Les politiques chinoises et américaines se croisent et empruntent des voies différentes

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Par Stéphane Monier Publié le 15 décembre 2021 à 5h12
Chine Wuhan Vide
@shutter - © Economie Matin
51%Le vaccin Sinovac a démontré une efficacité de 51% contre le coronavirus.

Les États-Unis ont bénéficié d'une solide expansion économique tandis que la Chine a vu sa croissance ralentir en 2021. À l'approche de la nouvelle année, ces tendances sont sur le point de s'inverser. Les politiques monétaires et budgétaires des deux superpuissances mondiales se croisent pour prendre des directions opposées.

Cette année, l'expansion économique de la Chine a ralenti lorsque le pays a fermé ses frontières pour lutter contre le Covid et diminué les mesures d'aide, tandis que l'économie américaine rebondissait grâce à une politique monétaire accommodante et à des niveaux historiques de dépenses publiques. Cette situation s'apprête à changer. L'économie américaine est suffisamment avancée sur la voie de la reprise pour que la Réserve fédérale puisse réduire ses achats d'actifs. En revanche, la Chine veut accélérer sa croissance au moment où le Parti communiste chinois prépare son XXe congrès, prévu pour fin 2022. On s'attend à ce que le président Xi Jinping y prête serment pour un troisième mandat sans précédent.

La semaine dernière, pour la deuxième fois cette année, la Banque populaire de Chine a réduit le montant des liquidités que les banques commerciales doivent garder en réserve, injectant dans le secteur financier quelque 188 milliards de dollars de liquidités selon les estimations. Cette exigence réduira de 50 points de base le taux de réserve obligatoire (reserve requirement ratio ou RRR), dès le 15 décembre. En outre, la banque centrale a augmenté son RRR en devises de 200 points de base à 9%, dans le cadre d'une démarche visant à freiner la récente appréciation du renminbi par rapport au dollar américain et les investissements dans la dette libellée en devises.

La Chine passe à la vitesse supérieure

En début d'année, les autorités chinoises se sont efforcées de ralentir le rythme d'expansion de leur économie et pris des mesures pour accroître la demande intérieure. Elles ont ainsi introduit des limites plus strictes pour les prêts hypothécaires et mis fin aux lignes de crédit accordées aux promoteurs immobiliers. Ces mesures ont servi de catalyseur à la défaillance d'Evergrande en septembre, supprimant la garantie implicite offerte au secteur immobilier et freinant la demande de nouveaux biens immobiliers.

Avec les Jeux olympiques d'hiver en février et le Congrès du Parti communiste prévu pour le second semestre 2022, nous pensons que les efforts pour stimuler l'économie se traduiront par une croissance annuelle du PIB de 5% et une inflation annualisée des prix à la consommation de 2% environ. La récente « Conférence centrale sur le travail économique » du Parti communiste, dans le cadre des préparatifs du Congrès, a pris une série d'engagements indiquant un soutien supplémentaire. Ils incluent des investissements dans les infrastructures, une réorientation du secteur du logement pour empêcher la spéculation et un développement du secteur privé.

Le gouvernement chinois continuera à gérer la réglementation macroéconomique conformément à son ambition de doubler le revenu par habitant d'ici à 2035. Plus récemment, le gouvernement a décidé de viser l'indépendance et la résilience économiques et stratégiques à long terme, plutôt que de stimuler la croissance à court terme.

L'essentiel de cette relance est formulé dans la notion de «?prospérité commune?», signifiant l'amélioration de la qualité de vie des citoyens, la redistribution des richesses, la stabilité du secteur financier, la réduction de la pollution et, à la lumière des restrictions américaines sur les semi-conducteurs et les entreprises chinoises, l'indépendance technologique. Pourtant, le mantra chinois de la « prospérité commune » ne s'est toujours pas traduit dans des politiques ou des réformes tangibles et ressemble pour l'instant davantage à un changement d'état d'esprit qu'à une réalité réglementaire destinée à rééquilibrer l'économie.

Coup de pouce contre le Covid ?

Dotée de vaccins peu efficaces contre le virus, la Chine va maintenir sa stratégie zéro Covid en 2022, adaptée de manière à minimiser les perturbations de la production. Selon l'Organisation mondiale de la santé, le vaccin Sinovac a démontré une efficacité de 51% contre le coronavirus, contre 95% pour Pfizer/BioNTech.

