Agriculteurs : quand la terre ne mentait pas

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Par Eric Verhaeghe Publié le 22 février 2013 à 6h10

Au chapitre de la névrose obsessionnelle collective qui frappe durement la France, le Salon de l’Agriculture tient une place à part : il est l’occasion d’une sorte d’extase nationale face à une multitude de culs de vache et à une forêt de groins tous plus trafiqués les uns que les autres.

Dans cette représentation quasi-maniaque des racines agricoles du bon peuple français, dans cette évocation de nos origines sociétales les plus profondes, puisque, s’il est dans le monde un peuple que la terre a sédentarisé, structuré, identifié, c’est bien le peuple français, l’agriculture et son salon jouent le même rôle que le défilé du 14 juillet. Ils sont l’occasion de jauger la capacité - la seule qui nous importe au fond - d’un président de la République à flatter un jarret de boeuf avec l’art consommé du maquignon. Dans ces moments de réjouissance et de ripaille gauloise, la France se souvient du monde et de l’époque bénie où la terre ne mentait pas.

François Hollande ne s’y est pas trompé. Après un passage à Rungis, dans une froide aurore de fin d’année, la salon de l’agriculture devrait lui donner l’occasion de regagner quelques points de popularité. L’exercice n’est évidemment pas simple : il faut empiler andouillettes, verres de rouge, poignées de main et congratulations les joues rosies par l’excès, dans un temps record qui donneront lieu à trois minutes de propagande nostalgique dans les journaux télévisés du soir. La loi de l’Audimat est à ce prix. Dans la grande comédie que nous nous jouons sur ce que nous sommes vraiment, et qui fonctionne d’abord par allusions implicites à notre identité paysanne de toujours, cette scène-là est aussi important que l’explosion tragique de l’acte III chez Racine.

Encore une fois, cette année, il faudra subir l’interminable défilé des enfants parisiens devant des animaux de ferme triés sur le volet - il faudra répondre à ces: «Papa, c’est quoi la différence entre une chèvre et un mouton ?», qui seront autant d’occasions de rappeler le grand-père paysan dans l’Aveyron ou dans les plaines picardes, dont le fils est devenu instituteur et le petit-fils ingénieur. Une fois de plus, nous rejouerons ce grand mythe si grec, si indo-européen, de nos origines puisées dans la terre, et de cette grande espérance que tous les urbains noyés dans le stress et la petitesse de vies enfermées dans des cages à poule aux loyers exorbitants nourrissent dans le secret des alcôves, à l’insu de leur femme et de leur belle-mère: «à quarante ans, je retournerai à la campagne élever mes poules et mes moutons.»

Oui, décidément, le mythe de la terre qui ne ment pas nous étreint plus que jamais, et dans la religion moderne de retour à la terre mère, le salon de l’agriculture n’a rien à envier aux JMJ ou à l’homélie sur la place Saint-Pierre le dimanche.

Mais qu’en est-il au juste de ce mythe moderne ?

L’agriculture française, chacun le sait, ne cesse de régresser. Les Français ne s’intéressent plus au labour ni à l’élevage, et la vie paysanne se dégrade à vue d’oeil.

Des exemples ?

En 10 ans, la France a perdu près de 200.000 exploitations agricoles. On en comptait 663.000 en 2000, et seulement 490.000 en 2010, soit une baisse de 30%. Cet effondrement de l’exploitation agricole trahit bien l’abandon de la terre auquel nous assistons, jusqu’à mettre en péril, à plus ou moins long terme, notre capacité à la subsistance. Dans le même temps, la surface agricole utilisée a perdu un million d’hectares. En réalité, la France est en friche.

Côté niveau de vie, l’agriculture ne se porte pas mieux: selon l’INSEE, le résultat net agricole par actif, en moyenne mobile de 2010, n’a pas encore rejoint celui de 2007, qui était à peine plus élevé que celui de 1998. Autrement dit, pour nos paysans, le niveau de vie d’aujourd’hui ressemble à s’y méprendre à celui d’il y a près de 15 ans.

Nos campagnes stagnent, nos campagnes régressent.

Elles sont devenues des objets de spectacle, des lieux d’étrangeté. La ferme est le refuge de stars en mal de notoriété, de célibataires malheureux qui exposent leur vie affective devant la France entière. Et pendant ce temps, l’agriculture allemande décide de rivaliser avec la nôtre.

La terre française, peu à peu, se met à mentir. Elle n’est plus la racine vivante que nous rêvions quand nous étions enfants. Elle est une scène de grand spectacle dont la réalité nous échappe chaque jour un peu plus. Peu à peu, un mythe français se meurt en même temps qu’il s’idéalise.

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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