Alors qu’une nouvelle chaîne payante, Telefoot, doit voir le jour la saison prochaine au prix de 25 euros mensuels pour la retransmission de matchs de Ligue 1, la question du piratage en ligne est sur toutes les lèvres. La raison ? La multiplication des diffuseurs payants favorise le piratage, une pratique qui menace tout bonnement l’avenir du football amateur, véritable vivier de futurs champions et artisan de notre championnat.
Sale temps pour le football amateur : longtemps adossés aux subventions étatiques, les clubs non professionnels français sont les grands oubliés des politiques publiques. A fortiori depuis l’élection d’Emmanuel Macron, le gouvernement, par un jeu de dominos budgétaires, contribuant par la baisse des dotations accordées aux collectivités territoriales - moins 13 milliards d’euros depuis le début du quinquennat - à diminuer d’autant les marges de manœuvre financières de ces mêmes collectivités. In fine, ce sont bien souvent les clubs et associations de sport, dont un tiers du budget repose sur l’argent public, qui pâtissent de cette cure d’austérité généralisée. En 2014-2015 déjà, une commune française sur quatre s’était vue contrainte de réduire les subventions versées aux associations sportives.
« Le piratage a un impact déplorable sur l’économie du sport »
Les politiques de rigueur budgétaire ne sont pas les seules à grever les finances des clubs amateurs. Le piratage en ligne menace également les petites structures, dont les budgets, qui n’ont rien à voir avec ceux des « grands » clubs sponsorisés par des multinationales, bénéficient des retombées de la taxe « Buffet », du nom de l’ancienne ministre des Sports de Lionel Jospin. Cette taxe, portant sur 5% des droits télévision du sport professionnel, est précisément prélevée par l’État dans l’objectif de financer le sport amateur. Elle s’élève, aujourd’hui, à 43 millions d’euros et devrait, demain, atteindre les 65 millions d’euros. En temps de disette budgétaire, la taxe « Buffet » s’avère donc plus indispensable que jamais au bon fonctionnement, voire à l’existence même, du sport amateur français.
Les ayants droit soutiennent par ailleurs les clubs amateurs grâce à diverses aides, comme l’a souligné, lors d’une récente audition devant l’Assemblée nationale, Didier Quillot, le président de la Ligue de Football professionnel (LFP), selon qui son organisation « versera (cette année) 200 millions d’euros au sport amateur, via la taxe Buffet notamment ». « Lutter contre le piratage des contenus sportifs, c’est préserver notre modèle de financement solidaire du sport amateur », estime de son côté le député (LREM) et président du Groupe d’étude « Économie du sport », Cédric Roussel, qui a d’ailleurs déposé un amendement à la loi audiovisuelle, en février dernier, devant permettre de « bloquer tous les sites pirates et les sites miroirs (ceux qui peuvent naître de la suppression d’un autre, ndlr) pendant la période d’un championnat ».
« Le piratage du sport, ça veut dire moins de recettes pour les Ligues et Fédérations, mais c’est aussi moins de recettes pour le football amateur », abonde sa collègue Aurore Bergé (LREM), rapporteuse de la mission d’information sur les problématiques du secteur audiovisuel à l’ère numérique.
L’équation est simple : plus les spectateurs de football piratent, moins les ayants droit engrangent de revenus, moins ces derniers financent les clubs amateurs. De plus, le piratage des matchs fait mécaniquement chuter les droits TV, les diffuseurs étant moins enclins à payer au prix fort des contenus qu’ils savent être piratés. « Si rien n’est fait contre le piratage, il y aura une réduction importante de la valeur des droits télévisés », prévient ainsi Yousef Al-Obaidly, patron de beIN Media Group ; ce qui entraînera, tout aussi mécaniquement, une baisse des revenus liés à la taxe « Buffet ».
« Les consommateurs ne s’en rendent pas forcément compte, déplore Caroline Guenneteau, directrice juridique de beIN Sports France, mais le piratage a un impact déplorable sur l’économie des chaînes et du sport en général ». « Chaque année, poursuit celle qui est depuis plusieurs années en première ligne contre le piratage, l’argent siphonné par ces sites (de streaming illégal), c’est aussi de l’argent que les ayants droit (ici, les fédérations) ne redistribueront pas au sport amateur ».
« Le football professionnel a besoin du foot amateur pour vivre, pour survivre, pour exister »
Car le piratage coûte cher, très cher : tous secteurs confondus, les pertes économiques liées au phénomène s’élèveraient ainsi, chaque année, à 1,18 milliard d’euros. Or la pratique ne cesse de prendre de l’ampleur, à mesure que de nouveaux acteurs, comme RMC Sport, entrent sur le marché : ainsi, un internaute français sur quatre utiliserait aujourd’hui un moyen illicite pour regarder la télévision en direct. 17% de ces « pirates » choisissent le livestreaming, 14% s’adonnent à leur passion sur les réseaux sociaux et même 5% des internautes disposeraient de boîtiers ou applications spécialement développés pour regarder des matchs de football sans s’acquitter d’un abonnement auprès des acteurs officiels.
Finalement, le piratage fait peser « une menace sur l’économie du sport en général », selon la LFP, dont le président, Didier Quillot, estime le manque à gagner à 500 millions d’euros par an. Le phénomène risque, surtout, d’abîmer encore davantage « le lien indéfectible entre le sport amateur et le sport professionnel, entre les clubs de quartiers, des villes et des villages », selon la formule du spécialiste Pierre Rondeau. « La force du foot français vient essentiellement de la diversité de sa structure amateur (…). Le football professionnel a trop besoin du foot amateur pour vivre, pour survivre, pour exister », poursuit Pierre Rondeau, selon qui les petits clubs sont les plus grands pourvoyeurs de futurs champions. Avant de prévenir : « si nous ne faisons rien, c’est tout notre sport chéri, des clubs amateurs aux clubs professionnels, qui risque de disparaître ».