Penser le phosphate sur le long terme

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Par Michel Delapierre Modifié le 4 février 2020 à 9h39
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@shutter - © Economie Matin

Au mois de septembre 2019, un article du journal britannique The Guardian faisait état des risques pesant sur l’approvisionnement mondial en phosphate. Selon le Guardian, plusieurs scientifiques signataires d’un appel dans la revue « Environmental Science and Technology », estimaient qu’une pénurie de phosphate pourrait avoir lieu dans quelques décennies. Compte tenu de l’importance cruciale de cet élément minéral principalement utilisé comme engrais en agriculture, une rupture d’approvisionnement engendrerait une catastrophe alimentaire à l’échelle planétaire.

Toutefois, selon le département Agriculture et Science Environnementale de l’Université de Wageningen aux Pays-Bas, spécialisée dans le domaine, et les données publiées par l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS), ces inquiétudes doivent être pondérées. Les réserves mondiales de phosphate, au rythme actuel de consommation, se situent plutôt autour de 300 ans dans les scénarios les plus pessimistes. La pénurie mondiale n’est donc pas pour demain.

Malgré tout, l’alerte exprimée dans les colonnes du Guardian mérite que l’on s’attarde un peu sur le sujet. En effet, si la grande majorité des experts s’accordent pour dire qu’il n’y a aucun risque d’approvisionnement de phosphate à court terme, ils estiment que des efforts au niveau mondial doivent être faits afin de préserver cette ressource non renouvelable.

Aujourd’hui, bien que de nombreux pays dans le monde possèdent du phosphate dans leur sol, les principaux producteurs/exportateurs sont la Chine, le Maroc, les États-Unis et la Russie. Toutefois, au rythme de consommation actuel, certains pays comme la Chine, les États-Unis et la Russie pourraient se retrouver d’ici 4 ou 5 décennies beaucoup plus dépendants de leurs importations qu’ils ne le sont à l’heure actuelle.

De son côté, la Commission Européenne a déclaré le phosphate comme « matière première critique » en 2014 dans la mesure où il est indispensable à la régénération des sols. Les enjeux géopolitiques sont donc importants et comme le précise le docteur Geneviève Metson de l’Université Linköping de Suède, « la vraie question n’est pas le risque de pénurie, c’est plutôt de savoir si nous pouvons fournir du phosphate à un prix abordable et accessible à tous ceux qui en ont besoin, notamment en Afrique où la question de la sécurité alimentaire se pose de manière prégnante. »

Prendre soin de cette ressource est la préoccupation principale du professeur Kasper Reitzel du département biologie de l’University of Southern Denmark : « nous devons en prendre soin car il n’existe pas de substitut. Nous devons avoir une approche globale et durable, qui prenne en considération l’ensemble des domaines impactés par l’utilisation du phosphate. » Dans cette optique, Kasper Reitzel est à l’initiative de la création d’un consortium de 15 doctorants, chacun expert d’un domaine en particulier : agriculture, gestion de l’eau, des déchets, sciences de l’environnement et expert en recyclage ou encore en sciences sociales.

Et de poursuivre en prenant pour exemple son pays le Danemark, dont les eaux de surface, notamment les lacs, ont été impactées par des problèmes de pollution liés des pratiques agricoles intensives : « au Danemark lorsque nous travaillons à la restauration des lacs, nous enterrons le phosphate dans les sédiments au fond de l’eau. Il serait bien plus intéressant et utile de trouver une solution permettant de récupérer le phosphate présent dans l’eau et de le réutiliser ».

Genevieve Metson explique ainsi « qu’il y a beaucoup de solutions pour mieux gérer la ressource. Le phosphore n’a pas de phase atmosphérique, il ne bouge pas et peut facilement s’accrocher à d’autres molécules. Le phosphore que l’on retrouve dans les déchets, la nourriture, etc… est donc facilement recyclable. Ensuite, il y a aussi des questions de lois et d’appréhension sociale et bien entendu une logistique et des couts associés à cette transformation ».

Des couts technologiques qui peuvent s’avérer importants car afin d’être adopté à grande échelle, le phosphore recyclé doit être entièrement débarrassé de nombreuses impuretés notamment des métaux lourds qui proviennent en grande partie des boues d’épuration.

Le recyclage est également la priorité du professeur Martin Van Ittersum de l’Université de Wageningen aux Pays-Bas : « Ici, nous travaillons sur les diverses utilisations du phosphore et les technologies de recyclage. Il y a des quantités de phosphores très importantes dans les déchets humains et animaux, nous devons donc nous concentrer davantage sur le recyclage du phosphore pour le réintégrer dans notre système alimentaire. »

Si la question d’une pénurie prochaine ne reflète pas la réalité, le vrai sujet concerne bien l’utilisation du phosphate. Pour Martin Van Ittersum « la question du phosphate est surtout l’histoire d’une surutilisation entraînant des risques de pollution. Par ailleurs, la ressource étant limitée, nous devons donc essayer de créer une économie circulaire pour la préserver le plus longtemps possible ».

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