OPINION
Alors que plusieurs matchs de sports, football ou handball, sont annulés samedi 8 décembre, on peut légitimement se demander quelles règles (de vie en commun) seront observées ce jour à Paris et en province ?
Les raisons de la colère
Même si l’intertitre fait explicitement référence au roman de Steinbeck, paru en 1939, je vais plutôt débuter cette tribune par un extrait parlant d’un sketch de Coluche : « Quand j’étais petit à la maison, le plus dur c’était la fin du mois... Surtout les trente derniers jours ! ». Voilà le fond du problème. Le pouvoir d’achat des français. La fiscalité qui plonge trop de nos concitoyens dans un sentiment de survie permanente en lieu et place de vie.
Sur le mode coluchien expliquant le crédit : « moins tu peux payer... plus tu payes », les « frais pour incidents bancaires » en France se seraient élevés, selon l’UFC Que Choisir, à 6,7 milliards d’euros en 2017 (131 euros par client). Pour info, le fameux ISF rapportait 4,23 milliards dans cette même période.
Donc aux 6,5 millions de pauvres estimés en France, viennent s’ajouter ceux que les incidents de vie n’épargnent pas, les salariés à plein temps qui n’arrivent même pas à se loger dignement, ceux qui mangent ou se chauffent l’hiver… bref beaucoup de français souffrent !
Pour résumer en parodiant Mourad Boudjellal, punchliner catégorie poids-lourd, beaucoup de Français ne veulent plus d’une « sodomie fiscale » ou ressentie comme telle.
A cela viennent désormais se greffer toutes les revendications catégorielles : agriculteurs, le secteur du BTP ici, des policiers là, et « même sans vraiment, mais pas tout à fait » des lycéens...
Le phénomène des Gilets Jaunes, outre sa propre symbolique « être vus », est né de cet agacement fort. Pas forcément solidaire, plutôt individuel, il agrège. A des situations personnelles et problématiques familiales viennent se greffer toute les émotions suscitées. Cette émotion, cet instinct qui guident désormais nos vies, parfois même au détriment de toutes réflexions. L’instantanéité étant le maître-mot, les réseaux sociaux les vecteurs de communication, l’instant politique, plus long par définition : organisation, concertation, ayant disparu, tous les ingrédients sont là pour l’expression d’une colère.
Fracture sociale en 1995... facture sociale en 2018
Il y a 23 ans, au sortir du second mandat de François Mitterrand, Jacques Chirac se faisait élire sur le concept de « fracture sociale » qu’il allait soigner. Un quart de siècle plus tard, toutes les majorités qui se sont succédées n’ont au mieux que géré cette dite fracture, au pire la laisser s’amplifier. Fracture économique, fracture sociétale, fracture territoriale, fracture scolaire, fracture numérique voici quelques-unes de ces lignes de défiance trop peu ou pas assez bien ou vite prises en compte par la représentation politique. Les Français ne veulent plus être potentiellement exclus de leur propre société, quand ce n’est pas déjà le cas. Pour faire un parallèle, un Gilet Jaune me soufflait : « on ne veut pas finir comme dans le film [de Luc Besson] : Banlieue 13 ! ». Christophe Guilly à plusieurs reprises a décrit en termes plus choisis cet éloignement géographique-économique des citoyens français entre eux. Avec désormais comme paroxysme : les élites contre le peuple, et en symbole absolu, selon eux, Emmanuel Macron.
Inégalités sociales et fiscales
Car oui ces inégalités s’accroissent. Les chiffres parlent d’eux même. 10% des plus riches possèdent 47% du patrimoine. Depuis 2000, les plus riches s'enrichissent. Et depuis les années 2010, les 10% les plus pauvres s'appauvrissent. La crise oui, mais pas pour tous !
Un article du Monde, les décodeurs, de mai 2017 pointait « entre 2003 et 2013, les plus modestes ont gagné en moyenne 2,3 % de pouvoir d’achat alors que sur la même période, les 10 % les plus riches ont vu leurs revenus augmenter vingt fois plus (42,4 % de hausse). » Eloquent, non ?
Et l’évasion fiscale s’envole à près de 100 milliards pour 2018 ! Et ce ne sont pas tous les «les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les taulards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus » chers à Coluche qui ont accentué, à eux seuls, la hausse de cette évasion, alors même que l’’ISF a été remplacé.
Et quoi penser des GAFA (Google Apple Facebook Amazon) ? De Total ? etc… qui paient 3% d’impôts sur les sociétés en moyenne ? Ces géants mondiaux économiques qui font leur propre loi fiscale ?
Les charognards de la détresse
Alors ce mouvement populaire est légitime dans sa prime expression. Faire remonter du terrain, du vrai, de l’éloigné, de l’obscur des aspirations à vivre dignement : quoi de plus normal ? Mettre la pression sur le pouvoir en place, quoi de plus classique ? La goutte d’essence, ou de diesel, qui a fait déborder le portefeuille des citoyens a vite connu un écho dans la rue après celui de Facebook. La volonté de non-politisation du mouvement était à l’origine une bonne chose.
