En matière fiscale, il faut distinguer l’erreur, l’optimisation et la fraude

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Par Janin Audas Publié le 16 avril 2014 à 2h20

Le Gouvernement veut amplifier la lutte contre la fraude fiscale, ce dont tout contribuable et tout citoyen ne peuvent que se réjouir. La communication officielle ne fait pas ce distinguo entre les simples redressements d’erreurs et la fraude organisée ; cette dernière impliquant des manœuvres frauduleuses traduisant une intention de dissimulation, l’administration parle de "manquements délibérés".

Sans vouloir nier l’existence de fraudeurs, la très grande majorité des redressements fiscaux que nous rencontrons dans le cadre de notre vie professionnelle d’expert-comptable, résulte d’erreurs ou de méconnaissances de textes toujours plus nombreux et plus complexes d’application. Il s’agit, au plan fiscal, "d’insuffisances de déclaration" résultant "d’inexactitudes ou d’omissions" ou "d’obtention indue d’une créance fiscale" sans que la bonne foi du contribuable ne soit mise en cause.

La multiplication des taxes, des régimes, des règles et des niches fiscales, des exceptions et des dérogations, les régimes spéciaux (notamment de simplification !) rendent inévitables ces erreurs, surtout dans les petites (PE) et très petites entreprises (TPE). Les cabinets d’expertise comptable qui interviennent essentiellement auprès de ces TPE et PE en matière comptable et fiscale ont de plus en plus de difficultés à faire face à la complexité fiscale, leur personnel comptable ne pouvant plus maîtriser l’ensemble de la matière fiscale et ses évolutions permanentes. Ils sont donc obligés de faire intervenir des professionnels de haut niveau pour assurer la mission fiscale, ce qui entraîne un surcoût pour leurs clients et des risques d’erreurs.

Dans la plupart des cas, ces redressements d’erreurs se font dans une bonne coopération entre l’administration, l’entreprise et ses conseils, bien que les conséquences financières soient quelquefois lourdes de conséquence.

La simplification et l’harmonisation des règles comptables et fiscales seraient, à ne pas en douter, des moyens d’éviter ces erreurs déclaratives.

L’optimisation fiscale, comprise comme le choix de la situation fiscale légale la plus économique pour l’entreprise est un devoir pour l’entreprise. Quant à ses conseils, leur devoir de conseil fait qu’ils doivent informer le chef d’entreprise des solutions existantes qui lui ferait économiser de l’impôt. Pour illustrer cette obligation, rappelons une dernière décision de la Cour d’Appel de Caen qui confirme l’obligation de conseil fiscal qui s’impose à l’expert-comptable chargé d’établir les déclarations fiscales (son client lui reprochait de ne pas l’avoir suffisamment incité à changer de forme juridique d’exercice de son activité en transformant l’entreprise individuelle en société, ce qui lui aurait fait économiser de l’impôt sur les bénéfices).

La situation fiscale des grands acteurs mondiaux de la nouvelle économie, actuellement sous les feux de l’actualité, constitue une autre illustration de l’optimisation fiscale en matière de territorialité de l’impôt et ses limites ; la question est de savoir quelle est la nature de la prestation fournie aux clients et son lieu géographique de délivrance. A partir de quel moment peut-on parler de fraude fiscale ? Lorsque le montage d’optimisation constitue un « abus de droit », notion bien connue des fiscalistes et que les tribunaux précisent au fur et à mesure de leurs décisions faisant jurisprudence.

Enfin, la fraude fiscale à proprement parler (non déclaration de recettes, déduction de charges non déductibles, dissimulation d’assiette, impôts ou taxes éludés volontairement…), est, rappelons-le, un délit sanctionné pénalement. Outre les intérêts de retard, elle fait l’objet d’une majoration de 40 % des droits redressés ou de 80 % en cas de manœuvres frauduleuses. La fraude n’a pas toujours été condamnée moralement par les citoyens, certains l’ayant même érigé en "sport national" ; mais cela a changé dans bon nombre de pays, dont la France, et cela est devenu aujourd’hui inacceptable au même titre que d’autres fraudes comme la fraude aux subventions ou la fraude aux aides sociales ; chacun ayant pris conscience qu’il paie à la place des fraudeurs.

Enfin, ce que les chefs d’entreprise ont du mal à accepter, c’est la remise en cause d’une aide ou d’une subvention comme il est fréquent en matière de crédit d’impôt recherche et ils craignent qu’il en soit de même pour le CICE. C’est pour cette raison qu’un certain nombre de chefs d’entreprise préfèrent renoncer à profiter d’avantages fiscaux.

La fraude fiscale, au sens propre du terme, est donc beaucoup plus modeste que le discours officiel ne le laisse entendre, tout redressement fiscal n’étant pas à considérer comme une fraude et tous les chefs d’entreprises qui ont un redressement fiscal ne sont pas des fraudeurs (comme le laisse entendre la communication gouvernementale).

En outre, il faut considérer que la complexité est un facteur de coût et d’insécurité fiscale et que tous les contribuables, particuliers, entreprises ou autres entités, sont potentiellement des fraudeurs qui s’ignorent.

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Commissaire aux comptes, conseil en management d'entrepriseExpert-comptable honoraireVice-président du Mouvement ETHICPrésident fondateur du cabinet 01 AUDIT ASSISTANCE

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