L’achat du prodige brésilien cache une autre réalité : la compétition effrénée que se livrent les Etats sur la scène internationale. Le fameux « destination branding » a pris une autre dimension, ces dernières années. Neymar est la pièce d’une partie d’échec qui dépasse largement le cadre sportif.
Que font les services secrets d’un Etat quand ils souhaitent recruter un profil à forte valeur ajoutée ? Ils cherchent ses points faibles, et les exploitent. Il y en a potentiellement quatre : le sexe, l’argent, le pouvoir et le besoin de reconnaissance. Les deux premiers sont les plus évidents. Nombre d’agents occidentaux se sont faits piéger par des femmes russes au temps de la guerre froide. John Le Carré n’a rien inventé. Quant à l’appât du gain, il peut se détecter facilement. Un agent des services secrets français m’avait révélé qu’une de leurs cibles, un dirigeant d’une multinationale, avait l’habitude de dérober des fournitures sur son lieu de travail (du papier toilettes aux ramettes de papier A4). De façon compulsive. Ils en avaient déduit son avarice.
Neymar, outre son intérêt logique pour le salaire mirobolant qu’il touchera (100 000 euros par jour), entre dans la quatrième catégorie, celle du manque de reconnaissance. À Barcelone, Lionel Messi lui faisait de l’ombre. L’Argentin concentrait toute la lumière. Le Qatar l’a donc identifié comme le champion frustré dont les futurs exploits lui permettraient de trouver la rédemption, puis la gloire. Les clauses, les contrats, les primes ne signifient rien pour un pays qui tire vingt milliards par an de ses exportations de gaz.
Depuis son entrée sur la scène internationale, le Qatar fait tout pour briller. Tel un nouveau riche invité au cocktail des grandes nations, il s’est fait remarquer en achetant les parts des sociétés du CAC40, des quartiers d’affaires, des œuvres d’art et bien-sûr, un club de football. Ses voisins du Golfe, qui s’en méfient, l’ont souvent comparé à un gosse de 10 ans qui s’offre une Ferrari sans savoir la conduire.
L’analogie ne manque pas de pertinence. Le Qatar a investi dans l’art, par exemple. De ce point de vue, le Musée des Arts Islamiques de Doha est une vraie réussite. Mais quand il fallut tolérer la liberté des artistes (ex : représentation du corps), la machine s’est grippée.
Le Qatar a aussi joué les pyromanes du point de vue diplomatique. Prêchant l’ouverture au monde et le nouvel élan arabe (via sa chaîne Al Jazeera notamment), l’état gazier est aussi soupçonné de financer les mouvements islamistes (ex : Al Nosra). Le Qatar est aujourd’hui mis au ban des pays du Golfe, en situation délicate.
Dans ce contexte, le PSG est l’instrument qui permettra au Qatar de redorer son blason. Le PSG est la tête de gondole de l’évènement planétaire que le Qatar compte organiser en 2022 : la coupe du monde de football. Un PSG victorieux donnera au Qatar, par ricochets, sa crédibilité footballistique.
Dans mon roman Qatarina (Éditions Intervalles), j’expliquais, par le ressort de la fiction, en quoi la coupe du monde au Qatar était une aberration. Je n’ai pas changé d’avis. Rappelons que la population qatarie rejette l’évènement parce qu’il apportera son lot de fléaux (le terme qu’elle emploie) : alcool, mouvements de foule et prostitution. Autant de phénomènes auxquels elle n’est ni habituée ni préparée. C’est comme si le Qatar avait acheté un jouet sans en consulter la notice.
Une Coupe du Monde de football est un formidable tremplin pour le tourisme. Ce fut observé en Afrique du Sud, en Allemagne, en France et au Brésil. Et pour 2022 ? Il y a très peu d’attractions à Doha. Le magnifique Musée des Arts Islamiques n’attirera pas des foules de supporters (je le regrette, mais c’est comme ça). Les experts ont prédit que les visiteurs privilégieront Dubaï (nous y reviendrons), situé à seulement 45 minutes d’avion. Oui mais voilà, Doha et Dubaï sont fâchés. Il reste au Qatar quatre ans pour se réconcilier avec ses voisins.
Le Qatar doit convaincre, coûte que coûte. Les stars du ballon rond se succèdent au chevet de Qatar 2022, depuis l’annonce de sa désignation par la FIFA. Il y eut Zinédine Zidane. Voici Neymar, dont la commission pour soutenir la coupe du monde (plusieurs centaines de millions d’euros) rendrait presqu’anecdotique son fabuleux transfert de 220 millions d’euros. Le prestige de la ligue 1 ? L’entrée du football français dans la cour des grands d’Europe ? Pas seulement. Ce qui se joue ici, c’est le retour en grâce du Qatar et la préparation d’un évènement planétaire dont personne ne semble s’émouvoir malgré les abus en tous genres (ex : condition des ouvriers sur les chantiers).
En attendant Neymar chaussera ses crampons. Il ira jouer dans la bruine, dans des stades de 12,000 personnes. Il encaissera les tacles vicieux. Il signera des maillots au camp des Loges. La foule s’extasiera et le Qatar retiendra son souffle. Pourvu qu’il ne se blesse pas ! Pourvu que le PSG ne perde pas, une fois de plus, en quart de finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions ! Pourvu que l’investissement soit rentabilisé.