Idée reçue : l’or est un actif improductif

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Par Charles Sannat Publié le 27 septembre 2012 à 11h21

Hier, sur le site loretlargent.info, une superbe interview a été publiée. Il s’agit de celle de Laurent Curau, cofondateur du Cafedelabourse.com qui est un blog spécialisé dans l’économie, le trading et la finance, l’expertise et les placements.

Je souhaite revenir très longuement sur les propos tenus afin de rétablir un certain nombre de vérités qui me semblent essentielles dans ce contexte économique fortement troublé. Pour tout vous dire, c’est un véritable festival d’erreurs, de non-sens, de confusions, d’idéologie, et de croyance quasi mystique dans la "bourse".

Loretlargent.info : Que pensez-vous de l’euphorie des marchés après les annonces successives de la FED et de la BCE (rachats de dettes en illimité) ?

Laurent Curau : "A chaque QE (quantitative easing ou émission monétaire), la bourse monte. Il y a une décorrélation totale avec l’économie réelle. La création d’argent est donc perçue comme de la diminution de risque et les investisseurs reprennent confiance. Les banques centrales s’amusent avec l’argent, mais la création monétaire n’a jamais créé de richesse, ni d’emploi. Donc ces décisions ne changeront rien aux fondamentaux économiques, on sent bien qu’il s’agit d’une politique médiane."

Analyse du Contrarien Matin : Il est hallucinant de pouvoir dire que ces "décisions ne changeront rien aux fondamentaux économiques". Si cette création monétaire excessive ne crée pas et ne peut pas créer de croissance, comme nous avons pu le voir, on ne joue jamais impunément avec la planche à billets. Ce n’est rien moins que 6 000 ans d’histoire de l’humanité qui nous enseignent cette triste réalité.

La création monétaire, en dehors de toute création de richesse réelle, entraîne une inflation ou une hyperinflation dans 100 % des cas. Actuellement, cette nouvelle monnaie, ces liquidités, s’investissent sur des marchés spécifiques créant des bulles qui seront dévastatrices. Je pense à la bulle des actions – les marchés financiers étant véritablement dopés à base de cette fausse monnaie –, à la bulle des matières premières, et également à celle plus spécifique concernant les produits agricoles… qui sont à la base de l’alimentation humaine. Bref, les effets potentiels de cette politique peuvent être désastreux, car ils changent profondément les équilibres du système économique mondial.

Loretlargent.info : Qu’est-ce que la création monétaire peut avoir comme conséquences sur l’économie mondiale ?

Laurent Cruau – "Les banques centrales imaginent que cela va créer de la demande, mais cela va sans doute surtout créer de l’inflation, s’il n’y a pas de déflation avant… On risque de se retrouver avec de "l’argent non stérilisé" qui peut créer de l’inflation et ressortir par une hausse du cours du pétrole, des matières premières, des métaux précieux…"

Analyse du Contrarien Matin : C’est bien de le préciser. C’est exact. Et c’est justement cela qui change les fondamentaux économiques.

Loretlargent.info : Qu’est-ce que de l’argent non stérilisé ?

Laurent Cruau – "Lorsqu’il y a un QE, la banque centrale rachète des créances, des titres pourris à une société avec ce nouvel argent créé. Ensuite, la société doit reverser l’argent sur un compte qu’elle possède auprès de la banque centrale. Par exemple, JP Morgan s’est débarrassé d’un milliard de crédits immobiliers qui ont été rachetés par la FED qui a imprimé de l’argent à cet effet. Pour le stériliser, JP Morgan doit redéposer cet argent dans le compte qu’elle a à la FED. Or, que se passe-t-il si cet argent neuf n’est pas redéposé dans les banques ? De l’argent supplémentaire créé ex nihilo est injecté dans le circuit financier, il faut le stériliser sinon cela crée de l’inflation, cela peut faire monter les marchés."

