Macron est devenu le président des riches, appellation qui devrait justifier son rejet massif par l’opinion. Mais le mouvement d’opposition aux ordonnances qui se déroule jour après jour montre la difficulté à structure une opposition durable sur ce thème. Le président a-t-il imposé ses thèmes à l’opinion?
L’étiquette de « président des riches » collée par Jean-Luc-Mélenchon sur le dos d’Emmanuel Macron devrait faire des ravages dans l’opinion. Rien n’est plus destructeur que l’idée de l’injustice dans la conduite des affaires. Dans la détestation viscérale que l’on prête d’ordinaire aux Français pour l’argent, la situation devrait être bouillonnante.
Pourtant, de semaine en semaine, la mobilisation tant espérée par la CGT (encore que la détermination de la confédération de Montreuil pourrait faire débat) et par la France Insoumise se fait attendre. Hier, par exemple, la manifestation des fonctionnaires n’a pas rassemblé 30.000 personnes.
Elle avait pourtant tout pour réussir. Les fonctionnaires font plus facilement grève que les salariés du privé. Leurs motifs de mécontentement, notamment sur la CSG, sont bien installés dans les esprits, et les médias avaient balisé le chemin en annonçant une forte mobilisation.
Et puis rien, ou pas grand chose!
Les Français détestent-ils vraiment les riches?
Une première explication de ce silence ou de cette apathie des Français tient probablement à leur accord avec le président de la République. Après tout… les riches ne sont pas si détestables que cela, et les Français savent que le quinquennat Hollande est allé trop loin dans la pression fiscale exercée sur eux pour qu’un retour en arrière ne soit pas nécessaire.
À l’injonction très pikettyenne d’appauvrir les riches pour enrichir les pauvres, les Français préfèrent la modération d’une grande politique d’équilibre. Celle-ci répond aussi au sursaut profond du pays en faveur de l’espoir d’enrichissement. Obscurément, les Français se souviennent qu’un pays qui n’offre plus la possibilité de s’enrichir quand on est pauvre est un pays de désespoir.
Pourquoi les Français rejettent viscéralement les idées de Piketty
Dans sa tribune au Monde, Piketty s’est insurgé contre la suppression de l’ISF. On connaît la structure binaire de la doxa pikettyenne, sur les vertus de l’impôt comme solution universelle aux problèmes politiques et sociaux. Pour l’économiste français, c’est par la pression fiscale qu’on peut rebattre les cartes de la société.
Tout laisse à penser que les Français ont perçu pour ainsi dire instinctivement l’obsolescence spontanée de cette idée. Outre-Atlantique, en effet, l’innovation technologique a permis, en moins de 30 ans, de rebattre les cartes de la richesse et de forger un hyper-capital dont les détenteurs étaient inconnus il y a encore quinze ans.
D’une certaine façon, Zuckerberg est le meilleur antidote aux divagations pikettyenne: l’un des hommes les plus riches du monde n’avait ni nom, ni fortune, ni patrimoine, au tournant du XXIè siècle dont Piketty s’est voulu l’analyste. Si les idées de Piketty avaient été appliquées aux États-Unis, Zuckerberg aurait sans doute émigré aux îles Caïman pour échapper à l’impôt punition que l’économiste français idéalise.
Pendant que Piketty parle du capital au XXIè siècle en France, les Américains le constituent.
Et si l’on pratiquait la pensée au XXIè siècle
Au lieu du capital au XXIè siècle, c’est-à-dire de l’éloge de l’impôt pour raboter les succès entrepreneuriaux, les Français attendent la pensée au XXIè siècle, qui redonnera un cap vers la grandeur désormais révolue de leur pays. On sent bien, partout, que les vieux schémas de pensée, même restaurés au stuc par des intellectuels éphémères, sont épuisés. Il faut désormais fixer un nouveau cadre qui permette d’accueillir et de domestiquer ces grandes disruptions qui ont propulsé les États-Unis et leur économie à de nombreuses années-lumière de ce que nous sommes.
Pour développer des géants capables de rivaliser avec leurs concurrents américains, les Français ont compris que la guerre aux riches, la pression fiscale à tout-va, était tout sauf une solution. Au mieux, elle permet de couvrir des gabegies publiques pendant quelques années, avant la paupérisation définitive du pays.
Pour la France, nous pouvons avoir une autre ambition, encore vierge d’expression et de diffusion. Celle qui consisterait à réunir les conditions globales pour permettre l’émergence des blockbusters industriels de demain: modifier les cadres réglementaires, préparer le terrain capitalistique, simplifier les univers socio-fiscaux. Même s’ils n’aiment pas leur Président, les Français comprennent qu’il apportera peut-être sa pierre à cet édifice.
Macron, fin du début, ou début de la fin?
De ce point de vue, le manque de popularité du Président dans l’opinion montre bien l’ambivalence profonde du pays vis-à-vis de lui.
D’un côté, les Français sont sans véritable illusion sur les vérités dont il est porteur. D’un autre côté, ils s’en servent avec résignation pour dynamiter le cadre ancien d’une société française à bout de souffle. Ils savent que le début d’autre chose n’a pas commencé. Que tout reste à construire. Que de nouveaux codes viendront.
Dans ce cheminement, Macron est la fin d’une ère à laquelle appartient Piketty. Reste à favoriser l’avènement d’un nouveau monde, et là, le travail n’a pas commencé.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog