Les Français bénéficient d’une couverture sociale très conséquente. Râleurs, ils se plaignent évidemment de ses insuffisances, mais la plupart d’entre eux l’aiment bien et considèrent que, si elle n’existait pas, il faudrait l’inventer.
Dans une perspective constructive, certains estiment qu’après plusieurs décennies de bons et loyaux services, il conviendrait même de la réinventer. Certes, elle a subi de nombreuses transformations, et son budget a augmenté de façon prodigieuse pendant sept décennies, plus rapidement que le PIB, mais le quantitatif ne suffit pas : il serait temps de s’atteler à une révision de ce système, à un aggiornamento qui lui procure un nouvel élan. Les quelques précisions qui suivent indiquent une piste à explorer pour conférer une nouvelle jeunesse à cette grande dame de 77 ans.
Pour éviter de saturer le lecteur en passant en revue toutes les branches de la protection sociale, le présent article se limite à la branche retraite, dont les budgets sont les plus importants. Le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) a publié tout récemment son rapport annuel (« Évolution et perspectives des retraites en France »), fournissant ainsi une solide documentation statistique pour les années écoulées, et des projections pour l’avenir.
1/ Le vieillissement de la population française
En première analyse, la prévision « choc » retenue par le COR est une augmentation de la longévité particulièrement forte pour les hommes, qui aujourd’hui décèdent en moyenne bien avant les femmes. Une évolution intéressante se produira si cette prévision s’avère exacte : l’écart de longévité entre les deux sexes se réduira assez rapidement et fortement. En 2021, l’espérance de vie était probablement (les projections ne sont pas des constats) de 85,4 ans pour les femmes et de 79,1 ans pour les hommes : ceux-ci étaient donc très nettement « le sexe faible » en matière de longévité. Mais d’ici 2070 le COR pronostique (bien entendu, ce n’est pas une certitude !) un accroissement de longévité nettement plus fort pour les hommes que pour les femmes : l’espérance de vie progresserait de 8,2 ans pour ceux-ci et seulement de 4,6 ans pour celles-là ! Mesdames, si vous aviez prévu un avenir de « veuve joyeuse », pas de chance, les hommes semblent en voie de s’accrocher de plus en plus farouchement à la vie !
Voyons maintenant ce qui se passera (selon la projection INSEE) compte tenu des naissances, des décès, et du solde migratoire, estimé à 70.000 entrées nettes (entrées en France moins sorties de France). En 1990, il y avait dans notre pays 44 personnes d’âge actif (âge compris entre 20 et 64 ans) pour 10 personnes ayant 65 ans ou plus ; aujourd’hui, il n’y en a déjà plus que 27. Et la projection pour 2040 est seulement 18 jeunes d’âge actif pour 10 retraités potentiels. Et cela en dépit d’une hypothèse relative au solde migratoire de 70.000 entrées nettes chaque année. Autant dire que, pour les retraites à 65 ans, et a fortiori à 60 ans, ce n’est pas gagné ! Il va devenir indispensable de retarder les départs en retraite ou/et d’augmenter l’immigration de travail.
2/ L’indispensable réforme des droits à pension
Le système de retraites dites « par répartition » méconnait la réalité. En effet, il accorde des droits à pension au prorata (ou tout du moins en raison) des cotisations versées au profit des retraités ; or ces cotisations ne contribuent nullement à préparer les retraites de ceux qui les versent ; elles sont distribuées aux retraités actuels, et le proverbe « on ne peut pas être et avoir été » s’applique : quand un actif est ponctionné de sa cotisation vieillesse, disons par exemple à hauteur de 100 eruos, cette somme est immédiatement utilisée au profit des personnes actuellement retraitées, elle ne sert à rien pour ce qui est de préparer la retraite de celui qui la verse.
Le législateur ment donc effrontément en disant aux cotisants que leurs cotisations préparent leur retraite : c’est vrai juridiquement, mais pas économiquement, réellement. La retraite attendue sera le produit de cotisations ultérieures : notre droit social dispose que le travailleur qui paye des cotisations pour les personnes âgées acquiert des droits à pension, mais comment et grâce à qui ces droits seront-ils honorés ? Certes pas par les « vieux », mais par les travailleurs. Autrement dit, le système législatif et réglementaire en vigueur dispose qu’entretenir les personnes âgées crée des droits sur les enfants et les jeunes : cela n’a pas la moindre justification, ni économique, ni juridique – sauf, bien sûr, si le législateur transgresse les règles élémentaires du sens commun et les principes moraux de l’équité.
Autrement dit, le droit des retraites « par répartition » qui existe en France et dans un grand nombre de pays est tout bonnement l’autorisation donnée au pouvoir politique de s’affranchir des règles de base relatives aux échanges équitables. Le « do ut des » est la base même des échanges dans les pays civilisés, mais la législation des retraites dites « par répartition » transgresse cette règle fondamentale : en cotisant soi-disant « pour sa retraite », mais en réalité pour la retraite des membres de générations plus âgées, économiquement, réellement, on ne se constitue pas une créance, on s’acquitte d’une dette, mais une législation abracadabrantesque assimile ce remboursement à un investissement. Tel est le mensonge fondateur sur lequel a été bâti le droit des retraites par répartition.
Théoriquement, l’erreur commise pourrait facilement être corrigée : deviendraient créatrices de droits à pension les sommes versées pour investir dans la jeunesse ; quant aux cotisations nécessaires au paiement des pensions, constituant des remboursements, elles cesseraient de procurer des droits : elles apureraient une dette.
Reste que le mensonge juridique en vigueur en France et dans de très nombreux pays est une institution dont la solidité ne doit pas être sous-estimée : les hommes ont adoré de nombreuses idoles, dont la législation des retraites dites par répartition fait partie, et chacun sait que les faux dieux ont souvent un grand succès auprès des humains.