Pigeon un jour, Pigeon toujours ?

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Par Jérôme Dedeyan Modifié le 23 octobre 2013 à 8h19

Ils ont osé ne pas tenir les promesses des Assises de l'Entrepreneuriat. Bertrand, 38 ans, a créé son entreprise en novembre 2005 en y investissant 100 000 euros.

A l'époque, on lui a consenti, comme à n'importe quel contribuable investissant dans une PME, une réduction d'impôt sur le revenu de 20% de son investissement (à l'époque 25% plafonné à 20 000€), et on lui promettait qu'il ne paierait à la sortie, sous condition d'avoir développé son entreprise pendant au moins 8 ans, que 11% de prélèvements sociaux sur la plus-value, pour le féliciter de sa prise de risque au service de la création de richesses et d'emploi de notre pays.
Il était content, Bertrand, il avait le moral, et il se donnait à fond dans son entreprise. Si cela marchait, il se disait qu'il pourrait même, une fois remboursées les dettes contractées pour compenser le fait qu'il ne se payait pas, continuer à entreprendre.

Las ! De renoncements en renoncements du gouvernement Fillon puis du gouvernement Ayrault, Bertrand s'est retrouvé en 2013 dans l'inconfortable situation d'être potentiellement mangé à une toute autre sauce le jour de la cession de sa société (qui marche bien merci, heureusement, avec le mal qu'il se donne). Imposition des plus-values de 56,5% de ses gains (Tranche marginale d'impôt sur le revenu à 41%+ prélèvements sociaux désormais à 15,5%), voire 60,5% si potentiellement la cession le fait passer dans la sur-tranche à 45%.

L'affaire se corse donc (et Laffer aussi selon la bonne vieille courbe du même nom)

Et là « tadam ! », les #geonpis interviennent, le gouvernement proclame aux assises de l'entrepreneuriat qu'il comprend le mal-être des zentrepreneurs si indispensables au pays, et fait plein de belles promesses visant :

A réduire le taux d'imposition sur les plus-values de Bertrand, toujours après 8 ans au moins de développement de son entreprise, au moyen d'un « abattement majoré » de 85% de l'assiette de son imposition sur le revenu des plus-values futures. Bon là je vous la fais courte car c'est un peu technique, mais on va dire qu'on passe de 56,5% ou 60,5% à 21,65% ou 22,25% selon que la tranche marginale d'imposition de BEertrand sera de 41 ou 45%. C'est le double des 11% initiaux, mais c'est mieux.

A autoriser Bertrand à reporter le paiement de son impôt sur les plus-values s'il décide de réinvestir le produit de la cession de son entreprise, toujours dans l'idée qu'un serial entrepreneur, c'est mieux qu'un entrepreneur à un coup. Avec cette disposition, si Bertrand vend son entreprise 500 000 euros bruts, il paiera tout de suite 15,5% de prélèvements sociaux sur ses 400 000 euros de plus-values (vous vous souvenez qu'il a mis 100 000 ?), et pourra donc remette en jeu 438 000 euros. Si cela marche, il paiera la plus-value totale sur ses deux aventures à la fin, si cela ne marche pas, il pourra imputer à la fin la moins-value de sa 2e aventure (on ne réussit peut-être pas à tous les coups) sur la plus-value de la première.

Et Bertrand retourne entreprendre l'esprit serein, ces promesses seront dans la loi de finances pour 2014, croix de bois croix de fer, si je mens je vais en enfer.
Le 25 septembre 2013, le PLF2014 est présenté au Conseil des Ministres. RAS : les promesses y sont.

Patatras, le 9 octobre au soir, moins d'une semaine avant l'ouverture du débat à l'Assemblée Nationale, Christian Eckert fait adopter subrepticement par la Commission des Finances 5 amendements au PLF2014, dont 2 vident largement de leur substance les promesses faites aux #geonpis.

  • Un amendement qui supprime le bénéfice de l'abattement majoré si on a bénéficié de la réduction d'impôt sur le revenu à l'origine. Bertrand se retrouve donc à potentiellement 29,85% ou 31,25% d'imposition sur les plus-values, soit presque 3 fois plus que le deal initial de 2005. Inutile de vous dire que Bertrand, en 2005, aurait préféré ne pas bénéficier de la réduction d'IR s'il avait su, même si cela aurait rendu son acte d'entreprendre plus compliqué.
  • Un amendement qui supprime la faculté de report d'imposition. Puisque Bertrand paiera la totalité de son impôt sur la plus-value dès la 1ère cession, pourquoi ré-entreprendre plutôt que bourrer son matelas de lingots ?
  • Ces amendements sont passés vendredi 18 octobre 2013 en 1ère lecture à l'Assemblée Nationale, malgré les efforts de parlementaires comme Jean-Christophe Fromentin qui a tenté, après travaux de son groupe ad hoc œcuménique PLFEntrepreneurs de remettre le sujet d'équerre (ou d'Eckert) et malgré le réveil tardif des pigeons.

Bertrand est donc à nouveau pigeonné et son moral d'entrepreneur en a pris un coup. Il ne comprend pas pourquoi depuis qu'il est entrepreneur le sol est si mouvant sous ses pieds pour faire ses projets.

Et il se demande : Pigeon un jour, pigeon toujours ?

Je n'aime pas finir sur une note déprimante ni cesser prématurément le combat. Je propose donc de reprendre le sujet au Sénat :

  • en réintroduisant le report d'imposition, dont la valeur n'est pas contestable, et dont les quelques abus qui ont motivé sa suppression (exemple : je crée une société dans laquelle je réinvestis, et qui en fait achète du vin ou des lingots) relèvent objectivement du contrôle fiscal et pas de la loi ;
  • en donnant le choix à Bertrand le jour de la cession de son entreprise de rendre sa réduction d'Impôt sur le Revenu initiale pour bénéficier de l'abattement majoré. Ainsi on ne pourra pas le pénaliser de ne pas avoir à l'origine pris la bonne décision sans connaître la situation dans laquelle il serait plus tard !

Et là, je dirai : Pigeon d'un jour fait le printemps des entrepreneurs, au service de mon pays.

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Diplômé de Sciences Politiques et de l'ESCP, Jérome Dedeyan est associé chez Eres. Ancien dirigeant de filiale dans un grand groupe d'assurance, son univers est celui de l'épargne retraite et salariale depuis plus de 10 ans. Jérôme Dedeyan intervient régulièrement dans les médias, les entreprises et les organisation syndicales pour promouvoir le partage du profit.  

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