Selon un sondage réalisé par OpinionWay pour l’assureur Prévoir, « 66 % des Français ont peur de l’avenir », en particulier les ménages les plus modestes, les jeunes et les femmes. Si 34 % d’entre eux craignent de perdre leur emploi, les problèmes liés à la santé et la perte d’autonomie sont également « en première ligne des inquiétudes exprimées ». Et la question des retraites préoccupe plus de Français que l’on ne pense. De précédents scandales sont venus miner leur confiance dans leur système d’assurance.
Les foyers les plus modestes, les femmes et les jeunes de 18 à 24 ans sont les catégories de population les moins optimistes en l’avenir. Ce constat vient confirmer le résultat d’une autre étude internationale qui classe la France parmi les nations où l’avenir des jeunes paraît le plus sombre. En effet, selon la banque HSBC, 98 % des personnes sondées en France considèrent que les vingtenaires et trentenaires français seront en moins bonne position pour la retraite que les générations précédentes. L’enquête révèle également que seuls 10 % des Français actifs pensent qu’ils pourront profiter d’une retraite confortable, ce qui fait d’eux les actifs « les plus pessimistes au monde ».
Comment expliquer un tel état d’esprit ? Certes, l’économie hexagonale traverse des moments difficiles depuis plusieurs années, mais les scandales et abus ayant défrayé la chronique ces derniers temps ne peuvent que contribuer à la méfiance et au pessimisme des Français.
Le scandale du fonds de retraite complémentaire Corem peut-il se reproduire ?
Le 14 juin 2010, la Cour administrative d’appel de Paris condamnait l’Etat à indemniser les victimes du Complément de retraite de l’éducation nationale et de la fonction publique (Cref), ayant fermé en raison d’une insuffisance de provisionnement. Pour rappel, au début des années 2000 le Cref avait été contraint par la réglementation européenne de provisionner l’intégralité de ses engagements, faisant apparaître un trou de 1,6 Md€. Le régime a alors décidé de réduire de 16 % en moyenne le montant des retraites acquises par ses 450 000 adhérents. Il avait ensuite été transféré à l’Union Mutualiste Retraite (UMR), qui commercialise la Complémentaire retraite mutualiste (Corem).
Or, cette dernière « ne semble pas en mesure de revenir à l’équilibre en augmentant le nombre de cotisants », dénonce l’UFC-Que Choisir en 2015. De son côté, l’Association nationale des fonctionnaires épargnants pour la retraite (Arcaf) fustige « l’opacité qui entoure les chiffres », à propos du niveau de revalorisation des produits de retraite par capitalisation de la Corem. Après la baisse de leurs rentes en 2002, les allocataires du fonds de retraite n’ont cessé de voir le taux de rendement de leurs cotisations baisser et doivent désormais attendre 62 ans et non plus 60 ans pour percevoir leur retraite complémentaire à taux plein. Selon l’UFC Que Choisir, « Les cotisants (ont) déjà subi des sacrifices considérables ».
« Une nouvelle fois, des centaines de milliers d’adhérents sont trompés et trahis dans les engagements pris dans la commercialisation du Cref/Corem », s’indigne le comité d’information et de défense des sociétés du CREF (CIDS). Mais l’UMR affirme ne pas être concerné par le scandale et se contente d’évoquer une conjoncture économique s’étant « brutalement dégradée ». En 2015, l’avocat de l’UMR, Philippe Lecat, nie l’existence d’un « trou » financier, quand bien même l’UMR admis plus tard… un trou de 2,2 milliards d’euros ! Pour Guillaume Prache, porte-parole de l’Arcaf, le bateau UMR est « un navire qui prend l’eau ». En 2014, il dénonçait les « informations trompeuses » de l’UMR et « l'occultation de l'insuffisance de provisionnement du Corem ».
Au sein de l’UMR, nous retrouvons aujourd’hui des institutions comme la MGEN (Mutuelle Générale de l’Education Nationale). Cette mutuelle devrait se regrouper avec Istya et le groupe Harmonie d’ici septembre 2017, pour constituer le 1er groupe de protection sociale de France. Or, on peut légitimement s’interroger sur le devenir des petites mutuelles qui décident de rejoindre ces groupes ; à l’image de la Mutuelle Audiens, actuellement démissionnaire du groupe Audiens, qui rejoindra prochainement le groupe Harmonie. Les 60 000 adhérents, une fois intégrés au sein de cette nouvelle entité, connaîtront-ils le même sort que les épargnants de la Corem ?
