Prospective 2050 : Après l’or noir, voici l’or bleu : Le pétrole artificiel pousse comme du chiendent

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Par Eric de Riedmatten Modifié le 1 novembre 2013 à 9h10

Les raffineries de pétrole passent au bio. Suivant le modèle mis en place au Texas, les grands majors ont décidé d’accélérer la culture du carburant vert. Un procédé naturel permet de cultiver des micro-organismes capable de reproduire à l’identique les propriétés du pétrole. Les transports adoptent peu à peu ces nouveaux carburants verts issus de l’huile des algues. Contrairement aux pétroles verts de la première génération, les récoltes céréalières n’entrent plus dans la composition de ces nouveaux bio-carburants. Avec ce pétrole mis en culture, ça carbure !

Le Havre, raffinerie Bio-Plus, le 12 juillet 2032. Il se dégage une bonne odeur de goémon dans le quartier de Sandouville, près du Havre. Sur l’ancien site occupé autrefois par les usines automobiles Renault, les immenses cheminées crachent toujours des fumées mais l’odeur de soufre a disparu. On se croirait dans la baie du Mont Saint Michel un jour de grandes marées. La coquille qui symbolisait une célèbre marque de pétrole a disparu du fronton de la raffinerie. A la place, 4 anneaux rappellent que le propriétaire de cette usine d’un genre nouveau appartient à un grand constructeur automobile.

Des constructeurs automobiles producteurs de pétrole bleu ?

Son nom ? Une ancienne marque automobile allemande alliée à un consortium germanique. Mais qu’est-ce qu’un groupe de constructeurs vient faire dans la production de carburants ? C’est exactement la question que s’étaient posés les journalistes français, en découvrant les projets ambitieux de cette marque au début du siècle. Sous le nom générique Audi e-power à l’époque, avec des initiatives telles que e-gas et Desertec, il est apparu que la filiale d’un groupe d’outre Rhin voulait devenir un acteur de l’énergie du futur. C’est chose faite aujourd’hui. Pour en arriver à ce résultat et gagner le pari des biocarburants, les allemands ont lancé un nombre impressionnant de programmes. D’abord avec des éoliennes implantées en mer du Nord, de façon à produire de l’électricité acheminée jusque au site de Werlte, en Basse-Saxe. Dans cette usine, l’électricité obtenue est actuellement utilisée aussi pour faire une électrolyse en vue d’obtenir de l’hydrogène, transformé aussitôt en méthane grâce à du CO2 fourni par un partenaire producteur de biogaz à partir du recyclage de déchets. Ce gaz « vert » injecté dans le réseau servait alors à remplir le réservoir des tout derniers modèles du consortium. La marque allemande a également rejoint une association internationale baptisée « Desertec Industrial Initiative », ce désormais célèbre programme qui produit déjà du courant à partir du soleil qui inonde chaque jour le Sahara.

Son objectif à long terme : Générer de l’énergie à partir de cellules photovoltaïques sans impact climatique dans les déserts d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. En parallèle, Le consortium de constructeurs a toujours exprimé sa volonté de produire des carburants synthétiques : de l’e-diesel et de l’e-éthanol, à partir de CO2 et d’eau non potable. La marque aux anneaux en a acquis l’exclusivité pour le secteur automobile afin de lancer un procédé révolutionnaire dans l’objectif de se passer du pétrole. L’inventeur, le groupe Joule, est américain et en a cédé les droits aux allemands. Le principe est assez complexe. Avec l’appui de l’énergie solaire, et avec l’apport de CO2 récupéré d’activités industrielles ou d’eaux usées, le constructeur fait cultiver en plein Texas des micro-organismes synthétiques d’un diamètre de trois millièmes de millimètres chacun. Ces micro-organismes au lieu de former de nouvelles cellules par photosynthèse produisent sans cesse du carburant. Tout cela avec le renfort d’un codage génétique très strict. L’intérêt vient du fait que le rendement est élevé. Avec 50 000 litres d’eau à l’hectare pour le e-diesel et 75 000 litres d’eau pour l’éthanol, l’opération n’a aucune incidence sur la chaîne alimentaire et l’eau potable. Un autre grand atout de ce produit est sa pureté. Il n’y a ni soufre et ni composés aromatiques, contrairement au diesel à base de pétrole qui est un mélange de différents hydrocarbures. C’est avec ces nouveaux carburants, dont le prix n’est pas indexé sur le baril de pétrole, que les industriels allemands ont finalement séduit une catégorie d’automobilistes français y compris ceux qui ne roulent pas avec les modèles produits par le consortium. Un vrai business habile et visionnaire !


