Art oratoire : un combat inégal

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Par Stéphane André Publié le 12 novembre 2015 à 5h00
Francois Hollande Marine Lepen Parlement Europeen
@shutter - © Economie Matin

Une tactique de débat inverse sa valeur en fonction du muscle de l’orateur qui la porte. En témoigne la passe d’arme qui eut lieu le mois dernier entre Le Pen et Hollande au Parlement Européen.

Marine Le Pen : « Merci, Madame Merkel, de nous faire le plaisir de venir avec votre vice chancelier, administrateur de la province France. Monsieur le vice chancelier, j’aurais aimé pouvoir vous appeler Monsieur le Président de la République par respect pour votre fonction, mais pas plus que votre prédécesseur vous n’exercez cette présidence… » Debout à sa place dans l’hémicycle, son texte posé plus bas sur la table, Marine Le Pen commence fort. Fort dans son attaque, parce qu’elle fait quelque chose de son texte. La tête penchée pour lire son discours, elle reste droite et conserve dans sa nuque inclinée une tonicité qui laisse libre son larynx, permettant ainsi à ses cordes vocales de bien travailler. Elle passe aisément de l’aigüe au grave et du grave à l’aigüe selon les nuances de sa pensée, et les notes graves de ses fins de phrases sont parfaitement audibles. Son geste est bas, prêt du corps, et ne mobilise le plus souvent qu’un seul bras, car toute son énergie passe dans sa voix. Après ce début percutant, elle dresse à François Hollande, assis à côté d’Angela Merkel, un procès en règle pour abandon de la souveraineté nationale.

Dans un débat contradictoire, celui qui prend la parole le premier a intérêt à élever son art oratoire au plus haut niveau possible, pour enlever toute chance à son adversaire de l’égaler quand il parlera à son tour. S’il expose alors son projet, il réalise une extension de celui-ci dans l’esprit du public, et dans celui de son adversaire qu’il fait réfléchir. S’il attaque au contraire le projet de son adversaire, il réalise une annexion de ce projet dans l’esprit du public, et même dans celui de son adversaire qu’il fait douter. L’oratrice Le Pen avait toutes les chances ce jour-là de réaliser une annexion du projet européen de François Hollande, tellement son art était placé haut. Hollande n’allait pas l’égaler.

En réponse, « Monsieur le Vice Chancelier » (le titre lui restera, même dans l’esprit de ses amis) tenta d’abord une contre annexion du projet souverainiste. Réponse du berger à la bergère, tactique parfaitement défendable:

François Hollande : « La seule voie possible pour celles et ceux qui ne sont pas convaincus de l’Europe, c’est… et y a pas d’autre voie… et… et celle-là, elle est terrible, mais elle est celle finalement de la logique, de sortir de l’Europe, de sortir de l’Euro, de sortir de Schengen, et même, si vous pouvez, de sortir même de la démocratie, parce que parfois, en vous entendant… ». Le dos se voute, la tête poussée en avant écrase le larynx, le geste haut et loin du corps bloque la respiration dans le thorax, la voix plus fébrile que puissante reste dans les aigües, la syntaxe est incertaine et le vocabulaire pléthorique. Tout cela montre que le Président est touché. En voulant réaliser une contre annexion du projet de l’adversaire, il n’a réussi qu’à se placer sous sa dépendance. Sa musculature trop faible dans ce combat a inversé la valeur de sa tactique. Il n’avait aucune chance de déstabiliser Marine Le Pen (elle a même applaudi sa série des « sortir de… »). Il avait moins de chance encore de démolir son projet dans l’esprit du public. Moyennant quoi, il l’a servi.

Dans la deuxième partie de son discours, à bout de souffle et d’arguments (les deux vont ensemble, ça n’est pas un hasard), François Hollande tenta une extension de son projet. Après avoir si bien servi le projet de l’adversaire, il devait au moins tenter de servir le sien : la souveraineté de la France dans la négociation pour une Europe souveraine.

« … Eh bien, eh bien, ce que j’appelle ici, ce n’est pas « l’abandon de la souveraineté » (encore une volonté d’annexion qui s’inverse en dépendance : Hollande, vouté vers le Pen, s’appuie aussi sur son texte, le réinstaurant dans le débat sans l’annexer), C’EST (il pousse sa voix, jetant là ses dernières forces) la souveraineté (pourquoi ne dit-il pas : « de la France » ?), et la souveraineté n’a rien à voir avec le souverainisme. La souveraineté européenne (Où est passée celle de la France ? Mystère !), c’est être capable de décider pour nous-mêmes (de qui parle-t-il ?) et d’éviter que ce soit le retour aux nationalismes (Hollande, quant à lui, retourne sous la dépendance de Le Pen ; sa tactique d’extension s’est inversée en fuite ; il n’avait pas le muscle pour la réaliser), aux populismes, aux extrémismes, qui nous imposent aujourd’hui (dans son for intérieur, Le Pen a gagné) d’aller dans un schéma que nous n’avons pas voulu ! » Il aurait dû dire « que nous ne voulons pas ! ». Mais son corps n’en avait plus la force. Disant ces derniers mots, Hollande baissait déjà la tête pour regarder son siège derrière lui, et, courbant l’échine, se rasseyait. Il ne croyait plus à son combat. Le loup battu présentait sa jugulaire à la gueule ouverte du loup gagnant, signe de reconnaissance convenu de sa défaite.

Voyant cette fin lamentable, m’est soudain revenue l’image de De Gaulle à la libération, sur le balcon de l’Hôtel de Ville de Paris. Ayant terminé son discours par son célèbre « … Paris martyrisé !…Mais Paris Libéré ! », silencieux, il parcourait du regard en silence la foule immense qui l’acclamait. Cette fois-là, les nationalismes avaient perdu. Mais c’était une autre époque.

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Stéphane André est diplômé ESSEC et maîtrise de psycho clinique. Possédant une formation de comédien, il est metteur en scène de théâtre lyrique. Il est l'auteur du livre "Le Secret des Orateurs", Édition Stratégie et enseigne l'art oratoire en anglais.

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