De fait, la Fédération CGT du Spectacle a regretté, à juste titre, le départ de la mutuelle du groupe Audiens. Comme l’écrit en février dernier le bimestriel « Spectacle », édité par la Fédération Nationale des Syndicats du Spectacle, du Cinéma, de l’Audiovisuel et de l’Action Culturelle (Fédération CGT du Spectacle), « ce départ contrevient en effet aux principes qui avaient présidé » à la création du groupe de protection sociale Audiens, qui « dispose d’une offre globale retraite, prévoyance, mutuelle et santé au profit de ses ressortissants », de laquelle les adhérents risquent d’être privés. Enfin, si l’on en croit La Lettre de l’Expansion, la Mutuelle Audiens fait face actuellement « à des problèmes de rentabilité ». Il faut espérer que les adhérents de la « nouvelle » Mutuelle, intégrée au sein du groupe Harmonie, ne mettront pas la main à la poche…
Vers une remise en cause des « régimes spéciaux » de retraite
La liste des scandales ayant renforcé le pessimisme des Français face à l’avenir ne s’arrête pas là. Dénoncée par la Cour des Comptes, la fraude généralisée à la Sécurité Sociale dans les maisons de retraite a été également retentissante. Dans un rapport de 2015, la juridiction constatait en effet un taux de 95 % d’actes surcotés dans cinq établissements pour personnes âgées des Bouches-du-Rhône par exemple.
Il ne s’agit cependant pas d’un problème ponctuel, mais bien d’un mal généralisé. Un rapport de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) affirme ainsi que « près d’une maison de retraite sur deux (48 %) trompe ses clients en leur fournissant une mauvaise information sur les prix ou en usant de pratiques commerciales trompeuses » !
Les « régimes spéciaux » sont-ils directement mis en cause dans ces affaires ? Il est vrai que l’OCDE estime que ces régimes « ne sont pas équitables » et qu’un régime de retraite universel « reviendrait beaucoup moins cher dans la gestion quotidienne et accélérerait la mobilité des travailleurs ». Tandis que le nouveau chef de l’Etat, Emmanuel Macron, défend un système universel de retraite avec un âge légal de départ identique à chaque statut (fonctionnaires, salariés, indépendants, bénéficiaires d’un régime spécial…).
Le passage de la vie active à la retraite est, pour certaines personnes, une véritable épreuve. L’Etat doit être vigilant vis-à-vis des assurances de retraite pour ne pas retomber dans des scandales qui ont trop miné la confiance des Français. Il est temps de regarder l’avenir avec confiance.
Droit de réponse du CIDS à l’article paru sur le site de communication au public en ligne d’Economie Matin le 1er juin 2017, intitulé « Retraites : les Français pessimistes »
Le Comité d’Information et de Défense des Sociétaires du CREF (CIDS), qui regroupe les victimes de la baisse du CREF survenue en octobre 2000 afin de les aider à faire valoir leurs droits et qui a permis de faire juger l’Etat en partie responsable de cette situation dans deux arrêts de la Cour administrative d'appel de Paris du 14 juin 2010, cité dans cet article en ligne, tient à réagir à l’article publié par Jean sur le site d’Economie Matin le 1er juin 2017 intitulé «Retraites : les Français pessimistes », et plus particulièrement à l’explication avancée des difficultés financières rencontrées par le CREF à l’origine de la baisse décidée par la MRFP, mutuelle chargée de la gestion de ce régime (à laquelle a succédé l’UMR).
Si la règlementation européenne a, certes, eu pour objectif d’obliger les Etats membres de l’Union européenne à prévoir des règles de gestion plus strictes des régimes d’assurance, et notamment des régimes de prévoyance ou de retraite complémentaire, dans l’intérêt des assurés ou souscripteurs de ces régimes, les difficultés de provisionnement rencontrées par le CREF et à l’origine de la baisse décidée en octobre 2000 sont d’abord dues au mode de gestion du CREF par la MRFP, non conforme aux dispositions du Code de la mutualité applicables à ce régime particulier de retraite complémentaire, fonctionnant pour les deux tiers en répartition, en vigueur depuis 1988, sans que l’Etat ne se préoccupe de cette situation pendant près de 10 ans, justifiant ainsi sa condamnation pour faute lourde.
La Cour a en particulier jugé que ce mode de fonctionnement, révélé tardivement par un rapport de contrôle de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) en juillet 1999, avait irrémédiablement compromis les chances des sociétaires du CREF de bénéficier du niveau de complément retraite qui leur avait été promis.
La règlementation européenne n’est donc en rien responsable des difficultés rencontrées par la MRFP pour provisionner le CREF, comme la Cour administrative d'appel de Paris l’a précisé dans ses arrêts du 14 juin 2010.