Co-auteur du rapport parlementaire « le rôle des armées sur le territoire national : après l’heure de la riposte, le temps des choix politiques » (Assemblée Nationale, juin 2016), je souhaite rappeler ici, alors qu’à nouveau le débat devient public sur le devenir de l’opération Sentinelle, quelques pistes proposées alors, pour l’adaptation de notre dispositif.
L’ensemble de ces propositions a été approuvé à l’unanimité par la commission de la Défense Nationale à l’Assemblée en juin 2016.
Il convient de rappeler en préambule que de tout temps l’armée française a participé à des opérations de sécurité au profit des populations civiles sur le territoire national (catastrophes naturelles, surveillance feux de forêt,…) la plus connue de ces opérations étant Vigipirate avec quelque 3 000 hommes dont 1 000 militaires déployés sur le territoire national depuis 20 ans (1995). De même, nos armées assurent la défense aérienne et maritime du territoire (Posture Permanente de sûreté aérienne et Posture Permanente de sauvegarde maritime). En fait, ce sont près de 12 000 militaires qui œuvrent au quotidien au maintien de notre sécurité pour l’accomplissement de leurs différentes missions.
Avec les attentats de Charlie Hebdo nous sommes entrés dans le « temps long » et le déploiement massif de nos soldats sur le territoire national (TN). Jamais nos armées n’avaient été autant sollicitées jusqu’alors sur une telle durée tant à l’extérieur (OPEX) que sur le territoire national (OPINT).
Ce « sur-emploi » de nos forces, l’urgence de leur déploiement (10 000 hommes en six jours) et la faiblesse de nos effectifs posent bien sûr la question de l’adéquation des moyens alloués à nos armées. Les recrutements importants effectués par le ministère en 2015 et 2016 ne seront que pleinement opérationnels en cours d’année.
Disons le tout de go, ces recrutements restent encore insuffisants puisque l’Armée de Terre estime à 1 050 les recrutements annuels (pendant 5 ans à effectuer) afin de pallier à l’ensemble des missions. Les choix du Président de la République de geler 850 milliards d’euros du budget 2017 et de ne pas procéder à de nouveaux recrutements est à la fois incompréhensible et s’avèrera (si ce choix est maintenu !) une erreur de jugement grave de conséquences.
Après une première année de déploiement, Sentinelle avait déjà fait l’objet de critiques, et des adaptations nécessaires à l’efficacité de la mission ont été mises en place :
- Inversion de la proportionnalité entre gardes statiques et postures dynamiques (aujourd’hui 80 % de la mission est dynamique)
- Participation de nos Armées au renseignement de zone
- Harmonisation des moyens de communication entre Forces de Sécurité Intérieure (FSI) et force Sentinelle
- Condition des personnels (logement, armement, solde) prise en compte
- Amélioration des flux d’information et des prises de décision entre l’Intérieur et la Défense
- Meilleure prise en compte du savoir-faire de nos Armées.
Avec la nouvelle attaque de Levallois-Perret, le débat sur le devenir de Sentinelle rebondit. Je souhaite apporter ici un éclairage.
Nos soldats sont-ils devenus des cibles ? Bien sûr ! et le nier serait ridicule. Néanmoins, replaçons les choses dans leur contexte. C’est l’uniforme, symbole de l’autorité régalienne qui est une cible (militaires, policiers, gendarmes, pompiers…) Retirer nos soldats du territoire national, c’est déplacer le problème sur d’autres uniformes !
Autres arguments entendus : c’est aux FSI de veiller à la sécurité sur le territoire national. Certainement ; dans le rapport précité, nous évoquions d’ailleurs un passage de témoin dans la durée avec la montée en puissance des effectifs FSI sur le territoire national et le « repli » en conséquence, ne nos soldats, avec, néanmoins, un double bémol.
D’abord, rappeler qu’une force militaire en soutien de nos FSI restera indispensable. « L’ultima ratio », le dernier recours d’un Etat, reste toujours l’Armée.
Ensuite, les conséquences budgétaires : nous avons démontré dans notre rapport la différence de l’ordre de 1 milliard d’euros par an selon que la mission soit effectuée par 7 000 militaires ou 7 000 policiers. Ainsi, les dépenses du titre 2 s’élèveraient à 2,44 milliards pour la police et à 1,53 milliards pour l’armée de terre, du fait, notamment, des statuts différents.
A l’heure où la dépense publique reste très contrainte, voilà une donnée qui ne devrait pas laisser de marbre nos gouvernants, sauf à baisser la garde inconsidérément.
Quelles sources d’amélioration ?
Si nos forces armées ne sont jamais primo-intervenantes sur le territoire national, il convient certainement, dans le respect de ce principe, de faire évoluer notre doctrine vers une plus grande autonomie de nos soldats.
De la même façon, l’exploitation de l’information d’intérêt opérationnel est une des conditions de succès et de sécurité de tout engagement militaire. Il convient donc d’aller encore plus loin sur la quête d’informations (renseignement) par nos militaires sur le territoire national. Tout comme l’effort doit être poursuivi en matière de cyber-défense (érigée en posture permanente des Armées).
Alors que le Président de la République a décidé la mise en place d’une task-force à l’Élysée pour piloter la lutte anti-terroriste, je rappelle que nous avions proposé la création d’un centre interministériel d’opérations sur le territoire national, car les crises appellent une réponse interministérielle pour la planification et la conduite des opérations. Ce centre opérationnel pourrait planifier « à froid » la réaction à différent scénario de crise et assurer la conduite des opérations sur le territoire national.
Enfin, comment sortir du piège « politique » de la réduction des effectifs Sentinelle sur le territoire national ?
Aujourd’hui, du fait de la menace, la prise de décision de « réduction de la voilure » reste un acte périlleux politiquement pour nos dirigeants sans solution physique de remplacement.
Afin de sortir de ce piège nous avons proposé que dans le cadre d’un nouveau dispositif législatif tendant à réformer l’État d’urgence (instauré par la loi en 1955 !), le nombre de militaires déployés sur le territoire national dans le cadre de Sentinelle, corresponde automatiquement au degré réel de menace.
En reprenant les degrés d’alerte du plan Vigipirate, un nombre déterminé de soldats à déployer correspondrait automatiquement au niveau de la menace.
Il conviendrait alors de revoir le nombre de degrés (actuellement 3 degrés dans Vigipirate :
- Posture de base : 1 000 militaires
- Posture de vigilance renforcée : maxi 7 000 militaires
- Posture alerte attentat : 10 000 militaires).
En conclusion, si l’engagement de nos armées sur le territoire national fait l’objet d’un encadrement juridique strict et ancien, organisé de façon à garantir le caractère subsidiaire et temporaire du recours aux armées, le maintien d’un niveau de menace élevé dans notre pays, la faiblesse des effectifs et le statut des FSI, le cadre contraint des budgets, ne permettent pas une suppression du dispositif Sentinelle dans l’immédiat.
Dans l’attente d’un profond réarmement de nos fonctions régaliennes, nous devons donc veiller à donner plus de latitude à nos armées sur le territoire national afin que s’exprime plus encore leur savoir-faire sans apparaître comme de simples supplétifs des FSI, tout en veillant à ne pas causer de « trou capacitaire » dans les missions de base assignées à nos armées.
Ceci passe bien évidemment par un effort budgétaire soutenu tant au niveau du ministère de la Défense que celui de l’Intérieur.
La sécurité, première de nos libertés, a un coût, nous devons l’assumer.