Pierre Boulez vient de disparaître à l’âge de 90 ans, retour sur une carrière brillante et controversée.
Dans la première partie de sa vie, Pierre Boulez n'est absolument pas un "musicien subventionné", comme le reproche lui a souvent été fait. Au contraire, il construit seul sa carrière, en commençant dès l'âge de 20 ans, en 1945, par diriger les musiciens de la Compagnie Renaud-Barrault au Théâtre Marigny. Ensuite, pour défendre les compositeurs du début du siècle alors peu joués en France (Schoenberg, Berg, Webern, Stravinsky) et ceux de sa génération (Berio, Stockhausen, Ligeti, Nono, etc.), il crée le Domaine musical en 1954. Les subventions publiques ne dépasseront jamais 10% du budget, ce sont des mécènes qui financeront l'aventure, qui durera jusqu'en 1973.
Parallèlement, il mène une brillante carrière de chef d'orchestre à travers le monde. Quand beaucoup d'artistes français, pas seulement en musique mais dans tous les arts, font leur carrière grâce au piston et à leurs bonnes relations avec la puissance publique, Pierre Boulez ne doit qu'à son talent et à sa légendaire rigueur musicale de devenir directeur musical de deux des grands orchestres américains, Cleveland (1970-1972) et New York (1971-1977), et de l'orchestre de la BBC (1971-1975) à Londres. Consécration suprême, il dirige le Ring de Wagner à Bayreuth entre 1976 et 1980, dans la superbe mise en scène de Patrice Chéreau. Les plus grandes formations symphoniques du monde, Berlin, Vienne ou Chicago, l'invitent régulièrement, ses parutions discographiques constituent à chaque fois des événements. Dans la "compétition" des chefs d'orchestres, il fait incontestablement partie des plus demandés.
Celui qui fustige le conservatisme musical de la France, revient dans son pays natal à l'invitation du président Georges Pompidou en 1970. Là les choses changent, l'argent public coule à flot, son institut de recherche musicale (Ircam) et son ensemble musical (l'Ensemble Intercontemporain) captent la plus grande partie de l'argent dévolu à la musique contemporaine. Il pousse à la construction de l'Opéra Bastille (une bonne idée, Garnier ne suffisait pas), de la Cité de la musique et de la Philharmonie.
Dans le même temps, il n'hésite pas à user de son influence pour imposer une certaine idée de la création musicale (écriture éclatée très formelle, non-mélodique et surtout pas sensuelle). Il se met à imposer un nouveau conservatisme entretenu par la puissance publique, soit précisément ce qu'il reprochait dans sa jeunesse ! Que n'a-t-il tiré parti de son expérience anglo-saxonne pour suggérer un changement des règles, une plus grande implication de l'argent privé pour favoriser les initiatives, une moindre omnipotence de l'Etat... Une occasion manquée.
Quoi qu'il en soit, le legs de ce génie musical demeurera dans l'histoire. Parmi ses compositions, à côté de pièces même pas écoutables (ses sonates pour piano...), on pourra découvrir Le Visage nuptial, pour voix et orchestre, Rituel, pour ensemble, les Notations pour orchestre, Mémoriale pour flûte, Anthèmes 2 pour violon. Comme chef d'orchestre, c'est simple, tout est intéressant, et souvent passionnant. Distinguons tout de même le Ring de Wagner à Bayreuth, un jalon de l'histoire de l’opéra, De la maison des morts de Janacek, toujours avec Chéreau, Lulu de Berg, Le Sacre du printemps de Stravinsky avec Cleveland, le CD Varèse avec New York, ses Debussy, ses Ravel et ses Mahler chez Deutsche Grammophon, ses derniers enregistrements.