Du coup, cette incursion dans le métier des pétroliers a été accueillie avec prudence. Les majors du pétrole longtemps accusés de polluer la planète et d’entretenir des guerres pour le contrôle de l’or noir, ont finalement accepté la venue de ces nouveaux concurrents. Les grands raffineurs traditionnels ont ajusté leur stratégie et investi dans le solaire et de nouveaux carburants moins polluants. Parmi eux : ExxonMobil, Shell, ENI, et Chevron se sont lancés dans des travaux permettant la culture et la conversion des algues en carburant. Un procédé rendu possible par le traitement des micro-algues, dont on recense plus de 200 000 espèces. La recette est assez simple : l'huile est extraite des algues selon différents méthodes (centrifugation, traitement au solvant, lyse thermique, etc.). Ensuite, il faut la convertir en biocarburant avec les mêmes procédés que ceux utilisés pour les huiles végétales classiques. On parle alors de transestérification, laquelle fait réagir l'huile des algues avec du méthanol ou de l'éthanol. Il en ressort un ester d'huile algale ou biodiesel, comparable à celui obtenu à partir des autres types d'huiles végétales. Arrive ensuite la phase de hydrogénation catalytique qui fait réagir l'huile en présence d'hydrogène, suivie d'un hydrocraquage, produit des hydrocarbures qui peuvent être incorporés en quantité importante au gazole ou au kérosène. C’est ainsi qu’on trouve à la pompe du biodiesel à partir de microalgues lipidiques. La France, qui a la chance d’avoir un très vaste littoral, n’a pas raté ce virage technique, notamment grâce aux recherches initiées par le Pôle Mer de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur dans le cadre du projet Salinalgue. Une aubaine pour l’emploi : Les raffineries, que l’on pensait condamnées, ont finalement embauché de la main d’œuvre pour produire du carburant à partir de cette ressource inépuisable.

Du carburant produit à bases d'algues sur toutes les côtes françaises

Les carburants à base d’algues ont très vite trouvé des débouchés pour une raison simple : ils peuvent se mélanger avec les produits classiques obtenus à partir d’hydrocarbures. Grâce à ces algo-carburants, les camions et surtout les bus en ville ne rejettent plus de gaz malodorants. Il flotte même comme un air de brise marine, ce parfum étant toutefois un artifice chimique. Car, comme chacun sait, les algues ne sentent pas vraiment bon en raison de l’hydrogène sulfuré qu’elles rejettent au moment de leur décomposition. Mais qu’importe, c’est un argument en faveur du changement et le trafic routier donne comme un air de vacances. Et personne n’a oublié le gazole parfumé à la fraise. Les compagnies ferroviaires ont même décidé de revenir à la traction à partir de moteurs à explosion comme dans les années 1950 avec les Michelines qui parcouraient les lignes régionales. En Angleterre, toutes les locomotives de la compagnie Virgin utilisent désormais du biodiesel. Dans l’aéronautique qui a beaucoup souffert de la hausse des prix du carburant, le débat sur le kérosène vert a longtemps agité les esprits. L’objectif étant de trouver une solution pour s’affranchir du pétrole. La facture énergétique est devenue telle que, pour la première fois, des industriels comme l'européen Airbus, l'américain Boeing et le brésilien Embraer ont décidé d’adhérer à plusieurs projets de recherche sur les biokérosènes. Les principales compagnies aériennes, et même l’US Air Force, ont effectué des centaines de vols avec des mélanges de carburant biologique et de kérosène. Les algues ont aussi une chance de percer dans ce domaine, même si les avionneurs testent par ailleurs des carburants issus de plantes comme le jatropha, la caméline et l'eucalyptus. Le Prince Albert II de Monaco en est d’ailleurs un fervent défenseur dans le cadre de son programme de soutien international baptisé Blue Initiative.


