Il est communément admis que la crise économique globale de ces cinq dernières années est de nature financière. Les services économiques du gouvernement, les analystes du secteur bancaire et les médias financiers sont tous d'accord sur la cause essentielle du crash, les créances douteuses, et ses conséquences en chaîne sur la solvabilité des banques, la faillite des marchés, les sauvetages opérés par les banques centrales, le resserrement du crédit et la dépression économique qui a suivi. De ce fait, chaque tentative de solution a été portée essentiellement par des mesures financières : tout ce dont nous avions besoin, c'était d'imprimer plus de monnaie, de sauver les banques et en peu de temps tout redeviendrait normal.
Et s'il y avait une vaste confusion entre la cause et l'effet ?
Et si la crise financière n'était que le symptôme d'un autre problème bien plus large?
Et si toutes les tentatives de nos gouvernants d' « acheter » une solution pour nous sortir de la crise s'avéraient vaines, pire, si le fait d'imprimer de la monnaie et d'accroître la dette publique, ne faisaient qu'entraver notre flexibilité économique à long terme et nos perspectives financières globales ?
Au risque de défier le bon sens économique, nous pensons que le krach financier s'est produit parce que le monde consomme maintenant plus de pétrole qu'il ne peut raisonnablement en produire et à des prix trop élevés pour être supportés par l'économie.
Ce problème n'est pas apparu du jour au lendemain. Depuis plus de 20 ans est apparu un déséquilibre croissant entre l'offre et la demande de pétrole. Une poudrière potentielle que les hommes politiques, les économistes et les banquiers ont délibérément choisi d'ignorer, afin de profiter des quelques années de complaisance financière qui se sont achevées durant l'été 2007.
Le tournant s'est produit lorsque le monde virtuel de la monnaie a été rattrapé par la réalité. Le temps du pétrole bon marché est désormais révolu. Et, dès lors que l'économie mondiale est privée de son élément vital, la croissance économique ne peut que s'arrêter.
Il est impossible de sous-estimer notre dépendance économique à l'égard de cette source d'énergie primaire, historiquement bon marché. Le pétrole fait fonctionner 50 à 60 % de nos transports, de passagers comme de marchandises, par voie terrestre, maritime ou aérienne. L'agriculture dépend du pétrole et du gaz, pour alimenter ses machines et pour la production d'engrais chimiques. Le pétrole fournit l'essence des véhicules et permet de produire chaleur et électricité, il procure l'asphalte des routes, ainsi que la matière première des objets en plastique qui sont à la base de la fabrication de la plupart des lde consommation. Le pétrole est présent partout, des vêtements aux ordinateurs, des maisons aux emballages. Et chaque jour il nous en faut plus.
Mais aujourd'hui, nous avons atteint les limites de la production d'or noir. Le « réservoir » commence à donner des signes d'épuisement et le premier de ces signaux nous a fait passer très près de l'effondrement du système financier.
Les signes annonciateurs s'offraient pourtant aux yeux de tous depuis longtemps, encore fallait-il savoir où regarder. En tant qu'économistes du secteur pétrolier, nous avons comptabilisé les champs pétrolifères, recensé les investissements et analysé les prévisions de production de pétrole brut depuis de nombreuses années. Dès 2000, nous avons averti l'industrie de l'imminence d'un essoufflement des capacités de production à partir de 2005 et prévu l'augmentation des prix qui allait s'ensuivre. En 2005, nous avons à nouveau signalé que des problèmes plus graves allaient se poser au niveau de la chaîne de production et avons anticipé les effets dévastateurs de l'explosion des prix auxquels il fallait s'attendre entre 2007 et 2010.
Cependant les signaux avertisseurs de mauvaises nouvelles n'ont pas leur place dans les agendas politiques. Une crise n'est pas considérée comme telle tant qu'elle ne se concrétise pas et ce n'est qu'alors qu'il est politiquement opportun de réagir, mais c'est trop tard. Une crise évitée est, par définition, une crise qui n'a jamais eu lieu.
Politiquement, il vaut mieux gaspiller de l'argent pour des projets d'énergies alternatives qui cadrent avec l'agenda des écologistes, même si ces projets n'apportent rien d'autre que des quantités infimes d'énergie et des promesses de profits hypothétiques. Face à la perspective déplaisante d'une pénurie de pétrole, il est plus facile de puiser dans les réserves stratégiques que de s'attaquer au vrai problème, d'entrer en guerre contre les pays producteurs, d'imposer des sanctions ou d'imprimer un peu plus de monnaie. Mais ces politiques sont désormais hors sujet. Conçues pour alléger la banqueroute d'un modèle économique qui n'a plus assez d'énergie pour alimenter sa croissance, elles participent d'une stratégie désespérée de survie, qui nous permet seulement de tenir un peu plus longtemps à court terme, alors même que nous sommes déjà plongés dans des problèmes de long terme.
Ne nous y trompons pas : en continuant d'agir ainsi, la demande de pétrole ne diminuera pas assez vite pour permettre le nécessaire changement de nos habitudes. Dans la mesure où nous demeurons mal préparés tactiquement et aveugles aux signes avant-coureurs des énormes changements qui approchent, le choc qui menace sera violent.
Paradoxalement, pour éviter ce choc et pour permettre l'apparition de solutions alternatives, il faut que les prix du pétrole augmentent. Mais la croissance économique exige quant à elle qu'ils soient bas. Il va falloir choisir.
Plus nous attendons pour agir, plus l'impact sur l'économie mondiale sera grand quand nous serons contraints de quitter le monde virtuel de la monnaie et des politiques économiques inopérantes pour faire face à la réalité du monde.
"La crise incomprise" d'Oskar Slingerland et Maarten van Mourik
Éditions du Toucan
176 pages
14,90 euros