Des erreurs de communication politique élémentaires comme la concomitance du rejet de l’ISF et du coup de rabot aux APL, le tout relayé par une députée LREM Claire O’petit qui demandait aux jeunes « d’arrêter de pleurer pour 5 euros » dès juillet 2017, couplé avec la condescendance de certains élus nationaux LREM qui avaient du mal à vivre leurs fins de mois et une qui avouait « manger pas mal de pâtes », tout autant que celui du porte-parole du gouvernement Benjamin Grivaux au sujet des « des gars qui fument des clopes et qui roulent au diesel » avait de quoi aviver toutes les braises. Si le carton jaune existait en politique... au vestiaire un certain temps, ça ne serait pas du luxe !
Alors le 17 novembre l'acte 1 des gilets jaunes a eu lieu. Légitime manifestation marquée cependant par la mort d’une manifestante. Puis sont venus les temps d’exactions à Paris, oui, mais aussi en province. En sous-main sont venus se greffer des parasites : casseurs adeptes du « grand soir » ou du renversement de la République, et pour partie des bandes violentes pour piller. Acte 3 terrible ! Des Gilets Jaunes sincères dans leur lutte qui sont infiltrés, et se laissent même entraîner dans le pire. Au fait quelqu’un peut me dire l’intérêt de desceller une grille du jardin des Tuileries ? Le message là ?
Et puis, petit à petit, sont venus se mêler sur les plateaux télé ou radios, tels des charognards, le personnel politique : du clown que l’on sort de sa boîte : Olivier Besancenot qui explique tout et surtout rien, aux « dépités » de la France Insoumise, débordés par le fameux peuple dont ils se revendiquent, expliquant le fameux « non à la violence, mais » au sujet des scènes incroyablement brutales, pillages, incendies de voitures ou préfecture ! Le nouveau secrétaire général du PC qui veut bien être le relai des #GJ à l'Assemblée.
Tous y sont venus : Laurent Wauquiez, bon descendant de « super menteur » et Paul Bismuth, a même réussi à encore mentir... sur le port de son Gilet Jaune ! Le millionnaire Nicolas Dupont-Aignan se prend même pour l’un des Gilets Jaunes en voulant diffuser son entretien avec le Premier ministre et claquant la porte pour refus... Quand on n’a pas d’idées, il ne reste que l’esbroufe. Le rassemblement national aussi est de sortie en laissant ci et là parler ses officiers et protégeant la cheffe d’une sortie intempestive ? Même François Hollande qui n’arrive pas à gérer correctement deux femmes à la fois dans sa vie se mêle de rendez-vous avec les Gilets Jaunes... peut-être de futurs (é)lecteurs ?
Le top de la guignolade revient à François Ruffin qui n’a aucune mesure dès qu’il s’agit de faire parler de lui. Sa haine viscérale envers Emmanuel Macron est sa seule constante, quoique délétère ! S’en rend-il compte ou il pré vend déjà son prochain film ? Tous viennent gratter des électeurs en vue des élections européennes. Oui mais pas que… :
L'ensemble des écuries politiques classiques n’ont toujours pas accepté la défaite cinglante infligée par un autre mouvement sorti de nulle-part pour les mettre tous à l’amende électorale : En Marche en 2016.
Et à défaut de réellement refaire le monde, les voilà tous fins prêts à en découdre pour juste refaire le match à grands coups de « dissolution de l'Assemblée » ou « Macron démission ».
Le chaos entretenu, un temps par l’exécutif sourd aux revendications puis par les gilets jaunes eux-mêmes : dans l’incapacité de proposer une représentation, par certains « représentants » du peuple ou « responsables politiques », ne cessera qu’avec le pire semblent espérer certains.
Pour couronner le tout une manip', magouille, fake news ou infox comme vous le souhaitez vient attiser la peur au point de voir certaines têtes des Gilets Jaunes, plus ou moins sensible et sensibilisés mais véritables porte-voix médiatiques, à la relayer : le pacte de l’ONU sur les migrations, débattu lundi 10 décembre au Sommet de Marrakech, contraindrait les États à accueillir « des millions d’immigrés ». « Macron signera des deux mains (...) L’Europe est à la veille d’un tsunami migratoire de type invasion et colonisation » assurent les paroles de Bernard Monot, député européen, ex FN, et derrière Nicolas Dupont-Aignan depuis. CQFD, « Macron doit être destitué pour haute trahison ». Voilà où la propagande du pire nous amène.
Jour J espérons le moins pire
89 000. C’est le nombre de forces de l’ordre déployées ce samedi pour assurer la sécurité des Français. Je pense à leurs familles. Au moment où j’écris ces mots, j’espère que tous rentreront chez eux sains et saufs. Je ne peux comprendre qu’on lynche qui que ce soit dépositaire de l’ordre public dans une république démocratique comme la France. Les images sous l’Arc de Triomphe m’ont en ce sens fait craindre le pire. Premièrement car un CRS se trouvait encerclé de gilets jaunes prêts à le passer à tabac, deuxièmement, car celui des gilets jaunes qui l’a aidé à se relever et échapper au pire a reçu des insultes à son endroit et a dû se justifier d’être …un honnête citoyen !
Demain, Gilets Jaunes, syndicats, lycéens doivent bien intégrer que la violence, promise ou suscitée, qui se déversera dans nos villes reflètera l’image de notre pays pour de nombreux mois.
De toutes les façons, tuer ne résout rien ! La France ne se souvient-elle pas des attaques terroristes récentes ?! Et puis déjà 4 décès... Merde !