UE : notre politique alimentaire « durable » nuit à notre politique commerciale

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Par Bill Wirtz Publié le 21 janvier 2021 à 5h14
Selenca Securite Agriculture
@shutter - © Economie Matin
25%L'UE veut que 25% de la production agricole soit "bio" en 2030.

L’Union européenne souhaite lancer une révolution agricole sur le continent européen. Admirable intention… si elle avait des chances de fonctionner, et surtout si elle n’était pas si dangereuse.

La Commission européenne a élaboré un plan ambitieux avec sa nouvelle stratégie nommée « Farm to Fork », « de la ferme à la fourchette ». L’objectif n’est pas moins que d’imposer une révolution de l’agriculture en Europe.

Visiblement, pour l’Union européenne (UE), l’agriculture est en grande partie responsable de la dégradation environnementale, ce qui oblige les agriculteurs à assumer une grande partie du fardeau de la lutte contre le changement climatique. L’UE a donc fixé deux objectifs principaux : 25% d’agriculture bio d’ici 2030, et une réduction de 50% des pesticides dans le même laps de temps.

Plusieurs auteurs ont souligné les effets négatifs de l’augmentation de la production d’aliments bio. En effet, l’agriculture biologique a également besoin de pesticides, et certaines études montrent qu’ils émettent plus de dioxyde de carbone que l’agriculture conventionnelle.

Sur la question des pesticides, il y a également des éléments qui sont occultés : la quantité de pesticides utilisée aujourd’hui n’est pas comparable au niveau des années 60. Les substances chimiques existantes sont actuellement approuvées par les agences de l’UE et par d’innombrables normes régulatrices produites par les Etats membres.

Les oubliés du débat

Ce que l’on oublie souvent dans le débat, c’est l’actuelle importation d’aliments « non durables ».

D’une part, l’augmentation des normes alimentaires en Europe a aggravé les effets du commerce illicite. Prenons l’exemple des importations frauduleuses d’aliments bio. Dans son rapport de 2019 intitulé « Le système de contrôle des produits biologiques s’est amélioré, mais certains défis demeurent », la Cour des comptes européenne a constaté des problèmes structurels dans le système de contrôle du commerce des aliments bio, malgré les contrôles mis en œuvre en 1991.

Dans une section sur la communication relative à la non-conformité, la Cour des comptes européenne écrit ceci :

« En Bulgarie, nous avons constaté que certains organismes de contrôle ne communiquaient à l’autorité compétente certains types de non-conformité que par le biais de leur rapport annuel.

L’autorité compétente ne l’a pas remarquée au cours de ses activités de contrôle. En République tchèque, nous avons constaté qu’en moyenne, les organismes de contrôle mettaient 33 jours en 2016 et 55 jours en 2017 pour signaler à l’autorité compétente un cas de non-conformité affectant le statut biologique d’un produit. »

Le rapport note également que les délais de communication des cas de non-conformité sont de 38 jours en moyenne dans l’Union européenne, alors que la réglementation en vigueur stipule que les rapports doivent être présentés sans délai.

Cela signifie que les produits biologiques non conformes, c’est-à-dire le commerce biologique frauduleux, continuent un mois en moyenne dans la circulation légale du marché unique européen avant d’être signalés aux consommateurs.

Si l’Union européenne et ses Etats membres sont sérieux en matière de contrôle de la qualité et d’information et de protection des consommateurs, ils ont besoin de mécanismes de détection et de signalement qui surpassent la vitesse de distribution des colis postaux.

Des mois de retard

La Cour des comptes européenne note également que les Etats membres ont pris en moyenne quatre mois de retard dans leurs rapports à la Commission européenne et que 50% de tous les rapports analysés ne contenaient pas d’informations.

La Chine est le plus grand exportateur d’aliments biologiques vers l’Union européenne (sur la base du poids, chiffres de 2018, du rapport de la CCE). Compte tenu des difficultés importantes concernant le contrôle de la qualité d’un large éventail de produits originaires de Chine, il devrait être clair que les institutions de l’UE doivent donner la priorité à l’authenticité de ces importations de denrées alimentaires.

En outre, les importations légales finiront également par entrer dans la catégorie des produits « non durables » selon les réglementations de l’Union européenne. Cela pose déjà un problème considérable avec l’adoption de l’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’UE, et a empêché par le passé la conclusion d’accords tels que le TTIP.

L’Europe sera confrontée à un choix difficile : insister sur les normes prévues, et risquer ainsi de dresser des barrières protectionnistes, voire de créer une insécurité alimentaire, ou réévaluer la nécessité de certains objectifs environnementaux.

Certaines voix s’élèvent en faveur de la première option, qui consiste à empêcher les importations non durables par le biais de taxes sur le carbone aux frontières. Elles oublient de se demander si le retrait des importations sera vraiment la solution qui permettra de maintenir l’agriculture européenne à flot.

Les objectifs fixés dans le cadre de la stratégie « Farm to Fork » pourraient avoir des conséquences désastreuses sur l’économie dans son ensemble.

Selon une étude d’impact réalisée par l’USDA – l’agence américaine dédiée à l’agriculture [dont il faut se rappeler qu’elle n’est pas neutre en matière de politique agricole…] –, cette stratégie, si elle est adoptée par l’UE uniquement, y entraînerait une baisse de la production agricole de 7% à 12%. Cela entraînerait alors une baisse du PIB de l’UE, laquelle représenterait jusqu’à 76% de la baisse du PIB mondial. En d’autres termes, dans un tel cas de figure, les trois quarts de la baisse de productivité mondiale seraient à attribuer à l’Europe.

En outre, dans un scénario d’adoption mondiale de ces normes, la situation des prix des denrées alimentaires se détériorera considérablement, comme l’ont constaté les chercheurs de l’USDA.

L’Union européenne fait une grave erreur avec son initiative « Farm to Fork ». En plus de ne pas assurer les institutions nécessaires à la surveillance de ces mesures, une telle décision d’imposer une agriculture biologique et sans pesticide pourrait entraîner une baisse du niveau de vie des consommateurs et des agriculteurs.

Je suis d’avis que la stratégie « Farm to Fork » doit être repensée sérieusement ou faire l’objet d’un moratoire à long terme.

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Bill Wirtz est analyste de politiques pour le Consumer Choice Center. Ses articles sont publiés par Le Monde, Le Figaro, Les Echos, Le Soir, La Libre Belgique et L’Echo.

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