La politique énergétique, et singulièrement nucléaire, en France, est-elle déterminée par un gouvernement profond qui échappe au contrôle démocratique? Les récentes révélations sur la probable prolongation de nos centrales nucléaires le laisse à penser…
Le nucléaire et la COP 21
À l’issue de la COP 21, on aurait pu penser que la France s’efforcerait, sans être exemplaire, de tenir ses engagements en matière d’énergie nucléaire. On se souvient que le GIEC prend des positions globalement favorables à l’énergie nucléaire pour assurer la transition énergétique. En revanche, il importe que la France sécurise son parc vieillissant de centrales qui parsèment le territoire.
Il en va de la crédibilité de notre diplomatie: le pays qui préside la COP et qui a porté les positions internationales sur le sujet se doit de défendre une politique énergétique qui a du sens.
Le nucléaire revient en force
À rebours de ces engagements, Ségolène Royal devrait, début mars, publier un décret de programmation pluriannuelle de l’énergie où la prorogation pour 10 ans de nos centrales nucléaires sera gravée dans le marbre. Alors que les fermetures, comme celles de Fessenheim, sont annoncées de longue date, la France sursoirait donc à sa décision et conserverait son mix énergétique actuel, sans véritable perspective sur son avenir.
Les adversaires du nucléaire, notamment à EELV, n’ont pas manqué d’exprimer leur inquiétude à propos de cette étrange décision peu expliquée.
Dans tous les cas, la puissance du lobby du nucléaire en France domine les couloirs de la décision publique, alors même qu’Areva annonce des pertes colossales.
Le nucléaire aux mains du gouvernement profond
L’infléchissement de Ségolène Royal n’est pas en soi surprenant. D’une part, il illustre l’affaiblissement profond du parti écologiste en France, dont la bienveillance n’est plus nécessaire pour gagner des élections présidentielles ou législatives. D’autre part, il confirme les demandes déjà exprimées par EDF: ne pas fermer tout de suite les centrales, mais se donner du temps pour réorienter, si ce choix devait se maintenir dans la durée, la politique énergétique.
EDF et Areva ont ici pesé dans l’ombre, comme d’autres grandes entreprises publiques (la SNCF, Air France) savent le faire. Là encore, les politiques et les élus s’inclinent devant la volonté des grands commis de l’Etat qui font l’action publique, et singulièrement qui font les réseaux d’équipements publics.
On peut effectivement parler ici de gouvernement profond: ceux qui font les choix publics ne sont pas ceux qui sont élus par les électeurs, mais d’autres personnes que personne ne contrôle vraiment.
Le nucléaire et la transition énergétique
L’ironie veut que cette décision, en effet, intervienne quelques mois après la loi du 17 août 2015 sur la transition énergétique, qui avait inscrit comme objectif de « réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025 ». C’est sûr qu’en prolongeant la durée de vie des centrales nucléaires d’une dizaine d’années, l’objectif ne sera pas tenu.
Mais alors, ça rime à quoi de voter des lois quelques semaines avant la COP 21 pour donner des leçons à la planète entière, puis de s’asseoir dessus pour faire comme il a dit, le patron d’EDF? La représentation nationale servirait juste à amuser la galerie, pendant que les vraies décisions se prennent ailleurs?
Le nucléaire et le bon sens
Ce n’est pas qu’en soi la décision de Ségolène Royal soit choquante. Entre une centrale à charbon et une centrale nucléaire, la différence est importante. L’une pollue horriblement quand l’autre est propre, sauf, bien entendu, en cas d’accident où les dégâts environnementaux sont colossaux.
Tout le problème tient à cette nuance: plus une centrale vieillit, plus elle présente de risque en termes de sécurité. Il serait ici cohérent que Ségolène Royal explique son choix et ouvre des perspectives sur la sécurisation du parc nucléaire français, dont les accidents fréquents et les survols par des drones posent quelques sérieux problèmes.
Le nucléaire et l’absence de vision publique
Pour dégager des perspectives d’avenir, il faut une stratégie. Manifestement, l’Etat n’en a pas pour sa politique énergétique, pas plus qu’il n’en a pour son industrie. En dehors de décisions au cas par cas pour sauver des emplois ou pour occuper le terrain médiatique, le gouvernement ne sait pas où il va.
Cette situation est fâcheuse. Elle se traduit par une décision de maintenir un équipement vieillissant, sans savoir comment il sera modernisé ou encore comment il sera remplacé. On vote bien des lois sur le sujet, mais on ne les applique pas, et on se range aux volontés des grands commis qui dirigent les entreprises publiques.
Mais c’est évidemment le serpent qui se mord la queue: le gouvernement profond décide à la place du gouvernement élu, parce que le gouvernement profond a une vision et le gouvernement élu n’en a pas. L’ignorance et la cécité sont bien les deux mamelles d’un système où la démocratie se meurt, et où le parlementarisme n’est qu’une spectre shakespearien qui se perd dans la nuit d’une technocratie toujours plus avaricieuse.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog