination et de manière à la fois transparente et ouverte. C’est un marché de plus de 800 milliards d’USD qui se fermerait aux entreprises de l’Europe, de l’Asie-Pacifique, sans oublier le Canada. Il semblerait que la condition du statu quo par l’Administration américaine serait une réforme de l’AMP. Mais, avec quel contenu ? On ne sait pas.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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