Police Nationale : un problème de stratégie d’emploi des forces, bien plus que de moyens?

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Par Daniel Rémy Modifié le 7 décembre 2018 à 10h21
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@shutter - © Economie Matin

Frédéric Péchenard, ancien Directeur Général de la Police Nationale, aujourd’hui Vice-Président de la Région Ile-de-France en charge de la sécurité, plaidait encore tout récemment en faveur d’une modernisation de la « Grande Maison » (Le Figaro du 11/11/2018). Or, à la lecture des propositions avancées par Frédéric Péchenard pour lutter contre les violences et la délinquance, je ne vois rien que nous ne connaissions déjà, depuis fort longtemps, et qui ait apporté des réponses efficaces aux problèmes d’insécurité que nos concitoyens vivent au quotidien.

Réinvestir durablement les territoires, à commencer par les quartiers qualifiés pudiquement de « sensibles »…

En tout premier lieu, j’aurais aimé entendre Monsieur Péchenard nous dire ce qu’il pense de cette « police de sécurité du quotidien », remise au goût du jour par Gérard Collomb après qu’elle ait été brocardée et supprimée par Nicolas Sarkozy, en 2003 : une erreur à la fois technique et politique. Pour ma part, j’ai toujours considéré que la « police de proximité » n’était pas autre chose qu’un pléonasme.

En effet, que peut bien valoir une police qui ne serait pas proche de la population, en lien permanent avec elle, à commencer par les quartiers qualifiés pudiquement de « sensibles » ?

Et plutôt que de déployer en tous sens des batteries de caméras qui, ni ne surveillent ni ne protègent, ne serait-il pas plus judicieux de « réinjecter », sur le terrain, des fonctionnaires de police, au cœur des cités et des trafics.

Combien d’entre nous se souviennent de cette scène surréaliste où, en octobre 2016, une quinzaine d’individus avaient incendié deux véhicules de police qui surveillaient une caméra installée à proximité d’un feu rouge, en lisière de la cité de La Grande Borne (91), où les automobilistes étaient régulièrement victimes d’agressions ?

Que n’avait-on installé une deuxième caméra pour veiller à ce que les fonctionnaires ne soient pas eux-mêmes agressés ? Et ainsi de suite…

L’affaire serait risible si deux des quatre policiers en faction n’avaient été gravement brûlés.

Après tant d’années de laxisme (trois à quatre décennies…), il est clair que la partie ne sera pas facile mais, Frédéric Péchenard ne peut l’ignorer : tant que la Police n’aura pas réinvesti totalement et durablement (pas pendant quelques heures ou quelques jours, à grand renfort de compagnies de CRS ou de gendarmes mobiles…) tous ces territoires abandonnés à la loi des dealers et des charlatans, vendeurs d’un islam « frelaté », jamais l’Etat de droit ne recueillera le moindre crédit auprès de populations qui, dans leur grande majorité cumulent souvent de nombreux handicaps et qui, pour autant, ne rêvent pas d’autre chose que d’intégrer la communauté nationale. Les moyens techniques et juridico-judiciaires existent : il s’agit uniquement d’un problème de volonté politique, un problème qui, chacun l’a bien compris, n’est pas le plus mince à résoudre.

De la nécessité de changer de « logiciel » (de paradigme, diraient nos technocrates…)

Ainsi, quand Frédéric Péchenard plaide en faveur d’une meilleure répartition des effectifs sur le territoire, il s’agit là d’une évidence qui, manifestement, a échappé à la sagacité de l’ensemble de la classe politique, celle-là même qui, élection après élection, n’a toujours pas compris qu’il fallait changer de logiciel.
Avant d’appeler à la création de réserves civiles, composées d’étudiants inexpérimentés et de retraités des services actifs, ne serait-il pas plus productif de « reverser » sur le terrain ces bataillons de fonctionnaires affectés à des tâches administratives, sans la moindre relation avec la « sécurité du quotidien » des français ?...

En finir avec le concept outrancier de « délinquance routière généralisée » …

De même, qui se lèvera pour transférer à Bercy la charge de la pseudo-« délinquance routière », qui voudrait transformer chacun de nous en criminel en puissance ?

Voilà une mesure qui permettrait de recentrer un nombre conséquent de policiers et de gendarmes sur leur mission de base et de réconcilier les citoyens avec l’autorité et la justice. Comment, en effet, ne pas comprendre l’exaspération de ceux, toujours plus nombreux, qui sont confrontés à des cambriolages ou à des agressions et qui n’ont jamais vu l’ombre d’un policier ou d’un gendarme aux abords de leur domicile alors qu’ils en croisent régulièrement, « en embuscade », sur toutes les routes de France, jumelles vissées sur le nez ?...

Non, il n’est pas question ici de démagogie car les français ont compris, eux, depuis bien longtemps que l’automobiliste était une source de rentrées fiscales inépuisable, d’aucun effet sur leur sécurité : le comportement criminel ou proprement imbécile d’une minorité ne saurait culpabiliser une immense majorité de conducteurs vertueux et responsables…

Comment passer sous silence l’apport considérable de la sécurité privée dans le dispositif global, depuis des décennies ?

