Plans sociaux : les managers, grands oubliés de la désindustrialisation

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Par Philippe Schleiter Modifié le 13 décembre 2022 à 20h41

« On est prêts à mourir debout, les armes à la main ! » Ce cri de Denis, salarié CGT de Pétroplus au micro d’Europe 1 Matin du 8 février, rappelle que le temps des durs conflits sociaux est revenu. Car l’actualité ne cesse de colporter son lot de tristes nouvelles, avec de belles signatures qui laisse augurer d’un combat social aigu. Florange, PSA Aulnay, Goodyear, Pétroplus, Renault Flins ou Cléon demain, vont prendre la place médiatique laissée par les Conti de Clairoix.

Les médias nous donnent à voir les figures classiques de ce théâtre : le syndicaliste « grande gueule » ; le porte-parole photogénique du siège social ; et M. Montebourg flanqué du député de la circonscription. Les grands absents sont les cadres et agents de maîtrise qui eux, tentent d’assurer la marche la plus normale possible de l’usine. Ces managers courageux sont pris dans la tenaille entre syndicalistes hyper-politisés et image médiatique déplorable du patronat. Comment en est-on arrivés là ?

Deux facteurs se conjuguent pour expliquer la radicalisation du combat syndical.

Le premier c’est l’affaiblissement continu du syndicalisme français dans le secteur privé. Les traditionnels élus du personnel, soucieux de rechercher le bon accord et toujours respectueux de l’intégrité de l’outil de travail, sont en voie de disparition. Mais la représentativité syndicale, elle, n’a pas évolué. De ce fait, les places ont logiquement été prises par les militants les plus engagés politiquement. Un Jean-Pierre Mercier chez PSA Aulnay, qui fut porte-parole de la candidate de Lutte Ouvrière à la dernière élection présidentielle ; un Mickaël Wamen chez Goodyear, fils spirituel du terrible Gremetz et candidat Front de Gauche aux dernières législatives, avouent sans détour leur ambition d’utiliser le combat syndical dans l’entreprise pour faire chuter le système capitaliste.

L’exemple de Goodyear Amiens, où la CGT a torpillé plusieurs plans de reprise partielle, démontre avec éclat qu’il leur importe peu que la fermeture d’une usine soit le prix de leur activisme.

Ces leaders syndicaux sont d’autant plus cyniques qu’ils savent, pour la plupart, retomber sur leurs pattes après les émeutes ou les tensions qui ont fait fuir tous les potentiels repreneurs. S’ils ne sont pas recyclés comme permanents de leur centrale, ils peuvent finir acteurs de cinéma comme le télégénique Xavier Mathieu des Conti. L’homme qui ravagea la sous-préfecture de Compiègne joue maintenant des petits rôles pour des metteurs en scène connus tel Cédric Klapisch.


Le second facteur est l’ultra médiatisation qui doit faire de chaque événement une succession d’images fortes. Pour que son combat soit relayé, le syndicaliste doit privilégier la démonstration physique, parfois violente (on se souvient de ce directeur de l’usine Continental qui reçoit un œuf en pleine figure) et non plus se cantonner au traditionnel combat d’influence dans l’atelier. Cette stratégie est risquée car l’image peut se retourner contre les provocateurs. Pour la première fois, le Groupe PSA a fait rentrer les caméras de télévision dans son usine d’Aulnay. Du coup, les images d’installations sabotées ou de graffitis appelant à la mort du PDG du Groupe ont largement choqué.

Le citoyen spectateur compte les coups, mais ceux qui souffrent le plus sont les managers de proximité de ces usines. Ces contremaîtres, agents de maîtrises et cadres, occupent les postes à responsabilités de ces vaisseaux de plusieurs centaines ou milliers de salariés. Pour ceux-là, rien n’est facile.

Il y a d’abord leur entreprise qui demande de maintenir la production dans les meilleures conditions possibles. Ils savent que c’est indispensable pour préserver ce qui peut l’être, dans un climat de guerre économique féroce dont ils sont parfaitement conscients. Ils doivent donc trouver des solutions et beaucoup d’exposer, sans pouvoir d’ailleurs toujours garantir au personnel d’exécution sécurité ou sérénité face à la pression des grévistes.

Leur malheur, c’est que vu du public comme du salarié de base, ils sont assimilés à la catégorie des « patrons », objet médiatique de toutes les détestations. Du point de vue du métallo de Florange ou du journaliste qui couvre l’événement, les raccourcis sont faciles à établir entre le directeur du laminoir, son contrôleur de gestion et Lakshmi Mittal. Le patron est souvent un financier sans scrupules, et la direction sa complice.

Cette confusion est d’autant plus injuste que ces cadres intermédiaires partagent les inquiétudes des salariés sur leur avenir personnel. Quand on ferme une usine, on réduit aussi les postes d’encadrement !

Cette armée sans visage est la colonne vertébrale des entreprises, particulièrement dans l’industrie qui reste un secteur d’emploi de masse dans lequel la qualité managériale fait la différence.

Les entreprises le savent bien, qui cherchent à soutenir ces « ressources humaines » mais sans toujours savoir comment procéder face à la violence physique, politique ou médiatique.

Le discours sur le stress au travail et les risques psycho-sociaux est juste, bien qu’un peu convenu. Il serait équitable de penser aussi aux hommes et aux femmes qui, dans la tourmente, tiennent les positions avec courage, ténacité et abnégation, créant ainsi les conditions de la pérennité de nos meilleures entreprises industrielles.

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