Où en est la réforme des retraites ?

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Par Jacques Bichot Publié le 26 octobre 2018 à 5h39
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10 000 EUROSLe plafond de ressources serait à hauteur d'environ 10.000 euros par mois.

Jean-Paul Delevoye semble avoir enfin compris comment ne fonctionnent pas les retraites par répartition. Mais alors, où en est la réforme des retraites ?

Le 20 septembre dernier, Jean-Paul Delevoye, Haut-commissaire à la réforme des retraites, a semblé avoir enfin compris comment ne fonctionnent pas les retraites par répartition. En effet, au cours de son intervention lors d’un « atelier participatif » ayant eu lieu ce jour-là pour permettre aux citoyens de faire entendre leurs voix sur cette réforme dont la préparation lui incombe, le Haut-commissaire aurait prononcé quatre courtes phrases de la plus haute importance : « Vous avez cotisé pendant des années, c’est vrai. Mais ce n’était pas pour vous. C’était pour vos parents. Vos cotisations ne vous donnent droit à rien ». Cette déclaration est rapportée par Marie-Cécile Renault, la journaliste « sécurité sociale » du Figaro, sous forme d’une citation entre guillemets et en italiques, dans l’édition du 11 octobre. Elle est inouïe venant d’une bouche officielle, mais il est peu probable que la journaliste l’ait inventée.

Le vrai fonctionnement des retraites par répartition

Quasiment dans tous les pays du monde, la retraite par répartition est organisée de la manière suivante : les actifs cotisent au profit des retraités, à qui les sommes versées sont intégralement ou presque intégralement transmises, et le législateur leur promet que ces « cotisations vieillesse » leur vaudront, quand ils seront âgés, de percevoir une pension.

Cette promesse n’engage en rien les bénéficiaires des pensions ainsi obtenues, qui seraient bien en peine de la tenir le moment venu, les uns étant morts et les autres professionnellement inactifs. C’est tout à l’honneur de JP Delevoye de l’avoir compris et dit. Cependant le droit positif donne bel et bien des droits à pension en raison du versement des cotisations vieillesse. La réforme voulue par le président de la République vise même à faire de ce versement la cause unique du droit ouvert à des prestations vieillesse « contributives » : il n’est plus question de maintenir durant la dernière étape de la vie terrestre un niveau de vie analogue à celui atteint au cours de la vie active, comme le voudraient nombre de syndicalistes, mais d’appliquer le principe de la réforme voulue par le gagnant de la course à l’Elysée : « Pour chaque euro cotisé, le même droit à pension pour tous ».

Quand le droit positif prend cette direction, il entre en contradiction avec la réalité économique. Celle-ci a été exposée par Alfred Sauvy dans les années 1970 : il expliqua, sans être entendu de nos gouvernants, que nous ne préparons pas nos futures pensions par nos cotisations, mais par la mise au monde, l’entretien et l’éducation de nos enfants. En jargon économique, cela signifie que les pensions de retraite constituent le dividende obtenu grâce à l’investissement dans le capital humain.

Il existe en fait moins de différence qu’on ne le croit souvent entre la retraite par capitalisation et la retraite par répartition : cette dernière fonctionne, comme la première, par capitalisation, mais tandis que la première investit dans le capital classique (infrastructures, bâtiments, machines, technologie, etc.) elle mise sur l’investissement dans l’homme. Ces deux investissements et ces deux préparations des futures pensions sont complémentaires.

Causalité juridique versus causalité économique

Le législateur s’est « planté » à propos des retraites par répartition, emporté par une sorte d’ubris, de sentiment de toute-puissance qui lui a fait perdre le sens des réalités. JP Delevoye, en charge du problème en tant que Haut-commissaire, dévoile ce que l’on pourrait appeler, en s’inspirant d’un titre de René Girard, Des choses cachées depuis la fondation de la sécurité sociale. Plus précisément, il dévoile le mensonge fondateur de nos retraites par répartition, pas seulement en France, mais dans le monde entier, qui fait des cotisations versées pour fournir des ressources aux retraités la cause du droit à des pensions futures.

La répartition, en France, a été instituée par une loi de quelques lignes remontant à 1941. Ce texte n’explique d’ailleurs pas en quoi consiste la répartition, il se borne à ordonner que, désormais, l’assurance vieillesse fonctionne selon cette formule. Mais il n’y eut aucune ambiguïté : il s’agissait d’utiliser immédiatement les cotisations pour payer les pensions, au lieu de les investir en vue des rentes futures.

Utiliser l’argent qui rentre pour régler ce qui est dû aux retraités se justifie dans la mesure où il s’agit d’éviter les frais de transaction qui résulteraient d’une vente de certains des actifs en portefeuille pour payer les rentes, et d’un achat de titres pour préparer les pensions futures. Encore aurait-il fallu que l’on fasse cela proprement, en distinguant bien ce qui est en quelque sorte la propriété des retraités et ce qui appartient aux actifs. Que ceux-ci rachètent progressivement à leurs « anciens » les titres amassés est tout-à-fait acceptable. Ce qui ne l’est pas est de cesser d’accumuler des titres et autres biens (immobiliers par exemple) au profit des futurs retraités. Le passage de la capitalisation à la répartition, signifiant la dilapidation progressive du patrimoine accumulé, est une arnaque du type Ponzi et Madoff, que seules les circonstances dramatiques de la défaite et de l’Occupation peuvent faire pardonner.

D’où vient l’erreur ?

Pour comprendre d’où vient cette erreur on peut s’inspirer des analyses de René Girard. Le titre d’un de ses ouvrages, Des choses cachées depuis la fondation du monde[1], requiert juste une petite modification : Des choses cachées depuis la fondation de la sécurité sociale. Si l’on remonte assez loin dans le temps, nos ancêtres savaient parfaitement que les enfants seront les bâtons de vieillesse de leurs parents. Les textes sacrés ordonnaient de prendre soin des parents âgés, rappelant que leurs enfants leur devaient d’exister et d’être capables de produire. La Bible s’accorde parfaitement, sur ce point, avec leTraité de la piété filiale confucéen. Puis cette sagesse primitive a été occultée par une nouvelle croyance : la solidarité est une mythologie moderne sympathique à bien des égards, mais qui a caché le rôle de la réciprocité et de l’investissement un peu comme les mythes du temps jadis ont dissimulé le phénomène oh combien important de la rivalité mimétique.

Nos légistes ont donc inscrit dans la loi des dispositions relatives aux échanges entre générations successives qui sont les contes de fées du XXe et du XXIesiècle. Mais, pour réformer nos régimes de retraites par répartition, pour passer de la mythologie législative à la réalité des rapports entre générations successives, pour comprendre que nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations mais par nos enfants – selon la formule de Sauvy – il faudra que les 4 petites phrases de JP Delevoye fassent leur chemin.

Ce chemin, je le dessine depuis près de 40 ans, les croquis existent, mais il faut un bulldozer pour l’inscrire dans la terre lourde et caillouteuse de nos lois et décrets. Qui donc dispose d’un tel engin et fera le job ?


[1] Grasset, 1978.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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