Retraites : comment réformer la réversion ?

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Par Jacques Bichot Modifié le 2 juillet 2018 à 6h22
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36,1 milliards d'eurosEn 2015, les « droits dérivés » se sont élevés à 36,1 milliards d'euros.

Le passage à un régime unique où les droits sont représentés par des points va évidemment remplacer par quelque chose de nouveau les différentes formules de réversion aujourd’hui en vigueur.

En 2015, les « droits dérivés » se sont élevés à 36,1 Md€, soit 13,5 % des droits « directs », pourcentage qui a beaucoup diminué au fil des ans : il s’élevait à 22,6 % en 1990. Les bénéficiaires étaient au nombre de 4,4 millions en 2015, dont 89 % de femmes. Après avoir constaté que ce qui existe actuellement est loin d’être parfait, ce papier examine des remplacements possibles de la réversion dans deux scénarios : une réforme systémique complète, qui mettrait nos retraites par répartition juridiquement en accord avec la réalité économique ; et une réforme systémique partielle, unifiant le système et opérant le passage aux points tout en conservant le double rôle actuel des cotisations vieillesse, qui fait de nos retraites par répartition un système de Ponzi rendu obligatoire par les pouvoirs publics.

Des formules de réversion actuellement divergentes

A défaut de pouvoir passer ici en revue les dispositions spécifiques à chaque régime (il en existe plus de trois douzaines), examinons le cas des salariés du secteur privé et celui des fonctionnaires.

Supposons d’abord que le défunt ait été retraité du régime général et de l’ARRCO (plus l’AGIRC le cas échéant). La CNAV ne verse une pension de réversion au survivant que sous conditions de ressources : son montant diminue proportionnellement au dépassement d’un premier plafond, et s’annule au-delà d’un second plafond. En revanche, l’ARRCO et l’AGIRC versent une réversion indépendante des ressources du conjoint survivant. A la CNAV la pension de réversion plafonne à 54 % de la pension du défunt, tandis que le pourcentage est uniformément 60 % à l’ARRCO-AGIRC. Si le défunt a eu plusieurs conjoints, le partage du droit dérivé s’effectue entre eux, dans chacun de ces régimes, de façon proportionnelle à la durée de chaque mariage. En cas de remariage, la pension de réversion est supprimée à l’ARRC0-AGIRC, tandis que la CNAV la recalcule en fonction des revenus du nouveau couple.

Pour les fonctionnaires, la réversion, versée sans condition de ressources, a un taux moins généreux (50 %) et elle est supprimée non seulement en cas de remariage, mais aussi (en théorie ?) si le survivant reprend une vie de couple. Pour y avoir droit, il faut 4 années de vie commune, ou qu’un enfant soit né de l’union. L’avènement d’un régime unique rendra obligatoire un choix du législateur entre le principe mis en œuvre par le régime général, qui considère la pension de réversion comme une aide en cas de ressources insuffisantes, et le principe retenu par l’Etat employeur et par les partenaires sociaux (pour les régimes complémentaires de salariés), qui en fait un droit indépendant des ressources propres du conjoint survivant.

Proposer aux couples un système de rente sur deux têtes

Difficilement concevable dans un régime par annuités et dans un patchwork de régimes, une logique patrimoniale et actuarielle peut être mise en place dans un régime unique où les droits à pension prennent la forme de points, qui sont en somme des actifs financiers (des parts de rente viagère). Rien n’empêche en effet de mettre en commun, dans un régime matrimonial comportant la « communauté des acquêts », les points acquis par chacun des époux durant leur mariage, et de traiter ces points communs selon les techniques actuarielles des rentes sur deux têtes. Cela sera possible même si le régime unique conserve la formule économiquement absurde qui attribue les points au prorata des cotisations vieillesse, formule qui sera mis en place si E. Macron ne se rend pas compte qu’il est très dommage de perpétuer un système de Ponzi.

En cas de réforme complète

Supposons un instant que, grâce à un effort de réflexion et d’ingénierie supplémentaire, les points du nouveau régime soient attribués au prorata des investissements dans la jeunesse (éducation des enfants par leurs parents et cotisations finançant l’entretien et la formation des enfants et des jeunes, seules contributions réelles à la préparation des futures pensions). Dans un tel système, la mise en commun des points acquis par les époux durant leur mariage du fait de la mise au monde et de l’éducation des enfants coulerait de source, car les apports éducatifs de chaque parent ne peuvent guère être calculés séparément. Il s’y ajouterait un certain pourcentage des points acquis par les cotisations versées en vue de l’investissement dans la jeunesse (cotisations qui financeraient notamment la formation initiale, les prestations familiales, l’assurance maladie des enfants et des jeunes, l’assurance maternité, la Protection maternelle et infantile et l’Aide sociale à l’enfance). Les conjoints pourraient naturellement, à leur initiative, aller plus loin dans la mise en commun, de façon à ce que la faiblesse des cotisations versées par l’un d’eux, davantage accaparé par les travaux domestiques, ne le désavantage pas.

En cas de réforme a minima

Si l’on en reste à l’absurde attribution des points au prorata des cotisations vieillesse, la solution est une obligation de mise en commun d’une fraction assez importante des points acquis par chacun des deux époux au titre de la cotisation vieillesse.

Dispositif temporaire durant la période de transition

Dans ce cas comme dans l’autre, la réversion stricto sensu entrera en extinction, au profit de la formule des rentes viagères sur deux têtes. Les pensions de réversion en cours seront conservées, comme les autres pensions en cours. Probablement faudra-t-il conserver aussi une formule aménagée de pension de réversion pour la période transitoire, le temps de mettre en place la rente sur deux têtes, et à cet égard l’adoption d’une formule proche de celle en vigueur à l’ARRCO-AGIRC parait souhaitable, puisqu’elle est cohérente avec le système des points qui aura définitivement remplacé celui des annuités.

Annexe : les rentes viagères sur deux têtes

On distingue les rentes « réductibles » et les rentes « réversibles ». Les premières constituent en fait un assemblage de 2 rentes distinctes, donc dans le cas des pensions de retraite deux pensions totalement distinctes, une pour chacun des conjoints. Les secondes sont versées sans modification jusqu’au décès du conjoint survivant (en somme, réversion à 100 %). Si le couple souhaite que le survivant ait simplement 50 % de la rente, il suffit d’une rente réductible. Si le but est d’obtenir davantage, par exemple 60 % (pourcentage de la réversion à l’AGIRC-ARRCO), on opèrera une combinaison de rente réductible et de rente simple. Pour cet exemple, il convient d’utiliser 80 % des points en rente réductible et 20 % en rente réversible. Chaque couple pourra choisir « à la carte » la proportion de rente réductible et de rente réversible qui lui convient, le cas échéant dans une fourchette définie par la réglementation, de façon à éviter le choix de solutions nettement spoliatrices pour l’un des époux.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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