Faut-il créer une branche professionnelle du numérique?

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Par Eric Verhaeghe Publié le 3 novembre 2015 à 11h00
Reglementation Start Up Succes France Developpement Numerique
@shutter - © Economie Matin
6,9 MILLIARDS $Les start-ups européennes ont levé 6,9 milliards de dollars sur les six premiers mois de 2015.

Progressivement, la révolution numérique s’installe dans les esprits et les pratiques. Progressivement, la question du travail dans le numérique prend forme, ainsi que celle du bouleversement que le numérique introduit dans l’ordre social actuel. Faut-il laisser le numérique infuser dans l’ensemble des branches professionnelles ou bien faut-il créer une branche spécifique? Les deux visions commencent à s’affronter.

Une branche pour instaurer la concurrence?

Dans l’ordre juridique actuel, les « start-up » dédiées au numérique sont mélangées à leurs concurrentes traditionnelles. Par exemple, Uber relève forcément de la branche des taxis. Toutefois, certaines start-up font le choix, compte tenu de leur activité, de la convention collective des bureaux d’études techniques, couramment appelée convention Syntec.

Ce choix est lui-même « hybride », dans la mesure où les bureaux d’études techniques rassemblent des composantes extrêmement diverses, qui vont des activités de conseil tout à fait traditionnelles jusqu’aux sociétés de services informatiques. Pour les start-up, le choix du Syntec constitue donc une sorte de cotte mal taillée, dans la mesure où la convention collective répond très imparfaitement à leurs besoins spécifiques.

A titre d’exemple, la convention prévoit d’importantes distinctions catégorielles, emportant chacune des approches différentes de la durée du travail. Cette question est sensible dans les entreprises innovantes où l’organisation du travail peut se révéler très variable et très versatile.

L’imbrication des normes sociales applicables aux start-up avec leurs concurrentes traditionnelles pose un problème structurel important: les accords de branche sont généralement antérieurs à l’existence d’Internet et négociés pour les majors du secteur. Leurs dispositions sont donc mal adaptées aux nouveaux entrants et constituent volontiers des barrières à l’entrée pour ces derniers.

Il suffit, par exemple, d’imposer des revalorisations des rémunérations minimales annuelles trop importantes pour comprimer la masse salariale de ces nouveaux venus. Cette technique bien connue du « tarif minimum » fait le jeu des acteurs mûrs et pénalisent les nouveaux arrivants.

En ce sens, l’absence d’une branche du numérique peut être perçue comme un frein au développement du numérique.

Les partisans de l’imbrication

Face à cet appel qui prend forme en faveur d’un réceptacle conventionnel spécifique pour les start-up, des voix discordantes s’expriment sur la nécessaire imbrication des start-up dans l’édifice conventionnel existant. Cette argumentation est largement développée dans la note du Conseil d’Analyse Economique (CAE) consacrée à l’économie numérique.

Pour les auteurs de cette note, la question des normes conventionnelles constitue effectivement un frein au développement des start-up: celles-ci se heurtent à des barrières à l’entrée complexes qui retardent leur maturation.

Un frein important au développement de l’économie française, identifié par de nombreux rapports, est en effet l’accumulation des normes sectorielles qui créent effets de seuil et incitations perverses. Il faut résister à la tentation de recourir à ce type de mesures sectorielles sous peine de recréer, à brève échéance, barrières à l’entrée et protections inefficaces. Tous les secteurs ayant vocation à être transformés à terme par le numérique, il est de toute façon vain de chercher à définir un secteur « numérique ».

La logique du raisonnement est ici assez cohérente: elle consiste à soutenir que la création d’une branche du numérique déboucherait sur une protection des acteurs établis au détriment des nouveaux entrants les plus innovants. La proposition est ici très théorique: elle privilégie la diminution des barrières à l’entrée existantes dans les différentes branches professionnelles pour faciliter le développement des start-up.

Elargir le statut d’auto-entrepreneur?

Dans cette perspective, la note du CAE propose de « dynamiser » les normes existantes. Cette dynamisation propose notamment d’élargir le statut d’auto-entrepreneur pour favoriser l’émergence de nouvelles formes de travail.

La note propose en particulier cette disposition intéressante:

faciliter, plutôt qu’entraver, le recours au statut d’auto-entrepreneur. La loi Pinel a érodé la simplicité du dispositif et exposé inutilement l’auto-entrepreneur à des barrières corporatistes (obligation d’immatriculation au répertoire des métiers ou au Registre du commerce et des sociétés, suppression de la dispense de stage de préparation à l’installation). Il est au contraire opportun de faciliter l’option pour ce statut et de permettre son cumul avec d’autres formes d’emploi, y compris dans la Fonction publique. Pour supprimer la concurrence avec d’autres formes d’entrepreneuriat individuel, le régime fiscal et social de l’auto-entrepreneur pourrait être rendu accessible à tous pour la partie du chiffre d’affaires située sous le plafond

La solution consisterait donc à étendre le régime de taxation des auto-entrepreneurs à l’ensemble des acteurs actuels, plutôt qu’à réduire les avantages dont les entrepreneurs bénéficient pour limiter les distorsions fiscales avec les acteurs matures.

L’idée ne manque pas de séduire ceux qui souffrent des complexités réglementaires actuelles. Mais il n’est pas sûr qu’elle ravisse les adeptes des « acquis sociaux ».

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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