Analyse du Contrarien Matin : Nous sommes d’accord avec cette explication. Le problème de fond, en réalité, c’est le remboursement d’une créance. Si une banque centrale prête des fonds mais n’est pas remboursée, cela s’appelle de la création monétaire. Il faut retenir que, pour stériliser de la monnaie, il faut rembourser le prêt consenti. Dans ce cas, la création monétaire n’est qu’une avance sur future création de richesse. C’est un mécanisme essentiel au fonctionnement de l’économie.

Loretlargent.info : Est-ce que cela a changé quelque chose dans votre vision des choses, dans votre discours ?

Laurent Cruau – "Dans mon approche, dans mon investissement actions, je n’ai pas de vision macroéconomique, je n’y pense pas, je procède au cas par cas."

Analyse du Contrarien Matin : Voilà, à notre sens, une erreur essentielle. Certes, il ne faut pas confondre le day trading avec du placement long terme, néanmoins, placer de l’argent ou "aider" les autres à placer de l’argent sans regarder le contexte macroéconomique, sans regarder l’environnement, sans prêter attention aux fondamentaux économiques, est le chemin le plus court vers la ruine, tout en sachant qu’en le faisant le chemin vers la richesse est incertain.

Prenons l’exemple des actions des banques. Elles sont massacrées depuis le début de la crise, à juste titre. Les épargnants ont perdu des fortunes sur Dexia ou Crédit Agricole. Les cours remontent énormément à certaines périodes, pour aussitôt rebaisser. Le risque : rentrer trop haut et ne jamais retrouver son prix d’achat. On investit dans ce que l’on comprend, dans ce que l’on connaît, et dans les valeurs qui intrinsèquement sont porteuses d’avenir. Elles sont très rares aujourd’hui. Nous confirmons notre objectif d’un CAC compris entre 1 800 et 2 000 points. Tenez-vous à l’écart.



Loretlargent.info : Quels conseils apporteriez-vous actuellement ? Vers quels types d’actions orienteriez-vous des investisseurs ?

Laurent Cruau – "Dans le contexte actuel, je choisirais des actions dans des pays forts, qui ont démontré leur dynamisme depuis de longues années, qui font preuve d’une forte stabilité économique et politique, je pense bien sûr aux États-Unis. Concernant les pays émergents, je préconise plutôt de la prudence, ils n’ont pas d’historique là-dessus. Sinon, j’orienterais également mes choix sur Singapour qui est un peu "la Suisse de l’Asie" et dont l’activité financière et commerciale est prépondérante… sauf si le commerce international est grippé !
J’opterais également pour des entreprises sur secteur défensif (ou actions "parapluie"), des biens de consommation courante, l’agro-alimentaire ou des sociétés qui proposent des gammes de produits et d’activités très étendues, implantées sur la planète entière et qui seront là dans 100 ans. Il s’agit des valeurs refuges des actions, des valeurs de bon père de famille [NDLR : les notions d’action et de bon père de famille sont à nos yeux complètement antinomiques]."

Analyse du Contrarien Matin : Nous vivons un changement de paradigme. C’est la fin d’une forme de consommation de masse basée sur du toujours plus. Rien ne dit que le business model d’une maison comme l’Oréal pourra résister à une telle transformation de l’économie mondiale. Que l’Oréal sache s’adapter, certes, mais les chiffres d’affaires et les profits vont drastiquement baisser dans les 10 ans à venir. Les actions sont dans une bulle alimentée par une création monétaire massive qui n’irrigue pas l’économie réelle complètement sinistrée, mais uniquement les marchés financiers et la spéculation.

Investir sur les actions aujourd’hui est pour nous suicidaire en terme de gestion patrimoniale. Concernant l’Asie, ce n’est pas une région hors du monde, mais la région par excellence qui a profité de la mondialisation. Elle est très touchée par la récession mondiale en cours. Il faut s’en tenir à l’écart comme nous le disons depuis deux ans. Enfin, les États-Unis et leur capacité à rebondir sont un mythe dans le contexte actuel de décroissance. Au contraire, ce sera le pays le plus touché, puisqu’il s’agit de la nation qui est allée la plus loin dans la surconsommation de masse et dans l’endettement des ménages. Depuis 2007, les USA ne parviennent pas à rebondir. Ce n’était jamais arrivé dans leur histoire économique récente. C’est un pays aussi surendetté que les plus endettés des pays européens. Le dollar est affaibli. Bref, les fondamentaux américains sont mauvais… comme en Europe.

