Clonage numérique : quand l’atome se digitalise

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Par Sylvain Gosselin Modifié le 29 novembre 2022 à 9h24
Centrale Nucleaire
cc/pixabay - © Economie Matin
75%Le nucléaire représente plus de 75 % du mix énergétique français.

Engagée depuis quelques années, la révolution numérique de la filière nucléaire française se précise de plus en plus. L'objectif : assurer une sûreté maximale des installations tout en rapprochant les différents acteurs du secteur.

Le numérique inonde les secteurs d'activité depuis des années, pourquoi pas le nucléaire ? Cette année, EDF, qui dirige l'ensemble des 19 centrales de l'Hexagone, devrait faire un pas de plus vers la digitalisation de l'atome ; en 2016, après une phase de recherche et développement de quatre ans, le groupe français a en effet validé le lancement d'un programme de numérisation de sa filière nucléaire. Une évolution qui, pour Boris Le Ngoc, directeur de la communication de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN), va de soi, « au vu de l'intégration progressive des nouvelles technologies » au sein des modes de production et de consommation d'énergie. « Dans le nucléaire, où la quantité de données à gérer et à analyser est colossale, le digital se déploie pour gagner en compétitivité dans la gestion de projet et l'exploitation des centrales » selon lui.

Continuité de l'information

Un secteur en particulier devrait bénéficier de cette transition digitale : celui de la sûreté des installations. Pour ce faire, EDF aura recours à la création de « jumeaux numériques » (ou « digital twins »), concept apparu au début des années 2000 visant à optimiser le fonctionnement d'un objet en le modélisant sur ordinateur. « Grâce à la numérisation des installations [...] nous sommes capables de créer [...] un clone virtuel de toutes nos centrales, avec des scans lasers et des photos 3D » renseigne Pierre Beroux, directeur de la transition numérique industrielle de la production ingénierie au sein du groupe. « Le principal avantage est de connaître exactement l'état d'un réacteur avant un arrêt de tranche. En le partageant avec nos équipes, les sous-traitants et les fournisseurs, nous pouvons mieux anticiper et coordonner les opérations à réaliser » estime-t-il.

L'une des problématiques majeures du secteur nucléaire, aujourd'hui, est effectivement la quantité gigantesque de données qu'il convient de faire transiter entre les différents acteurs. « Dans le nucléaire, vous pouvez sans le savoir refaire quatre ou cinq fois la même donnée technique sur toute la vie du projet jusqu'à la fin de l'exploitation » relève Stéphane Aubarbier, chargé du pôle Energy & Infrastructure chez Assystem, entreprise spécialisée en ingénierie et conseil en innovation. « Sur certains chantiers, il peut y avoir dix niveaux de sous-traitance, la probabilité que la bonne information arrive au bon moment, dans la bonne configuration, à la bonne personne, est relativement faible ».

L'objectif du digital est donc d'avoir une continuité de l'information sur l'ensemble de la chaine de production. Et, alors que la numérisation pourrait faire craindre une augmentation du risque de piratage, Pierre Beroux estime au contraire qu'elle le réduit. « Il n'y a aucune passerelle organisée entre le pilotage du réacteur et tout ce qui relève de l'informatique de gestion » indique-t-il. « Il y a une règle d'étanchéité absolue qui rend en pratique totalement impossible un risque de cyber attaque touchant le contrôle-commande des réacteurs ». Une déclaration plutôt rassurante, alors que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le gendarme tricolore de l'atome, a demandé au groupe, en octobre dernier, de réaliser un contrôle de la teneur en carbone sur certains générateurs de vapeur.

Energie bas carbone

D'ici 2020, chaque palier de centrales – 900, 1 300 et 1 450 mégawatts (MW) – devrait donc avoir son « jumeau numérique » ; à plus long terme – d'ici cinq ou six ans –, il se peut qu'EDF reproduise l'expérience pour chacune des installations de son parc. Le coût du projet, quant à lui, est intégré au programme industriel « grand carénage » – évalué à quelque 50 milliards d'euros –, qui vise à prolonger la durée de fonctionnement des réacteurs au-delà de quarante ans. Le groupe investit d'ailleurs massivement, depuis quelques années, dans la formation de ses salariés et sous-traitants aux nouvelles pratiques digitales ; rien qu'en 2016, 33 000 jours de formation ont été programmés pour 38 000 salariés.

Au menu, notamment : des simulateurs numériques de conduite de réacteur, qui représentent « avec exactitude une salle de commandes » d'après Christelle Taupin, formatrice à la centrale de Bugey (Ain). Le recours au virtuel, selon elle, permet de « faciliter considérablement le changement d'état du simulateur en fonctionnement normal, altéré ou accidentel », sans compter que l’« outil, qui simule aujourd'hui une tranche de 900 MW, peut être adapté sans difficulté à d'autres paliers ». De son côté, Thomas Monnet, formateur pour le chantier école dédié à la radioprotection et à la prévention des risques, note que « la réalité virtuelle permet de ne pas exposer les stagiaires aux risques, par exemple des fuites d'eau, des fuites de gaz ou la présence d'amiante ».

A terme, EDF entend implémenter des programmes de big data au sein de sa filière nucléaire, qui lui permettront d'être beaucoup plus précis dans les maintenances prédictives. L'utilisation massive des données est en effet de plus en plus usitée dans l'énergie, comme en témoignent l'installation du compteur communicant « Linky » par Enedis (ex-ERDF) et, plus largement, l'arrivée des smart grids (ou « réseaux électriques intelligents ») en France. C'est, semble-t-il, une bonne chose que l'atome se mette au numérique afin d'assurer son avenir, si l'on considère son aspect bas carbone – contrairement à d'autres sources comme le charbon, extrêmement polluant –, ultra compétitif et, en dernier lieu, son rôle dans la transition énergétique. Si la réduction du nucléaire a été entérinée dans la loi de transition énergétique, elle doit tout de même accompagner l'essor des énergies renouvelables en France.

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Titulaire d'un BTS et d'une licence professionnelle en génie climatique, Sylvain Gosselin a travaillé chez Management RH jusqu’en 2015. Un temps responsable d'un bureau d'étude en Aquitaine où l'essentiel de son travail consistait en la rédaction de dossiers techniques et d'appel d'offres, Sylvain Gosselin a opéré un virage à 180° en se lançant dans une carrière de conseil et audit opérationnel dans le secteur du nucléaire.

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