Notre-Dame Des Landes : occasion manquée ou superbe opportunité ?

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Par Thomas Peaucelle Modifié le 17 janvier 2018 à 11h59
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@shutter - © Economie Matin
1963Le projet d'un nouvel aéroport pour le Grand Ouest est envisagé depuis 1963

Le Premier Ministre, présentant le rapport des experts désignés pour étudier les diverses options relatives au projet d’aéroport de Notre Dame des Landes s’est réjoui en soulignant que la discussion avait progressé, puisque nous serions passés d’un choix entre ‘Notre Dame des Landes ou rien’, à un choix entre ‘Notre Dame des Landes, la modernisation de l’aéroport Nantes-Atlantique ou rien’. Quel progrès !

Je crains qu’en rester à cette formulation ne conduise à une décision qui ne satisfera personne et que l’on pourrait caricaturer en la présentant soit, comme le choix pour un projet dépassé, voire inutile, soit comme une capitulation devant les ‘ZADISTES’ ?

En fait, ce projet de Notre Dame des Landes est un parfait exemple du choc entre de nouvelles technologies et les défis sociétaux auxquels nous sommes confrontés. Dès lors, deux réactions sont possibles : raisonner comme dans ‘l’ancien monde’ et nous en restons au dilemme actuel, soit sortir du cadre et faire de cette confrontation une source d’innovation, et alors, Notre Dame des Landes peut devenir un projet exemplaire.

1°) Le risque du fiasco

Comment peut-on arriver au risque d’un tel fiasco, politique, technique, juridique, économique ?

En fait, le projet de Notre Dame des Landes illustre plusieurs dysfonctionnements actuels de notre économie :
- Un projet pensé de manière technocratique selon un mode de pensée issu des années 70, ayant conduit à la réalisation de grands projets dans la certitude qu’aucune alternative ne serait un jour possible : l’urgence climatique était inimaginable, la transition écologique et énergétique, un doux rêve. Dès lors, un projet considéré comme bon, il y a 20 ans n’a aucune raison d’être remis en cause. La réalité de l’évolution de nos modes de vie, de l’impact du TGV sur le transport, du numérique qui diminue la nécessité des déplacements professionnels sont niés au nom de l’idée que la vérité économique serait immuable.
- Des procédures administratives qui à force de durer des dizaines d’années rendent obsolète tout projet d’infrastructure avant même de l’avoir construit. Mais, pourquoi se presser si la vérité d’un projet est intangible ? La réalité est toute autre, l’accélération de notre vie économique, sociale est une réalité qui exige une adaptation de nos procédures, de nos règles,… Pour cela je vous invite à rejoindre la grande coalition ‘divisons les délais administratifs par deux’ *. Pourquoi, en effet, à l’heure du numérique, faut-il conserver des délais qui ont été fixés à la naissance du droit administratif selon des principes qui rappellent la nécessité de se rendre à la préfecture de son département en moins d’une journée de cheval ! Pourquoi maintenir des délais de recours aussi longs ? Ces procédures, ces délais ont été institués comme des garants de l’indispensable dialogue démocratique. Prenons garde à ce qu’ils ne deviennent le prétexte et l’outil de blocage de tout projet.
- La confusion s’instaure entre le débat démocratique et l’obstruction de certains groupes extrémistes. L’urgence écologique est prise en otage par une idéologie de la décroissance, alors qu’elle devrait être le socle de la croissance de demain. Est-il normal qu’un projet voulu et soutenu par l’ensemble des collectivités locales, villes, départements, régions, par l’Etat, par les acteurs économiques, ayant fait l’objet d’un référendum, dont tous les recours juridiques ont été épuisés, soit ainsi bloqué, tant bien même il serait critiquable ? C’est bien la démocratie qui est en cause.
- Le débat devient alors idéologique excluant le doute et le questionnement, bases de toute philosophie, et tout simplement de toute pensée rationnelle. Comment ne pas voir que le progrès et l’innovation sont stimulés par l’ouverture et le dialogue ? C’est de la confrontation des idées, dans le respect de l’autre que surgissent les solutions.
- Ces dérives sont économiquement dangereuses pour le maintien de la capacité exportatrice et l’attractivité de la France. Il suffit de comparer les délais de réalisation de projets éoliens off-shore comme on-shore en France et au Royaume-Uni. Le retard pris par la France dans la construction de parcs prive notre industrie de l’expérience, de l’apprentissage lui permettant de prendre les parts industrielles qui pourraient lui revenir. L’expérience de groupes comme Areva ou Alstom nous rappelle que les positions doivent se prendre rapidement et qu’aucune position n’est définitivement acquise. La France est souvent citée en exemple pour la qualité de ses infrastructures mais les freins actuels à leur modernisation et à leur renouvellement risquent de devenir un ‘boulet’ : les difficultés actuelles du réseau ferroviaire sont là pour le rappeler et prenons garde à ce que Notre-Dame des Landes ne soit un aéroport obsolète dès sa conception au lieu de devenir une vitrine technologique française.