La Chine n'a pas approuvé la distribution du vaccin Pfizer et un nouveau vaccin développé au niveau national fait actuellement l'objet d'essais cliniques de phase 3. Si les deux vaccins étaient approuvés en 2022, on peut imaginer que la Chine serait en mesure de rouvrir ses frontières à la fin de l'année prochaine, ou au début 2023, ce qui offrirait un nouvel élan à son économie. À plus court terme, l'économie chinoise restera très sensible à l'évolution des contaminations dans le pays, spécialement à la lumière du ralentissement du troisième trimestre reflétant les restrictions destinées à contenir les flambées dues au variant Delta.

Les restrictions liées à la pandémie et les pénuries d'énergie ont mis en difficulté le secteur manufacturier, le PIB du troisième trimestre a augmenté de 4,9% et la croissance devrait avoisiner les 3% pour le dernier trimestre de cette année.

Les États-Unis atteignent leur vitesse de croisière

Pour les Etats-Unis, les perspectives sont très différentes en 2022. Comme nous l'avons écrit la semaine dernière, la Fed prévoit d'accélérer la réduction de ses achats d'actifs mensuels. Elle pourrait en doubler le rythme lors de sa réunion des 14 et 15 décembre, créant ainsi un espace permettant à la banque centrale de commencer à relever ses taux directeurs avec une augmentation de 25 points de base dès juin 2022. Nous tablons sur deux hausses de taux en 2022, avec des relèvements supplémentaires portant le taux directeur à environ 2,5% en 2024.

La Fed ayant renoncé au terme « transitoire » pour décrire l'inflation aux États-Unis, nous pensons que la hausse des prix devrait rester élevée en 2022 avant de s'atténuer vers la fin de l'année pour enregistrer une augmentation de l'inflation sous-jacente annualisée de 2,6%. L'inflation PCE de base (dépenses de consommation) a atteint un sommet, jamais vu depuis trois décennies, de 4,1% en octobre relativement à l'année précédente. Les facteurs à l'origine de l'inflation de cette année, notamment la congestion des transports maritimes dans et à l'approche des ports américains, se détendent. En outre, nous nous attendons à ce que les prix du pétrole, qui ont atteint en novembre leur plus haut niveau depuis trois ans à près de 85 USD le baril de Brent, continuent à baisser. Du côté de la demande, les retards se comblent et les programmes de soutien pour faire face à la pandémie touchent à leur fin, tandis que les besoins se déplacent des biens vers les services.

Opportunités d'investissement

La politique chinoise devrait créer une économie beaucoup plus axée sur le marché intérieur. D'un point de vue d'investissements étrangers, cela pourrait multiplier les opportunités, notamment en matière de diversification des portefeuilles. Par rapport à l'indice S&P500, les marchés boursiers chinois offrent désormais aux investisseurs une décote de quelque 40% sur la base des bénéfices prévisionnels. Le contexte d'une amélioration des prévisions économiques et de perspectives plus équilibrées en matière de risques peut s'avérer intéressant pour les portefeuilles multi-actifs. Dans cette optique, nous sous-pondérons les actions américaines et maintenons une position neutre sur les valeurs chinoises par rapport à notre indice de référence stratégique. Nous conservons également notre surpondération des obligations gouvernementales chinoises, qui continuent à offrir un degré de couverture contre la volatilité des marchés.

Le gouvernement cherchant à relancer la croissance, nous ne prévoyons pas de nouvelle vague de menaces réglementaires. Les investisseurs étrangers restent attentifs à tout signe d'endettement excessif ou de durcissement de la réglementation.

Nous voyons de la valeur dans le crédit à haut rendement chinois, en adoptant une approche hautement sélective. Le segment est sous pression depuis qu'une série de défauts de paiement de sociétés immobilières a fait grimper le taux de défaillance à 8%?; ce pourcentage pourrait augmenter l'année prochaine. Près de 60% des obligations chinoises offshore à haut rendement ont connu des chutes de cours importantes, les obligations de sociétés immobilières notées « BB » affichant des rendements moyens proches de 12%, tandis que les obligations d'entreprises immobilières notées « B » indiquent des rendements supérieurs à 30%.

Cependant, l'immobilier revêt une importance systémique pour l'économie chinoise. C'est pourquoi il est fort probable que le gouvernement assouplisse les conditions permettant à certaines entreprises de poursuivre leurs activités, sans causer de perturbations majeures pour l'économie et le secteur financier. Les entreprises les plus solides seront alors en mesure de refinancer leur dette à court terme et de désendetter leurs bilans. Ainsi est-il essentiel d'identifier les entreprises suffisamment robustes pour survivre - ou suffisamment grandes pour être considérées d'importance systémique.

Enfin, alors que la politique monétaire chinoise évolue, nous pensons que la marge de progression du renminbi par rapport au dollar est limitée et que la devise chinoise restera stable en 2022.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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