Si Marisol Touraine avait un don, ce serait sans doute celui de se mettre tout le monde à dos. Non seulement ses potentiels alliés politiques, comme on l’a vu à Lille il y a quelques jours, où elle a été huée à l’occasion de l’ouverture des journées d’été d’EELV, mais également les électeurs, alors qu’approchent des régionales délicates pour le PS. A ce titre, sa plus belle « réussite » est sans doute de s’être aliénée l’ensemble des buralistes de France dans sa croisade pour l’instauration du paquet de cigarettes neutre.
Paquet neutre, inefficace mais pas inoffensif
Le réseau de vente officiel français compte 26 500 débitants de tabac, un chiffre en baisse constante depuis quelques années, puisqu’ils étaient 6 000 de plus en 2003. Pour protester contre le souhait de notre ministre de la Santé de troquer les actuels paquets de cigarettes, personnalisés aux noms et couleurs des marques, en paquets neutres, c’est à dire indifféremment glissés dans un habit vert kaki, ces buralistes ont prévu d’organiser des manifestations d’envergure mardi 8 septembre, dans tous les départements de France. Ils estiment en effet que la mesure pourrait nuire à leur activité, déjà en crise. Dans le même temps, ils considèrent que le paquet neutre, s’il représente une menace réelle pour le secteur, ne sera d’aucune utilité dans la lutte contre le tabagisme. « Supprimer les buralistes ne fera pas baisser le tabagisme », peut-on régulièrement entendre dans leurs bouches.
Paradoxe ? A première vue, oui. Si le chiffre d’affaires des buralistes chute après l’instauration du paquet neutre, c’est bien que ce mécanisme entraine une baisse des ventes de paquets de cigarettes. CQFD. C’est là dessus que communique Marisol Touraine, et elle a bien raison. La grogne des buralistes, en ce sens, lui est favorable, puisqu’elle ne fait que confirmer leurs craintes de voir le paquet neutre fonctionner, c’est à dire entrainer une diminution de la fréquentation de leurs commerces.
Seulement voilà, qui dit bureaux de tabac en berne ne dit pas forcément tabagisme en baisse. Ce serait trop simple. Pascal Montredon, président de la Confédération des buralistes, l’explique : « la contrefaçon va s’en donner à cœur joie car les paquets seront plus faciles à copier ». En France, selon KPMG, 26 % des cigarettes consommées sont achetées sur le marché parallèle. C’est énorme, mais ça pourrait encore augmenter, comme le montre le précédent australien. Depuis l’instauration du paquet neutre en 2012, la contrefaçon a enregistré un bond de 12,7 % en Australie. Si on y ajoute la contrebande, le marché parallèle a explosé de 25 % entre 2012 et 2014. Bref, si le but de Marisol Touraine est de prouver que grâce au paquet neutre les bureaux de tabac seront vides, elle y arrivera sans doute – en vidant par la même occasion les caisses de l’Etat. Si son but est en revanche de prouver que les Français sont en meilleure santé, ça s’annonce compliqué, puisqu’ils ne feront qu’acheter à la sauvette les cigarettes qu’ils n’achètent plus chez leurs débitants actuels.
Sénateur PS et président du Comité national anti-contrefaçon (CNAC), Richard Yung ne s’y trompe pas. A l’origine d’un amendement au projet de loi sur la santé écartant l’idée du paquet de cigarettes neutre au profit d’une augmentation de la taille des messages sanitaires (à 65 % de la surface du paquet recto verso, contre 30 % devant et 40 % derrière à l’heure actuelle), il est convaincu que « l’instauration du paquet neutre représente un risque de hausse considérable de produits du tabac contrefaits ».
Une impopularité gênante pour Manuel Valls à l’approche des régionales
Toutes ces mises en garde ne semblent pas dissuader Marisol Touraine qui, inflexible, envisage déjà de « réorienter l’activité des buralistes ». Comment, vers où, on ne sait pas, mais elle n’en démord pas, et les tonnes de carottes déversées par les buralistes devant le siège du PS n’y changent rien. La ministre de la Santé tient sa mesure phare. Elle n’entretient sans doute guère d’illusion quant à sa pertinence sanitaire, mais semble en revanche persuadée qu’elle sera à même de la positionner aux avant-postes de la lutte contre le tabagisme sur le plan de l’image.
Insensible aux protestations des buralistes, Marisol Touraine fera-t-elle davantage cas des remontrances de Manuel Valls ? A en croire le Canard Enchainé, le Premier ministre lui aurait demandé de mettre un peu d’eau dans son vin en prenant plus au sérieux la colère des buralistes, « des personnes qu’il faut considérer », surtout à l’approche d’élections régionales indécises.
Quelques mois après l’annonce par la ministre de la Santé de son souhait d’instaurer le paquet neutre, la mesure apparaît donc vidée de sa substance : un pansement sur une jambe de bois, un effet de manche stérile, uniquement destiné à donner le change en termes de communication. Orpheline d’une véritable politique de santé publique contre le tabagisme, la France préfère enchainer les « mesures-écrans », dont l’inefficacité à été maintes fois démontrées à travers les pays et les années, plutôt que de se pencher avec sérieux sur le sujet.
Un petit coup d’œil du côté des Etats-Unis lui montrerait pourtant qu’entre 1997 et 2015, la proportion de fumeurs est passée de 24,7 % à 15,2 % dans le pays (chiffres NCHS), et ce sans augmentation folle des prix, sans photos-choc sur les paquets et, bien entendu, sans paquet neutre. Comment alors ? Avec tact, en organisant des campagnes de sensibilisation et de prévention au long cours, en accompagnant les citoyens plutôt qu’en les infantilisant. Moins vendeur politiquement, moins tapageur mais tellement plus efficace.