2°) L’opportunité d’innovation pour inventer l’aéroport de demain

Dans le même temps, il est remarquable que les conclusions des Assises Nationales de la Mobilité aient été rendues à quelques jours de celles du rapport des experts. Le rapprochement de ces deux événements n’est pas fortuit.

L’insuffisance du rapport des experts est de présenter une option entre deux ‘aéroports’ sans s’interroger sur la finalité du projet. Je me réjouis, à l’inverse, que l’on ait tenu des Assises de la Mobilité et non du Transport. Le terme de mobilité, introduit la notion d’usage et donc de service rendu. Raisonner ‘usage et service’ permettrait de ‘sortir du cadre’ (je pense à ce fameux jeu des points** qui ne peuvent être reliés entre eux qu’en sortant du cadre !). Les constats sont simples :
- Toute région, bassin économique peut bénéficier, si elle le souhaite, d’une infrastructure aéroportuaire internationale pour assurer sa compétitivité, mais le besoin est-il celui d’un aéroport ou d’un système de transport international ? La Bretagne et les Pays de Loire, des métropoles comme Nantes et Rennes méritent à l’évidence une telle infrastructure.
- A l’heure de l’intermodalité, gardons-nous de raisonner d’aéroport selon un modèle qui n’a finalement que peu évolué depuis sa création. L’un des mérites du rapport des experts est d’inclure le bilan environnemental des liaisons entre les villes de Nantes et Rennes dans le bilan global du projet. Penser l’aéroport de manière isolée n’a pas de sens : il est un maillon d’un système global. Mais, alors, pourquoi ne pas imaginer des solutions plus innovantes ?
- L’actuel aéroport de Nantes Atlantique présente des inconvénients : situation à l’intérieur de l’agglomération, saturation vraisemblable dans les prochaines années, nuisances sonores, localisation au Sud de la Loire ce qui pénalise l’accès depuis Rennes…
- Dans le même temps, nous devons opter pour les solutions les plus respectueuses de l’environnement et les plus décarbonées possibles.
- Le trajet routier entre Nantes et Rennes est plus rapide que l’utilisation du train. De plus, l’usager du TER une fois arrivé à la gare de Nantes, doit traverser la ville pour rejoindre l’autre rive de la Loire et l’aéroport actuel, augmentant ainsi un trafic automobile déjà difficile. Bref, un habitant de Rennes a aussi vite fait de rejoindre Roissy par le TGV que d’aller à Nantes Atlantique.
- Nous sommes tous des voyageurs et nous savons que nous apprécions les aéroports en proportion des kilomètres parcourus avec nos valises, et la facilité à rejoindre les villes : Roissy est l’exemple d’un magnifique outil technique mais présentant des lacunes en termes d’usages : temps de livraison des bagages, transferts aérogares, RER B, arrivée à Paris Gare du Nord...
- L’innovation contemporaine consiste à raisonner en ‘système’ et en ‘systèmes de systèmes’. Le numérique entre autres technologies permet de mieux gérer la complexité. C’est ce qui permet de passer de la notion de transport à celle de mobilité.

3°) Pour un nouveau projet de Notre Dame des Landes

Je ne suis spécialiste ni de l’écologie, ni des aéroports, je ne suis pas non plus un économiste des transports, mais je me pose des questions : pourquoi faut-il aller individuellement à l’aéroport ? Pourquoi faut-il enregistrer ses bagages à l’aéroport ? Pourquoi faut-il accomplir les formalités d’enregistrement au pied de l’avion ? Pourquoi des navettes se développent-elles à l’intérieur des aéroports ? Ne peut-on pas penser autrement un aéroport qui est d’abord un outil de gestion de flux ?