En outre, comment peut-on sans cesse appeler à une augmentation des effectifs (les syndicats ne connaissent aucune autre variable d’ajustement…) quand on sait, par ailleurs, que le Ministère de l’Intérieur sait pouvoir compter aujourd’hui sur pas moins de 20 000 policiers municipaux et un nouvel allié, longtemps méprisé et considéré, à tort, comme un concurrent : le secteur privé. Ce dernier emploie aujourd’hui, à lui seul, près de 180 000 agents de sécurité (contre 150 000 policiers), et, surtout, développe en permanence de nouvelles technologies dans tous les domaines : télésurveillance, vidéosurveillance, contrôle d’accès, systèmes d’alarme, détection d’armes, d’explosifs, de stupéfiants, drones, cybercriminalité…

L’Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales (ONDRP), en charge du recueil des données statistiques relatives à la délinquance, s’est-il seulement jamais posé la question de savoir, ne serait-ce qu’une seule fois, ce que deviendraient les chiffres de la délinquance si, d’un coup d’un seul, on « rayait de la carte » les Polices Municipales, les agents de sécurité privée et l’incroyable arsenal électronique dont se sont dotés, à grands frais, les villes, les entreprises et les particuliers ? La réponse est claire : ce serait le chaos…

Comment cette autre évidence a-t-elle pu échapper, elle aussi, à la perspicacité de mon éminent confrère, Alain Bauer, nommé Président de l’OND, en 2003, par Nicolas Sarkozy ?... En fait, si les politiques sont aveugles et sourds, c’est uniquement parce qu’ils ne voient et n’entendent que ce qui flatte leurs yeux et leurs oreilles : tel est la triste réalité qui a conduit à la situation quasi-insurrectionnelle que nous traversons.

La nécessaire remise à plat de la politique carcérale …

Et quand Frédéric Péchenard, à l’instar de Valérie Pécresse, en appelle à la construction de nouvelles prisons (avec quel argent ?...), ce n’est certainement pas davantage avec ce type de mesure que le problème de la sécurité et de la délinquance sera réglé.

Il suffirait, tout simplement, de commencer par vider lesdites prisons de tous ceux qui n’ont rien à y faire pour y enfermer, d’urgence, ceux qui devraient y avoir été admis depuis bien longtemps.

Quand on sait que « 35 à 42 % des détenus sont considérés comme manifestement malades, gravement malades ou parmi les patients les plus malades et que 38 % de ceux qui sont incarcérés depuis moins de six mois présentent une dépendance à la drogue » (rapport sénatorial du 05/5/2010), il est clair que pour la majorité d’entre eux, seul un traitement médical délivré aux seins d’établissements spécialisés, hautement sécurisés, permettrait de les conduire sur la voie de la rémission, en réduisant le risque de récidive.

Il s’agit là aussi de transférer une charge budgétaire qui incombe au Ministère de la Justice sur celui du Ministère de la Santé (et des Solidarités…).
Quant aux détenus incarcérés dans le cadre de délits financiers, ils seraient autrement plus utiles auprès d’ONG à vocation humanitaire ou aux côtés des personnels de la Sécurité Civile, lesquels manquent cruellement de bras pour venir en aide aux victimes.

S’attaquer aux racines du mal : l’Education Nationale, pièce maîtresse du dispositif…

Il existe beaucoup d’autres pistes, jamais exploitées, qui permettraient de réduire très sensiblement la dépense publique tout en gagnant en efficacité.
Et s’il est un Ministère que l’on aimerait voir en première ligne, dans ce combat, c’est bien celui de l’Education Nationale.

Or, c’est aussi celui qui affiche le rapport le plus médiocre entre les sommes, colossales, qui lui sont allouées chaque année et les résultats calamiteux obtenus par les élèves en mathématiques (derniers de la classe, en Europe), mais également en lettres.

Les problèmes récurrents d’insécurité, à l’intérieur mêmes des établissements, ne sont évidemment pas étrangers à cette situation peu glorieuse.
Pour avoir réalisé, en 2000, une très importante étude sur la violence et la délinquance au sein des lycées d’Ile-de-France, à la demande de Michel Giraud, Président de la Région, je peux en témoigner.

Si l’Etat veut lutter efficacement contre l’insécurité, avant que de réclamer toujours plus d’effectifs et de moyens, sans jamais en ressentir le moindre effet, il serait grand temps de commencer par s’attaquer aux racines du mal.

L’école de la République porte la plus grande part de responsabilité en cette matière car c’est bien elle qui, dès le plus jeune âge, a le devoir d’apprendre les règles les plus élémentaires de la vie sociale, à fortiori là où l’éducation parentale fait défaut ou est carrément inexistante : l’éducation n’est-elle pas la première des richesses d’une société ?

Faute d’une véritable révolution des mentalités, au sein d’un corps dont beaucoup restent encore imprégnés des chimères de la « guerre des boutonneux » de Mai 68, la France ne connaîtra pas de salut.

Jean-Michel Blanquer l’a parfaitement compris, qui s’est engagé dans cette voie courageuse. Le problème c’est que, « en même temps », Daniel Cohn Bendit, celui-là même qui a « cassé » notre belle école, prodigue ses conseils au Président. Décidément, ces politiques sont incorrigibles…

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Spécialiste des questions de sécurité et de renseignement, depuis 1976. Issu du secteur privé, Daniel Rémy apporte principalement son expertise et son expérience aux entreprises confrontées à des risques et à des menaces très diverses, en France comme à l'étranger (terrorisme, kidnapping, racket, fraude, espionnage industriel et commercial, tentatives de déstabilisation…). Il est l'auteur, entre autres, de « Qui veut tuer la France ? La stratégie américaine… » (2007), « La France des talibans : République cherche repreneur… » (2002), « Pour l’humour du risque » (2011) et « Terrorisme et sécurité : ils nous prennent pour des cons… » (2016).

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