Loretlargent.info : Avec un nouveau QE, le dollar ne peut que s’affaiblir, cela ne risque-t-il pas de mettre la valeur de leur action en péril ?

Laurent Cruau – "Si le dollar venait à s’affaiblir [NDLR : il a déjà perdu 98 % de sa valeur depuis sa création en 1917], les entreprises qui ont beaucoup de bénéfices à l’étranger vont mieux résister que les autres entreprises qui ne sont implantées qu’aux États-Unis par exemple."

Analyse du Contrarien Matin: La crise est mondiale. Les entreprises américaines parmi les plus internationalisées, comme Fedex ou Caterpillar, annoncent des chiffres en baisse. Toutes les banques centrales étant lancées dans une politique de création monétaire à outrance, c’est toutes les monnaies qui vont se déprécier et pas uniquement le dollar. Bref, dans un contexte aussi complexe, il est difficile d’avoir des certitudes sur les "bons" titres !!

Loretlargent.info : Et s’il y a une crise économique majeure, un problème généralisé de croissance, de chômage, ne pensez-vous pas que cela finira par impacter les actions ?

Laurent Cruau – "Je n’ai pas d’avis sur les actions en général. Sur le très long terme de toute façon, ça monte. Ce qui compte, c’est précisément d’acheter au bon prix, quand c’est bas; il faut le faire au bon moment, quand les actions "phares" ne sont pas trop valorisées, comme c’est un peu le cas en ce moment. Il faut attendre la prochaine grosse correction pour se placer."

Analyse du Contrarien Matin : Voilà l’une des analyses les plus fulgurantes ! "Sur le très long terme de toute façon, ça monte." Allez dire cela à tous ceux qui ont investi à partir de 1999. Nous sommes en 2012 ! 13 ans plus tard, cela commence à être du long terme ! Les épargnants sont tous, tous perdants depuis 12 ans ! Les actions ont été les meilleurs placements des 50 dernières années, puisque nous étions dans un contexte de croissance infinie et de consommation de masse. Comment voulez-vous avoir les mêmes perspectives qui puissent être les mêmes si nous entrons dans l’ère de la rareté ! D’ou la nécessité d’étudier les fondamentaux économiques !



Loretlargent.info : Que pensez-vous de l’envol récent du cours des métaux précieux ?

Laurent Cruau – "Ils s’inscrivent avec la montée des matières premières. Pour moi, l’or, l’argent, le blé sont des d’actifs tangibles comme les autres, ils ne représentent pas un investissement. L’or est un actif non productif, si on a 100 kilos d’or aujourd’hui, on a 100 kilos d’or dans 50 ans, l’or n’a rien produit. A la rigueur, je préfère acheter un champ de blé qui va produire une certaine quantité régulière de blé."

Analyse du Contrarien Matin : En théorie, une monnaie est neutre ! Elle ne produit rien par elle-même mais par l’usage que l’on en fait. L’usage, c’est une dépense ou un investissement, ou encore de l’épargne. L’or ne produit rien, effectivement. Mais ce faisant, il n’appauvrit pas non plus les nations. Faire passer le détenteur d’or pour un méchant est la plus belle des escroqueries intellectuelles. Lorsque vous placez 100 euros sur un compte et que la banque verse 3 % d’intérêt, qui paie ? Ce n’est pas la banque en réalité.

Celui qui paie, c’est celui qui, par l’intermédiaire de la banque, emprunte votre argent. Lorsque l’État espagnol doit payer 7 % l’argent emprunté à l’épargnant, la réalité, c’est que l’épargnant spolie et ruine l’Espagne pour son propre profit. Il est donc le coupable des récessions ! L’avantage, néanmoins, c’est que l’épargnant ne touchera pas 7 % ! Il touchera moins ! La différence ira dans la poche des intermédiaires qui vous expliquent doctement que l’or ne rapporte rien, alors qu’ils devraient vous dire que l’or ne leur rapporte rien ! C’est une nuance fondamentale. Enfin, avoir un champ de blé est une excellente idée. J’attends de voir Monsieur.com avec ses bottes et sa faux…

Loretlargent.info : En fonction de la raréfaction des ressources minières, ne pensez-vous pas que l’or peut prendre une valeur très importante d’ici les prochaines années ?

Laurent Cruau – "Des Cassandres avaient déjà prédit qu’il n’y aurait plus de pétrole dans les années 2000 et regardez, grâce aux progrès techniques, on peut encore exploiter plein de gisements, c’est pareil pour l’or. Il y a trop d’incertitudes pour que ce soit considéré comme de l’investissement."

Analyse du Contrarien Matin : Sauf que l’or est la monnaie depuis 6 000 ans… C’est rare de nos jours un recul de 6 000 ans sur un actif… Concernant le pétrole, effectivement, il y en a encore ! Et pour longtemps. Le problème, c’est le prix du litre d’essence ! Et là, franchement ça monte… surtout depuis 2000 ! Il y a bien raréfaction du pétrole. On en trouve encore. De plus en plus profond et de plus en plus difficile à extraire.

Il faut retenir que la limite d’extraction est très simple. Quel que soit le prix du baril, si vous êtes obligé en terme énergétique de dépenser un baril pour en extraire un, votre travail ne sert à rien. C’est ce qui explique que certains gisements, pourtant très importants, ne rentrent pas en exploitation.



Loretlargent.info : Comment voyez-vous l’or ?

Laurent Cruau – "L’or, je le vois plus comme une monnaie que les gouvernements ne peuvent pas imprimer à volonté. Si l’or est une monnaie, on tombe dans le marché des devises. Il joue alors un rôle de réserve de valeur pour se protéger du risque des gouvernements, des banques centrales qui impriment de l’euro et du dollar à volonté, pour se protéger des monnaies fiduciaires. Le fait de le stocker chez soi, ça coûte cher. Ça peut être très encombrant, plus on en a, plus il faut de gros coffres, c’est aussi valable pour l’argent [NDLR : heureusement qu’il existe des solutions peu onéreuses de stockage d’or dans des coffres externalisés]. A partir du moment où on achète un actif improductif avec la perspective de le revendre en réalisant des plus-values, j’appelle cela de la spéculation."

Analyse du Contrarien Matin : C’est justement l’inverse de la spéculation. Les gens achètent de l’or pour se protéger. C’est donc une assurance. Tous les ans, chaque foyer français dépense à fonds perdus des sommes importantes pour se couvrir de risques que nous espérons ne jamais voir se matérialiser. Ma maison est assurée contre le feu. Pour autant, j’espère qu’elle ne brûlera jamais, même si je suis remboursé ! Je ne spécule donc pas avec mon assurance.

L’or a la même logique pour le patrimoine des gens. Il faut également arrêter avec le côté improductif de l’or ! Encore une fois, en achetant de l’or, je ne cherche pas à produire des intérêts – ce que font les banques en prêtant l’or de leur client contre rémunération ! Comme quoi, les génies de la finance ont réussi à rendre l’or productif ! Résultat des courses : nous découvrirons bientôt que les stocks d’or de nombreuses banques sont en réalité vides…

Mais il est vrai, encore une fois, qu’il est difficile de gagner beaucoup d’argent en vendant de l’or ! Les marges sont très faibles pas comme les produits financiers, ceci expliquant cela. Pour gagner leurs commissions, les intermédiaires sont prêts à tout, y compris à vous faire perdre 80 % de vos avoirs, pour empocher 5 % de frais de gestion et de commissions indirectes… Il ne faut pas être naïf.

Je reprendrais bien un peu d’improductif… Enfin, je veux dire un peu d’or. Mais je ne vous le conseille pas. Ça ne rapporte rien, c’est risqué, et en plus vous deviendriez un vilain spéculateur, pas comme ces saints qui achètent des actions. D’ailleurs, si vous avez quelques débris de dents de l’arrière-grand-père, écrivez-moi, je vous en débarrasse. Mais, de vous à moi, c’est juste pour vous rendre service !

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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