Cette solution que j’aimerais voir étudier, consiste à maintenir un aéroport à Notre Dame des Landes qui soit réduit à la piste d’atterrissage, à la tour de contrôle et aux seules infrastructures aéronautiques. L’aérogare serait alors remplacée par une simple gare ferroviaire. Aucun voyageur ne pourrait s’y enregistrer. Les formalités se feraient dans les deux gares de TGV de Nantes et Rennes qui pourraient ainsi drainer des passagers depuis leurs régions respectives. Une fois enregistrés, les passagers pourraient se promener et effectuer leurs achats avant de rejoindre une salle d’embarquement jusqu’au départ de navettes ferroviaires (automatiques et autonomes ? demain en hyperloop, pourquoi pas ?) les conduisant au pied des passerelles d’embarquement des avions. A l’arrivée, les mêmes navettes les conduiraient en centre-ville où ils récupèreraient leurs bagages. Entre les navettes aéroportuaires, les TER pourraient circuler à l’instar de ce qui se passe dans le tunnel sous la Manche. Cette solution offrirait de nombreux avantages :
- L’aéroport unique aux deux métropoles régionales serait maintenu répondant au souhait des opérateurs économiques régionaux.
- L’emprise foncière de Notre Dame des Landes serait réduite (plus d’aérogares, de parkings, de centre commercial), la circulation automobile restreinte par rapport au projet initial et l’emprunte carbone de l’aéroport réduite par la substitution d’un transport ferroviaire électrifié à un trafic automobile.
- La liaison ferroviaire Nantes-Rennes serait modernisée et des TER entre ces deux métropoles permettraient des rapprochements humains et économiques : enseignement supérieur, pôles de compétitivité,…
- Le trafic routier entre les deux villes et à l’intérieur de Nantes, serait réduit et l’activité des centres villes se développerait. Un nouveau concept de ‘centre commercial virtuel’ permettrait à un passager ayant une carte d’embarquement (disponible sur son smart phone) de bénéficier des avantages qui y sont liés et de se faire livrer au lieu de son choix.
- Ce système multimodal faciliterait le passage de l’avion au transport en commun urbain sans étape intermédiaire.
- Toutes les technologies liées aux navettes autonomes seraient utilisées offrant une vitrine exceptionnelle à la technologie française : comment ne pas penser aux exercices de prospective comme, le train se fixant automatiquement sous un avion imaginé par l’Ecole Polytechnique de Lausanne, ‘l’hyperloop’ d’Elon Musk,…

Alors, ne peut-on pas prendre quelques semaines pour étudier cette autre solution ? Quelques semaines, au regard de tout le temps passé, ce n’est pas si long. Mais ce délai est indispensable pour réunir les acteurs susceptibles de le porter. En effet, le modèle économique d’une concession aéroportuaire repose sur les recettes de l’aérogare plus que sur les taxes et redevances aéroportuaires. Une étude sur les impacts social et économique est nécessaire pour dégager un mode de financement adéquat. La démarche de SOGARIS et du Fonds de Modernisation Ecologique des Transports pour revitaliser le commerce de proximité peut être par exemple reprise et intégrée au projet.

Cette étude doit réunir des expertises aéroportuaire, de transport au sens mobilité et gestion de flux, juridique, économique et financière pour inventer le modèle de l’aéroport de demain et en proposer un financement crédible. A l’heure où l’Etat cède ou envisage de céder ses participations aéroportuaires, faut-il qu’il investisse lui-même dans une nouvelle plateforme ? Mais, a contrario, peut-on en termes de souveraineté confier nos infrastructures à des puissances étrangères ? Nous sommes donc collectivement dans l’obligation d’innover et d’inventer !

Je ne voudrais pas entendre dire dans quelques années : ‘Pourquoi ne pas y avoir pensé ?’ Alors encore un petit effort, étudions réellement les avantages et inconvénients de la proposition pour que nos infrastructures, qui ont fait la fierté de notre pays, nous fassent de nouveau rêver. Relisons donc ce merveilleux récit de ‘La journée d’un journaliste américain en 2889’ par Jules Verne pour réveiller notre créativité.

(*) La coalition ‘Divisons les délais administratifs par 2’ a été créée et est animée par Marc Teyssier d’Orfeuil de la société ComPublics : cf https://www.compublics.com/lobbying-mutualise

(**) Comment relier neuf points inscrits sur 3 parallèles formant un carré, en 4 lignes, sans lever le crayon ? La réponse ne se trouve qu’en sortant du cadre du carré. Ce problème est notamment utilisé par Nicolas Colin et Henri Verdier dans leur ouvrage ‘L’âge de la multitude’ page 76.

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Thomas PEAUCELLE a créé en 2016 la société KAIROS-c2i, société de conseil en stratégie et innovation qui aide les entreprises à transformer les défis actuels en opportunité de croissance par l’innovation et la transformation. A ce titre il effectue un certain nombre de travaux de prospective sur les transformations numériques et énergétiques, vues comme des opportunités pour résoudre les problèmes démographiques, d’urbanisation, de sécurité,…   Il intervient principalement sur trois segments de marché : l’énergie, les smart cities et la sécurité/défense.   Auparavant, il avait participé à la création de la société INEO, dont Il était devenu Directeur de la stratégie en 2008 puis Directeur Général Délégué en 2012 (CA de 2,4 Mds € et 15 000 salariés).

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