Au final, ces initiatives sont une bonne nouvelle pour la planète d’autant que ce procédé sorti tout droit des centres de R&D n’empiète pas sur les terres agricoles. On se souvient des débats enflammés au début du siècle, avec les écologistes qui accusaient les promoteurs de cette nouvelle industrie « bio » de favoriser la déforestation et de priver certaines populations de ressources alimentaires au seul motif de produire des carburants verts. Autrement dit, on privilégiait la production de céréales pour les transports au détriment de l’alimentation humaine. On reprochait aussi au maïs et au colza d’engendrer au moment de leur transformation des émissions de CO2 et de ne pas avoir un si bon bilan écologique. Autant de critiques qui ont été balayées avec la naissance des biocarburants de seconde génération. Il est possible aujourd’hui de traiter la partie non comestible des végétaux telle que la paille, le bois, et les déchets végétaux en vue de les recycler en carburants. Plusieurs acteurs ont décidé d’investir dans ce domaine, comme Volkswagen ou le français Air Liquide. Le Commissariat à l’Énergie Atomique français (CEA) a lancé un projet de conversion des résidus de l’agriculture et des branchages forestiers pour produire des biocarburants de seconde génération, à Bure Saudron, au nord-est de la France, à 80 km de Nancy. On en est aujourd’hui à la troisième génération de biocarburants. Et cette fois, le monde est prêt à tourner progressivement la page du pétrole. Ou tout au moins, ne plus en être tributaire à 100%. Depuis quelques mois, les marques automobiles allemandes ouvrent en France un réseau de stations-service sous leurs propres couleurs. Ce sont les premières stations bios en Europe.

Le CEA producteur de pétrole en 2030 !

Le site choisi est celui de la porte d’Orléans à Paris, là même où, en 2006, une pompe à l’éthanol E85 avait ouvert furtivement devant les caméras, en présence du ministre de l’économie de l’époque, pour accompagner la révolution de l’essence verte obtenue à partir de betteraves. Le projet avait échoué, car il nécessitait l’usage exclusif de voitures spécifiques pouvant accepter le Flex Fuel et le réseau n’avait pas suivi. Tous ces efforts ont permis de relancer une industrie qui aurait pu tomber en panne sèche faute d’innovations majeures et provoquer des plans sociaux douloureux dans une Europe malade. Comme quoi, en France et en Allemagne, même si on n’a toujours pas, ou peu de pétrole, on ne manque pas d’idée !

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Eric de Riedmatten "50 innovations qui vont bouleverser notre vie d'ici 2050",

parution le 16 octobre 2013 aux éditions L'Archipel. (le commander sur Amazon)

Eric de Riedmatten présente son ouvrage

"50 innovations qui vont bouleverser notre vie d'ici 2050"

Sources :

Archives Audi

Fondation Albert II de Monaco https://www.fpa2.com/fondation.asp?page=MBI2012-1

https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/espace-decouverte/les-grands-debats/quel-avenir-pour-les-biocarburants

Une co-rédaction Meillaud/Riedmatten

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Né en 1963, Éric de Riedmatten fut durant de nombreuses années journaliste, tout d’abord à Europe 1 où il animait « Décideurs » puis à La Vie Financière. S’intéressant depuis toujours à titre personnel aux innovations technologiques, il est aujourd’hui directeur de la communication de Siemens France, entreprise leader en matière de dépôt de brevets.Instigateur du « Grand Prix Siemens de l’Innovation » et de la « Fondation Siemens France », il a été amené, à ce titre, à côtoyer nombre de scientifiques de haut rang qui l’ont aidé dans ses recherches. Le livre a été rédigé avec la collaboration de Laurent Meillaud et Pierre Kohler.

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