Le retour de l’ouverture dominicale des grandes surfaces dans le débat public avec l’affaire du Casino d’Angers n’est pas qu’un effet de l’actualité, mais le signe plus profond d’une mutation des habitudes de consommation des Français et de la société dans son ensemble.
E-commerce, évolution de l’expérience client, phygital, stratégies de vente omnicanale… Les évolutions et les tendances se succèdent dans le monde du retail, témoin des évolutions des attentes et des comportements des consommateurs. Signe des temps dans les magasins physiques, la disparition des caisses conventionnelles au profit des caisses libre-service par les consommateurs visent à raccourcir les files d’attente à la sortie des enseignes. Plus que jamais, l’acte de consommation tend à devenir le plus immédiat possible.
En répercussion, l’impatience des consommateurs grandit. La simplification du parcours client devient une nécessité. La controverse sociale et juridique qu’une automatisation des grandes surfaces met sur le devant de la scène – au nom de la défense des emplois non-qualifiés – est l’arbre qui cache la forêt. La mutation de la société et des habitudes de consommation dont il est question et qui touche tant les distributeurs que les consommateurs, est déjà engagée de manière irréversible.
Survivre à Amazon : quand les GAFAM dictent les tendances du retail
Pour voir l’avenir du retail, il suffit de se tourner vers les grandes entreprises du numérique. Amazon n’est-il pas déjà devenu le sixième acteur mondial de la grande distribution ? En 2018, l’entreprise dirigée par Jeff Bezos a réalisé 6,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France. Le géant mondial lorgne désormais sur le commerce de produits frais et veut désormais dépasser le simple commerce en ligne. Sa première boutique en libre-service ouverte à Seattle fonctionne de manière totalement automatisée. Avant une éventuelle arrivée en France, Amazon parvient à contourner toute règlementation sur le commerce en détail et l’alimentaire : les commandes et les livraisons faites sur leur site par une part grandissante de Français permettent à des enseignes numériques de prospérer, tandis que les magasins traditionnels perdent clientèle et revenus du fait de cette concurrence déséquilibrée. Déjà 18% des Français, selon Harris Interactive, disent faire leurs courses en ligne au moins une fois par mois. C’est 26% des moins de 35 ans et 27% parmi les parents. Dans ces cas de figure, ce sont les enseignes de e-commerce et particulièrement Amazon qui profitent de ce désamour pour les supermarchés.
La tendance est inéluctable, pour le meilleur et pour le pire. Elle participe entre autres à la dévitalisation des boutiques physiques, de l’hypermarché aux magasins des centres-villes. Face à des sites de e-commerce qui ne ferment jamais leurs portes, les grandes surfaces se heurtent à une concurrence farouche. Des sites marchands comme Amazon ou Cdiscount permettent déjà de faire la totalité de ses courses en ligne. Entre le numérique et l’électroménager, ces enseignes proposent dorénavant des produits d’alimentation comme le fait la grande distribution. Des partenariats sont déjà d’ailleurs signés entre des enseignes physiques et des e-commerçants, qui permettent aux consommateurs de faire leur plein. Ainsi, Amazon vendra des produits Monoprix ou Naturalia (deux filiales du groupe Casino) quand certains des magasins du groupe mettront en place des corner shops Cdiscount. Face aux progrès de cette idée bien dans l’air du temps selon laquelle il faut rationnaliser et optimiser son temps jusqu’à l’extrême, les systèmes de livraisons mis en place par ces entreprises (parfois en moins d’une heure) et le click & collect à toute heure ne peuvent que séduire les consommateurs. L’ouverture de magasins le dimanche, en s’appuyant sur l’automatisation, est conçue comme une manière d’inscrire le retail physique dans ce nouveau paysage du retail, profondément chamboulé par l’évolution des attentes des consommateurs.
Mettre e-commerce et retail physiques à armes égales
Étendre l’ouverture des boutiques physiques au dimanche n’est pas anodin. Le samedi, autrefois jour consacré par les ménages pour faire leurs courses, voit son monopole contesté par les commandes et les achats 24h/24, le retrait en magasin et la livraison. Les horaires réglementés, entraves obsolètes aux yeux de consommateurs de plus en plus impulsifs, correspondent de moins en moins aux habitudes des consommateurs, toujours plus exigeants et préférant toujours plus d’immédiateté. L’ouverture automatisée des magasins, déjà expérimentée à Angers et bientôt à Gap, fait partie de ces pistes à explorer. Ce nouveau dispositif permet aux consommateurs de pouvoir utiliser leur temps dominical pour les courses, de créer du lien social - les courses hebdomadaires ou mensuelles restant pour beaucoup une affaire de famille - et de vitaliser l’activité commerciale de certains magasins, délaissés parfois pendant la semaine. Dans le même temps, le recours aux caisses automatiques permet aux enseignes de rester dans le cadre de la loi actuelle.
Cette extension horaire permet tout d’abord aux retailers de s’adapter aux habitudes et aux exigences nouvelles des consommateurs. Car malgré les réticences initiales, les caisses automatiques ou self-scanning sont de plus en plus sollicitées. Les moins de 35 ans, les cadres et professions libérales et les parents (particulièrement les actifs) représentent la proportion qui est plus susceptible de faire ses courses le dimanche. Il est logique d’entrevoir que ces catégories de Français sont les premières à se tourner vers le commerce en ligne dans la mesure où les commerces traditionnels ne répondent plus à leurs attentes : trop de fréquentation en semaine et fermés le dimanche. Mais cette ouverture dominicale ne doit pas se limiter au cœur des métropoles (comme à Paris où elle est du reste déjà effective), mais aussi s’étendre aux villes moyennes.
Si l’extension des horaires d’ouverture des grandes surfaces n’est évidemment pas la panacée de tous les maux du retail physique, celle-ci devrait lui permettre de lutter un peu plus à armes légales contre le e-commerce en offrant une vraie proposition de valeur aux clients.